Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, est revenu à la charge mercredi contre les dirigeants politiques libanais qu'il tient pour responsables de l'impasse politique qui aggrave la crise socio-économique et financière qui frappe le pays depuis l'été 2019. Le ministre français a ainsi une nouvelle fois rappelé que Paris agirait conte les dirigeants libanais qui obstruent la formation du gouvernement qui se fait attendre depuis huit mois, prévenant que "les décisions qu'ils prendront ou qu'ils refuseront de prendre au cours des prochains jours seront déterminantes". Le ministre français n'a toutefois pas prononcé le mot "sanctions", alors même que cette option semble sérieusement envisagée par le président français, Emmanuel Macron.
"Crime de non-assistance à pays en danger"
"Le PIB du Liban a été ramené à celui des années 2000. Cette crise n'est pas liée à une catastrophe naturelle. Cette crise a des responsables bien identifiés", a affirmé Jean-Yves Le Drian, dans une réponse à une question posée par le sénateur Bernard Fialaire au sujet de la crise au Liban. "Car face à cette situation, les forces politiques libanaises refusent de s'entendre sur la composition d'un gouvernement. Leur aveuglement est un crime de non-assistance à pays en danger", a martelé M. Le Drian, en reprenant une accusation qu'il avait déjà formulé le 11 mars.
"(...) Des engagements avaient été pris le 1er septembre dernier (lors de la réunion des protagonistes libanais avec le président français à la Résidence des Pins, ndlr), y compris sur la totalité des réformes à entreprendre, que chacun connaît. L'obstruction délibérée à toute perspective de sortie de crise, et en particulier de la part de certains acteurs du système politique libanais par des demandes inconsidérées, et des demandes d'un autre temps, doit cesser", a répété Jean-Yves Le Drian. Selon plusieurs observateurs, il est clair désormais que Paris tient le chef du Courant patriotique libre et gendre du président libanais Michel Aoun, Gebran Bassil, pour principal responsable de l'impasse politique concernant la formation du gouvernement dont a été chargé Saad Hariri en octobre dernier.
"(...) Des propositions concrètes sont en cours d'élaboration à l'encontre de ceux-là mêmes qui ont abandonné l'intérêt général au profit de leurs intérêts personnels. Et si certains responsables libanais ne prennent pas leurs responsabilités, nous n'hésiterons pas à prendre les nôtres, à cet égard. Les décisions qu'ils prendront ou qu'ils refuseront de prendre au cours des prochains jours seront déterminantes. C'est le message que le président de la République et moi-même avons passé aux principaux responsables politiques libanais hier", a souligné Jean-Yves Le Drian.
"Libanaises et Libanais de valeur"
"La France, pour sa part, continue de se tenir auprès du peuple libanais. Nous savons que le Liban peut compter sur des Libanaises et des Libanais de valeur au sein de la société civile, qui ont à cœur de travailler sincèrement à l'édification du Liban de demain. Nous entendons donc travailler avec ceux qui portent l'espoir et l'avenir de ce pays, et nous ne ménagerons pas nos efforts à cette fin", a conclu le ministre français.
Désigné en octobre, le Premier ministre Saad Hariri n'a toujours pas formé de gouvernement, le chef de l'Etat, Michel Aoun, et M. Hariri étant empêtrés dans des rivalités personnelles et un bras de fer autour de la nomination des ministres et le tiers de blocage que veut le camp aouniste. L'équipe actuelle, qui gère les affaires courantes, a démissionné en août après l'explosion dévastatrice du port de Beyrouth (plus de 200 morts, des milliers de blessés). Le pays traverse une crise économique très grave. La dépréciation de la livre libanaise, l'explosion de la pauvreté et du chômage, l'érosion du pouvoir d'achat et la précarisation provoquent la colère de l'opinion publique, avec des manifestations et des blocages de routes sporadiques. Le président français, Emmanuel Macron, s'est fortement impliqué, en vain jusqu'à présent, pour tenter de débloquer la crise politique libanaise en lançant début septembre 2020 une initiative en faveur du pays du Cèdre. Après avoir d'abord écarté toute imposition immédiate de sanctions contre les dirigeants libanais, le président Macron a revu sa copie et semble désormais prêt à franchir le pas. "Il nous faudra, dans les prochaines semaines, changer d’approche" au Liban, a-t-il récemment déclaré. Lundi dernier, Jean-Yves Le Drian, a déploré "le blocage complet depuis des mois" des discussions visant à former un gouvernement au Liban. Il a dans ce contexte estimé que "l’heure est venue de renforcer les pressions pour y parvenir". Déjà le 22 mars, le ministre français des Affaires étrangères avait demandé à l'Union européenne d'actionner "des leviers" contre les responsables politiques libanais pour qu'un gouvernement soit formé et des réformes lancées dans ce pays "à la dérive".
Bassil prêt à se rendre à Paris
Ces derniers jours, des rumeurs ont circulé sur une éventuelle visite de Gebran Bassil en France, alors que circulaient tout au long de la journée d’hier des informations contradictoires au sujet de cette visite qui aurait été maintenue en dépit du refus de Saad Hariri de rencontrer le chef du CPL dans la capitale française. Du côté français comme du côté libanais, aucune confirmation n’a été donnée au sujet de cette éventualité qui est ainsi restée entourée de flou. Placée sous le sceau de la confidentialité – notamment pour ne pas embarrasser les deux leaders auprès de leurs bases populaires respectives ou risquer pour la France de voir son image ternie par un nouvel échec – la proposition d’un entretien Bassil-Hariri initialement prévu à Paris devrait donc être revue et corrigée pour pouvoir parvenir à un dégel des relations entre les deux hommes, dont dépend étroitement la mise sur pied du gouvernement. MM. Bassil et Hariri sont à couteaux tirés depuis plusieurs années et, dernièrement, leurs formations politiques respectives s'accusent du blocage du processus gouvernemental et des réformes dans les cabinets précédents.
Réagissant à ces rumeurs mercredi, le député de Batroun a affirmé, quelques heures après les propos de M. Le Drian, être prêt à répondre favorablement à une invitation des autorités françaises pour qu'il se rende à Paris. "J'ai déjà exprimé et je continue d'exprimer toute ma coopération au sujet de toute volonté française pour que je me rende à Paris, ou pour tenir une réunion avec qui que ce soit, où que ce soit, sans complications ni excuses, et sans que cela ne porte atteinte aux prérogatives et au rôle du président de la République", Michel Aoun, a écrit M. Bassil sur Twitter. Il fait allusion à des informations ayant circulé ces derniers jours sur une volonté de Paris de réunir M. Bassil et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, dans une tentative de débloquer la crise gouvernementale. "Nous n'avons qu'une seule préoccupation : appliquer les réformes en commençant par la formation d'un gouvernement", a ajouté le leader chrétien. "Mais malgré cela, et malgré la décision du CPL de ne pas participer au prochain gouvernement et toutes les facilités qu'il a offert pour sa formation (...), il y avait à chaque fois quelqu'un pour saboter toute tentative d'espoir... Nous resterons coopératifs, dans la limite des usages, avec tout effort international ou local, et nous ne perdrons pas espoir avant d'avoir abouti à une solution", a conclu M. Bassil.
commentaires (10)
Pour qui vous prenez-vous? Balayez devant votre porte et épargnez-nous votre arrogance. Depuis quand la France a-t-elle œuvré au Liban pour autre chose que son profit?
Politiquement incorrect(e)
16 h 31, le 09 avril 2021