Le président libanais, Michel Aoun, a demandé mercredi à la Banque du Liban (BDL) d'enquêter sur la hausse du taux de change et de faire parvenir ses conclusions aux Libanais et à la justice. Cette requête a été transmise au gouverneur de la BDL, Riad Salamé, lors d'une réunion avec M. Aoun, alors que la monnaie nationale a atteint mardi le niveau record de 10.000 livres libanaises face au dollar, dans un pays qui doit faire face à des crises multiples. Officiellement, la monnaie locale reste indexée sur le billet vert au taux de 1.507 livres pour un dollar, observé depuis plus de deux décennies. Mais sur le marché noir, elle connaît depuis l'automne 2019 une dégringolade sans précédent.
Le chef de l'Etat a par ailleurs estimé que les manifestations ayant éclaté mardi soir, et qui se poursuivent sur le terrain mercredi avec la fermeture de plusieurs axes routiers, sont "légitimes", parce que les Libanais "ne peuvent pas se laisser appauvrir sans réagir".
Le président Aoun "a suivi avec grande attention les mouvements de contestation qui ont eu lieu dans différentes régions mardi soir" en réaction à la hausse du taux de change, indique un communiqué publié par le bureau de presse de la présidence. Le chef de l'Etat a dans ce cadre demandé à Riad Salamé, lors d'une réunion ayant eu lieu dans la journée, de faire la lumière sur les causes de cette hausse du taux "notamment au cours des quelques derniers jours" et de rendre publics les résultats de l'enquête lancée à ce sujet par la Commission spéciale d'investigation (CSI) "pour des raisons de transparence". Les conclusions de cette enquête devront également être transmises, à la demande du chef de l'Etat, au parquet général, afin que, s'il s'avère que des "opérations de spéculation illégales" ont été effectuées par certaines personnes, institutions ou banques, tous les responsables soient poursuivis en justice.
"Détresse financière et sociale"
Le président libanais a en outre souligné l'importance d'assurer aux déposants qu'ils puissent récupérer leurs fonds, regrettant que des "spéculations illégales et transferts suspects" avaient mené à la "perte d'une grande partie des dépôts" bancaires des Libanais, qui avait à son tour provoqué une certaine "détresse financière et sociale", ce qui explique que les Libanais soient descendus "crier" leur colère lors des sit-in de la veille. "Les gens sont descendus dans la rue et c'est légitime, parce qu'ils ne peuvent pas se taire alors que leurs droits sont bafoués, ni regarder sans rien faire alors que leurs fonds sont pillés. Ils ne peuvent pas se laisser appauvrir sans réagir", a-t-il ajouté.
Concernant ces mouvements de contestation, le chef de l'Etat a souligné que "le droit de manifester est sacré", rappelant toutefois que les forces de sécurité ont "l'obligation de protéger les manifestants, les biens publics et privés et d'assurer que le droit des gens à se déplacer est respecté".
Circulaire n° 154 et audit
Le président a par ailleurs demandé au haut responsable financier si l'application de la circulaire n° 154 de la BDL avait permis de récupérer une partie des fonds préalablement transférés à l'étranger par des "gros actionnaires ou responsables bancaires ou des dirigeants politiques ou hauts fonctionnaires". La circulaire, publiée fin août 2020, avait fixé à fin février la date butoir pour le placement de 3 % des dépôts détenus à fin juillet 2020 par les établissements bancaires du pays auprès de leurs banques correspondantes, en sus d’une augmentation de leur capital de 20 % par rapport au niveau de 2018 fixée, elle, à fin décembre 2020. Des mesures intervenant dans le cadre d’une restructuration du secteur nécessaire à une sortie de crise économique et financière dans laquelle est embourbé le Liban depuis la fin de l’été 2019.
Michel Aoun a en outre discuté avec le gouverneur de l'audit juricomptable de la BDL, affirmant que cette procédure "devait" être accomplie, étant donné que les raisons de son refus initial ont été éliminées. À ce sujet, le président Aoun a informé M. Salamé que le cabinet Alvarez & Marsal, qui était censé mener cet audit, "n'a toujours pas reçu de la part du ministère des Finances des réponses satisfaisante aux question qu'il avait déjà posé à la BDL", avant de jeter l'éponge. Le gouvernement négocie en ce moment le retour du cabinet en question pour mener cet audit. L'Etat libanais avait en effet signé en septembre 2020 un contrat avec Alvarez & Marsal, mais celui-ci avait finalement jeté l’éponge en novembre face au refus de la Banque centrale de lui fournir un certain nombre de documents et informations en invoquant le secret bancaire. Toutefois, le 21 décembre, le Parlement a adopté une loi levant ce secret sur les comptes de la BDL et des institutions publiques, permettant ainsi au Liban de reprendre contact avec la société d’audit la veille de Noël. Un nouveau contrat devrait être signé pour englober les comptes des institutions publiques. L’audit des comptes de la Banque centrale est l’une des réformes réclamées par la communauté internationale, condition sine qua non à tout déblocage d’une aide financière au Liban qui coule depuis plus d’un an dans un abîme économique et financier.
Le démenti de l'ABL
Dans la journée, l'Association des banques du Liban (ABL) s'est de son côté défendue de toute responsabilité dans la dépréciation record de la livre libanaise. Au moment où la Banque centrale demande aux banques du pays d'augmenter leur capital afin d'échapper à une liquidation, des observateurs estiment que certains établissements se sont rués sur le marché noir pour s'approvisionner en dollars, ce qui aurait provoqué la forte dépréciation de la livre libanaise ces derniers jours. Dans un communiqué, l'ABL a "démenti en bloc tout ce qui se dit ces derniers jours sur le rôle des banques dans la montée du taux du dollar sur le marché noir". "La demande de liquidités requises par la Banque du Liban en vertu de la circulaire 154 excède les 3,4 milliards de dollars pour le secteur. Serait-ce donc possible que les banques puissent capter un tel montant sur le marché noir local dont la taille n'excède pas les quelques millions de dollars ?", ironise l'ABL.
Selon elle, cette dépréciation est notamment due au "flou politique dans le pays (...) en l'absence de tout effort pour former un gouvernement", le pays étant sans cabinet depuis près de sept mois, "aux importations non subventionnées par la BDL, (...), à la raréfaction du dollar sur le marché local à l'ombre d'une baisse du mouvement de liquidités", ou encore "aux transactions en dollar sur les plateformes électroniques illégales". Dans ce contexte, le député Nabil Nicolas, affilié au Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, a fait une demande d'ouverture d'une note d'information contre ces plateformes électroniques qui se trouveraient selon lui au Liban mais à l'étranger aussi. L'Association des déposants libanais a elle aussi déposé une demande d'ouverture d'une note d'information auprès du parquet financier contre "des dizaines de personnes qui manipulent le taux de la livre et menacent la santé de la monnaie nationale".
Pas besoin de convoquer Salamé pour cette réponse. Je peux lui expliquer. La Livre Libanaise c’est comme son gendre, officiellement elle est toujours forte et appréciée et peu très bien tenir tête à la plus grande puissance mondiale et à sa monnaie. En réalité la Livre aussi bien que votre gendre, personne n’en veut car elle a montré ses limites, tout le monde est prêt à s’en débarrasser à très bas prix donc c’est normal que sa valeur vaille bientôt moins chère que les papiers qu’on a utilisé pour l’imprimer
23 h 55, le 03 mars 2021