
Depuis le début du soulèvement du 17 octobre 2019, les protestataires ont surtout manifesté leur colère contre le chef du CPL, Gebran Bassil Photo João Sousa
« Aidez-nous à évincer la classe au pouvoir ! » Ce cri était celui des habitants endeuillés du quartier beyrouthin sinistré de Gemmayzé et de sa jeunesse révoltée, le 6 août 2020, deux jours après la gigantesque explosion qui a dévasté la capitale libanaise. C’est par ces appels à l’aide déchirants que la foule recevait ce jour-là le président français Emmanuel Macron, qui s’était rendu au chevet du Liban blessé. Huit mois après cette scène, les rumeurs sur une éventuelle visite du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, à Paris et un possible entretien avec le président français posent beaucoup de questions et suscitent des réactions partagées dans les rangs de la société civile, accentuant davantage le schisme entre ses composantes. Car durant la révolte d’octobre 2019, le chef du CPL était conspué par la rue comme aucun autre homme politique au pouvoir, davantage que le président de la Chambre, Nabih Berry. Les adversaires politiques de Gebran Bassil, notamment le Premier ministre désigné Saad Hariri, qui se présente comme « le fils de l’initiative française » en faveur du Liban, l’accusent, eux, d’être à l’origine du blocage gouvernemental.
Au niveau international, le chef du CPL est sur la liste des sanctions américaines depuis novembre 2020 pour des accusations de corruption et menacé d’être visé par des mesures similaires cette fois-ci en Europe. Après avoir d’abord écarté toute imposition immédiate de sanctions contre les dirigeants libanais, le président Macron a revu sa copie et semble désormais prêt à franchir le pas. « Il nous faudra, dans les prochaines semaines, changer d’approche » au Liban, a-t-il récemment déclaré. Selon plusieurs observateurs, le nom de Gebran Bassil pourrait bien figurer en tête de liste si des mesures concrètes sont dans ce cadre annoncées. Alors comment expliquer la stratégie de Paris si la visite de M. Bassil venait à se confirmer ?
« Macron est en train de perdre le peuple libanais »
« Dès le début, nous avons dit que les grandes puissances ne font qu’agir conformément à leurs propres intérêts, et non dans le sens de ceux du peuple. » Wassef Haraké n’y va pas par quatre chemins. Contacté par L’Orient-Le Jour, cet activiste, qui est l’une des figures les plus connues du soulèvement populaire, estime que c’est Emmanuel Macron qui a donné un nouvel élan à la classe politique en dialoguant avec ses ténors à la Résidence des Pins (les 6 août et 1er septembre 2020). « Une des grandes lignes de notre lutte est le fait de ne pas soumettre le pays aux desiderata de l’étranger. Et nous poursuivrons notre lutte », assure l’activiste, plaidant en faveur d’un « gouvernement de transition indépendant des protagonistes politiques et capable de résoudre la crise économique du pays », sans préciser toutefois par quels moyens on pourrait y accéder.
Tout aussi furieux, des Libanais de l’étranger sont passés à l’acte, avant même que la visite du leader du CPL à Paris ne se confirme. « Nous avons appelé les autorités françaises à geler les avoirs douteux des dirigeants libanais en France », révèle Élian Sarkis, fondateur du Mouvement des citoyens libanais dans le monde, basé dans la capitale française. Une centaine de personnalités libanaises ont demandé mardi au président français le gel des actifs douteux de leurs responsables politiques. Dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde daté de mercredi, les signataires soulignent la « nécessité absolue de se débarrasser d’une classe politique gangrenée par la corruption et on ne peut plus réticente aux réformes ». Élian Sarkis indique aussi que des lettres exprimant l’opposition des Libanais au geste français en direction du chef du CPL ont été envoyées au ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ainsi qu’à des parlementaires intéressés par le dossier libanais. « Il est vrai qu’Emmanuel Macron joue aujourd’hui toutes ses cartes politiques. Mais il est en train de perdre le peuple libanais. Et cela n’est pas à son avantage », déplore M. Sarkis.
« Macron a identifié celui qui bloque »
Pour Pierre Issa, secrétaire général du Bloc national, le président français est conscient des sentiments que beaucoup de Libanais éprouvent à l’égard de la classe politique. « La France, tout comme le reste des pays du monde, ne semble avoir aucun problème à négocier avec des gens tels que Saad Hariri et Gebran Bassil », estime M. Issa dans un entretien accordé à L’OLJ, rappelant toutefois que la communauté internationale n’a pas confiance en cette classe dirigeante. « Preuve en est, elle n’a offert les aides promises dans la foulée de la tragédie du 4 août qu’à la société civile », dit-il. M. Issa n’exclut pas dans ce cadre le fait que la possible rencontre Macron-Bassil soit une occasion pour la France de maximiser la pression sur le chef du CPL avant de lui infliger des sanctions. L’activiste Nada Anid estime pour sa part que M. Macron ne veut pas opter pour la politique de l’autruche. « Il a identifié celui bloque les tractations gouvernementales et pourrait vouloir mettre les points sur les i », souligne-t-elle. Et d’ajouter que « si Gebran Bassil finirait par prendre part personnellement à la future équipe ministérielle, la société civile penserait alors aux prochaines étapes » de sa mobilisation.
Partageant le point de vue selon lequel Emmanuel Macron aurait identifié ceux qui gèlent la mise sur pied du cabinet, Karim Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, se dit « certain » que si les portes de l’Élysée s’ouvrent à Gebran Bassil, il ne s’agirait pas d’une tentative de le renflouer, dans la mesure où « Emmanuel Macron est conscient de ce qu’est le chef du CPL, de son itinéraire et de ses défauts », largement décriés par les Libanais. Pour M. Bitar, la dynamique politique enregistrée à Paris prouve que « la France se rend compte que le Liban est au bord du gouffre politique, économique et social, et qu’il a impérativement besoin de se doter d’un gouvernement dans les plus brefs délais ». Le politologue estime qu’il pourrait s’agir d’une ultime tentative de débloquer la situation, « en donnant un coup de pouce à la formation du gouvernement, tout en fouettant un peu les représentants de la classe politique, en leur mettant un coup de pression supplémentaire, sans leur donner une légitimité ».
Cela risque-t-il d’être interprété comme une remise sur le tapis de l’équation Gebran Bassil contre Saad Hariri ? Pour M. Bitar, il s’agirait plutôt d’un « retour au vieux compromis libanais qui consacrerait ce qui avait été mis au point par Nabih Berry et (le leader druze) Walid Joumblatt », c’est-à-dire une équipe de 24 ministres au sein de laquelle aucun camp ne détiendrait le tiers de blocage.
« Aidez-nous à évincer la classe au pouvoir ! » Ce cri était celui des habitants endeuillés du quartier beyrouthin sinistré de Gemmayzé et de sa jeunesse révoltée, le 6 août 2020, deux jours après la gigantesque explosion qui a dévasté la capitale libanaise. C’est par ces appels à l’aide déchirants que la foule recevait ce jour-là le président français Emmanuel...
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VOUS VOYEZ COMMENT VOUS PUBLIER UNE PHOTO QUI MONTRE LE GENDRE AVEC LA CORDE AU COU PRET POUR LE LYNCHAGE, ET QUE D,UN AUTRE COTE VOUS PASSEZ VOTRE TEMPS A CENSURER LES COMMENTAIRES DES INTERNAUTES POUR DES MOTS OU DES PHRASES INSIGNIFIANTS.
LA LIBRE EXPRESSION
17 h 05, le 07 avril 2021