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Société - Rencontre

Un an après sa tentative d’immolation, Salim Khaddouj lutte toujours pour survivre

Criblé de dettes et verbalisé par des policiers, le chauffeur de taxi avait craqué, il y a un an, au cœur de Beyrouth.
Un an après sa tentative d’immolation, Salim Khaddouj lutte toujours pour survivre

Un an après sa tentative d’immolation par le feu, la vie est toujours très difficile pour Salim Khaddouj. Photo Patricia Khoder

Chauffeur de taxi vivant de son labeur au jour le jour pour nourrir sa famille, Salim Khaddouj avait tenté de s’immoler par le feu et incendié sa voiture, en mars 2020, lorsque des gendarmes lui avaient collé des contraventions, qu’il jugeait iniques, près de la Cité sportive, à Beyrouth. Un an plus tard, il s’en souvient avec douleur et raconte sa vie difficile à L’Orient-Le Jour.

« C’était au début du premier confinement, j’avais été arrêté à un barrage de police au rond-point Cola. Il y avait trois passagers à bord de mon taxi alors que les règlements n’en autorisaient que deux à l’époque. Un policier qui allait me dresser un PV de 50 000 livres a prétendu que mes papiers n’étaient pas en règle, ce qui n’était pas vrai. Il s’est mis ensuite à me coller une série de contraventions pour un total de 3,5 millions de livres, avant d’appeler la fourrière, se souvient Salim Khaddouj. J’ai menacé de brûler ma voiture et de m’immoler, ce à quoi il a répondu : Vas-y, je m’en fous. » C’est à ce moment-là que tout a basculé. Khaddouj attrape une bouteille d’alcool qu’il avait achetée pour que ses passagers puissent se désinfecter les mains, conformément aux recommandations sanitaires au début de la pandémie du Covid-19. Il s’en asperge, arrose sa voiture, et met le feu. Rapidement, des passants éteignent les flammes. Partiellement brûlé, Salim Khaddouj est hospitalisé pendant 24 heures.

À sa sortie de l’hôpital, il a reçu de nombreux appuis. Le président de l’Université culturelle libanaise dans le monde, Abbas Fawaz, lui a offert une voiture neuve et le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi a réglé les 3,5 millions de livres de contraventions. « Il m’a donné rendez-vous au ministère, où je lui ai raconté ce qu’il s’était passé. Il m’a donné le montant des PV et un peu plus, puis je suis parti », dit-il. « J’étais profondément déprimé, vraiment triste, le jour où j’ai tenté de m’immoler. Je pensais à mes dettes, et cette histoire de contravention a été la goutte qui a fait déborder le vase », raconte-t-il.

Père de famille

Marié, père de trois enfants, deux garçons de 15 et 24 ans, et une fille de 22 ans, divorcée et mère d’un enfant de cinq ans, Khaddouj, 52 ans, vit avec sa famille dans un trois-pièces à Choueifate, dans la banlieue sud-est de Beyrouth. « Nous avons quelques meubles, deux vieux fauteuils, mais tous les appareils électroménagers tombent en pièces. Ma fille a vendu son alliance et sa bague en or pour acheter des matelas », dit-il.

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Le crâne rasé, édenté et portant d’épaisses lunettes de myopie, Khaddouj a suivi très peu d’études. Dès l’adolescence, il a fait des petits boulots, d’abord avec ses oncles maternels dans un magasin de produits sanitaires, puis en tant que portefaix au marché de légumes de la Cité sportive, où il avait été blessé lors d’un bombardement en 1990. « Je faisais partie des blessés qui ont été transportés en urgence en France, où j’ai passé trois mois et dix jours », raconte-t-il avant d’ajouter : « À l’hôpital, je ne comprenais rien à ce qu’on me disait ! »

Des marchandises et des passagers

De retour au Liban, il s’est mis à conduire des véhicules de transport de marchandises avant de devenir chauffeur de bus. « Je gagnais 600 000 livres par mois sur la ligne Beyrouth-Jbeil, une belle promenade que je faisais peut-être 20 fois par jour ». Salim Khaddouj est lancé. Il décide d’acheter une voiture neuve, espérant ainsi pouvoir mieux gagner sa vie comme chauffeur de taxi. Mais « les choses n’ont pas marché comme prévu ».

Salim Khaddouj n’aime pas étaler ses malheurs. C’est en passant du temps avec lui et au fil de la conversation qu’on découvre un homme digne qui finit par avouer qu’il ne mange pas à sa faim. Depuis sa tentative d’immolation, il souffre, en outre, d’un problème de tension artérielle. « Mais je n’ai pas de quoi payer les médicaments. C’est pourquoi je mange de l’ail, qui est réputé faire baisser la tension », dit-il.

Ayant contracté de nombreuses dettes, notamment par cartes de crédit et auprès des banques pour acheter la voiture qu’il a incendiée, il peine à rembourser ses emprunts. À quoi s’ajoute son loyer mensuel. « Cela me hante à longueur de journée. Cela fait trois ans que je n’arrive pas à rembourser ce que je dois chaque mois. J’aurais bien aimé vivre sans avoir de dettes, emmener, de temps à autre, ma famille au restaurant et être un peu tranquille », se lamente-t-il.

Le dîner de Salim Khaddouj se limite chaque soir à des frites. « Le matin, je mange une miche de pain en voiture, mais jamais avant d’avoir gagné 4 000 livres, le prix de deux sacs de pain. C’est ce que ma famille consomme au quotidien », dit-il. Pour ce gros fumeur, chaque passager équivaut à un paquet de cigarettes Cedars. Cinq passagers, c’est un plein d’essence, et plus la journée avance plus les passagers représentent pour lui une partie des dettes mensuelles à rembourser.

Parfois en soirée, il travaille chez un mécanicien, qui le paie 25 000 livres pour cinq heures de travail, au cours desquelles il nettoie l’atelier et balaie la rue. « Il n‎’y a pas de mal à balayer, l’important, c’est de ne pas voler », dit-il en confiant qu’un jour son fils l’a vu faire ce travail et en a eu honte.

Vous avez dit loisirs ?

Il y a bien longtemps, avant même de se marier, Salim Khaddouj allait dans des restaurants au bord d’une rivière au Liban-Sud. Il pouvait aussi s’acheter des vêtements neufs, mais aujourd’hui, c’est sa femme qui habille toute la famille aux puces.

Originaire de Meiss el-Jabal au Liban-Sud, il a vécu toute sa vie à Beyrouth et se rend dans son village deux fois l’an, « chaque 21 mars, jour de la fête des Mères, et au lendemain de la fête de l’Adha. Je vais au cimetière pour prier pour ma mère, mon père et mon frère ».

L’idée même de loisirs lui est étrangère. Avec sa jolie voix, il chante parfois en conduisant. Parfois aussi, il ose rêver. « Je veux juste pouvoir rembourser mes dettes et avoir une maison », lâche-t-il.Son seul vrai rayon de soleil, dans cette difficile vie, est son petit-fils de cinq ans. Tout son temps libre, il le passe avec lui. « Je suis prêt à mourir de faim pour tout lui assurer », dit-il.

Les suicides et tentatives de suicide, parfois au vu et au su de tout le monde en pleine rue, se sont multipliés au cours de la dernière année au Liban, alors que le pays traverse une crise socio-économique et financière aiguë, aggravée par les mesures sanitaires contre la pandémie. Désespéré le jour où il a tenté de s’immoler, le 24 mars 2020, Salim Khaddouj fait partie des centaines de milliers de Libanais dont la situation continue à empirer un an plus tard.

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