
Gebran Bassil lors de sa conférence de presse, hier. Capture d’écran OTV
Mis au pied du mur par l’ensemble de l’éventail politique, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a tenu une conférence de presse télévisée hier pour réaffirmer, avec quelques variantes, ce qu’il préconise depuis des mois au sujet du gouvernement, en prenant garde de ne pas réagir directement aux propositions avancées la semaine dernière pour une sortie de crise, d’abord par le Premier ministre désigné Saad Hariri, ensuite par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah.
Accusé de bloquer avec Baabda le processus de formation du gouvernement, attendu depuis plus de six mois, le chef du CPL a tenté une fois de plus de se présenter comme le champion de la lutte de ce qu’il qualifie « les droits des chrétiens », faisant ainsi monter les surenchères confessionnelles, tout en prenant soin de lancer des messages contradictoires qui peuvent s’expliquer par une volonté de ne pas s’engager sur des points précis, en attendant que les tractations autour de la formation du gouvernement reprennent. Ces contradictions ont été cependant saisies au vol par ses détracteurs qui lui ont de nouveau reproché de maintenir le blocage gouvernemental. Le courant du Futur s’est empressé d’ailleurs de faire paraître un communiqué dans lequel il a de nouveau critiqué la politique suivie par le chef du CPL.
S’il s’est dit favorable à une formule élargie de 20, voire 22 ou 24 ministres, Gebran Bassil a naturellement réfuté les accusations lancées contre le tandem Baabda-CPL de mener une bataille pour obtenir le tiers de blocage au sein de la future équipe ministérielle. Il s’est cependant abstenu, pour la toute première fois depuis le début des tractations, de plaider pour la nomination d’un ministre druze proche de son allié Talal Arslane. Il est revenu en revanche à la fameuse notion du « ministre-roi », une espèce de joker ministériel qui pourrait faire pencher la balance dans un sens comme dans l’autre.
C’est sous l’angle du timing politique que la conférence de presse de M. Bassil devrait être abordée. Elle intervient à l’heure où la majorité des protagonistes lui refusent le tiers de blocage, à commencer par M. Hariri lui-même qui reste déterminé à former un cabinet de 18 ministres sans tiers de blocage, à l’heure où le leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt et le chef des Forces libanaises Samir Geagea multiplient les signes d’une farouche opposition au duo Baabda-Bassil. Les alliés du courant aouniste ont à leur tour mis le chef du CPL au pied du mur, le dernier en date étant le secrétaire général du Hezbollah. Dans son discours prononcé mardi dernier, Hassan Nasrallah avait explicitement fait comprendre à M. Bassil qu’il ne pouvait pas détenir seul le tiers de blocage. Un fait que ce dernier a lui-même reconnu. « Avec le Hezbollah, nous (le CPL et le chef de l’État) pouvons assurer la minorité de blocage », a-t-il dit.
Se montrant sur la défensive et tentant de se laver les mains de l’impasse actuelle, l’ancien ministre s’est efforcé d’assurer que le camp dont il relève ne veut pas de ce qu’il préfère appeler « le tiers de garantie » au sein du prochain gouvernement. « Si nous le voulions, nous le dirions et nous nous battrions pour l’obtenir, parce que c’est notre droit. Mais nous ne le réclamons pas parce que le gouvernement devrait être composé de technocrates indépendants et non partisans », a-t-il souligné.
Il reste que Gebran Bassil s’est montré contradictoire à ce sujet. S’il a assuré que ni Michel Aoun ni le CPL ne veulent de cette minorité destinée à bloquer au besoin l’action gouvernementale ou à faire tomber le cabinet, il a tenu à déclarer que le président de la République a le droit de plaider pour « le tiers de garantie ». Selon lui, « cela fait partie de la Constitution et garantit le partenariat en Conseil des ministres ». Sauf que les textes constitutionnels ne prévoient pas cela. L’article 69 souligne seulement que le gouvernement est considéré comme démissionnaire s’il perd le tiers de ses membres. « Pourquoi le président de la République et le plus grand groupe parlementaire ne peuvent pas détenir le tiers (de blocage) ? » s’est interrogé M. Bassil, rappelant que les sunnites peuvent faire tomber le cabinet par la simple démission du Premier ministre, de même que les ministres chiites relevant du tandem Amal- Hezbollah, et le druze affilié à Walid Joumblatt.
L’initiative aouniste
Sur ce dernier point, il est important de relever ce que Gebran Bassil n’a pas mentionné hier. Pour la toute première fois depuis octobre, il n’a pas réitéré son appel à une représentation de son allié druze, Talal Arslane, au sein d’une mouture élargie de 20 ministres. Il s’agissait pour lui d’une tentative de briser le monopole politique de Walid Joumblatt dans la Montagne druzo-chrétienne, fief incontestable du leader de Moukhtara. « En tant que Courant patriotique libre, nous proposons notre propre initiative, dans laquelle le président Aoun n’est pas intervenu, a-t-il souligné. Elle prévoit la formation d’un cabinet de vingt ministres au lieu de dix-huit (comme le souhaite Saad Hariri), mais n’accorde pas de ministre chrétien supplémentaire au président. » « Nous acceptons que ce ministre chrétien supplémentaire relève des Marada de (Sleiman Frangié), mais pas du Premier ministre désigné », a-t-il précisé, sans s’attarder sur le ministre druze qui devrait être incorporé au gouvernement parallèlement au chrétien supplémentaire.
S’agit-il d’une brèche pour faciliter la tâche au Premier ministre désigné? Le flou entoure la question, Gebran Bassil ayant évoqué le ministre-roi, dans le cadre de son initiative. « Si le chef du gouvernement désigné propose une entente autour de ministrables chrétiens suivant la logique d’un ministre-roi, nous ne voyons pas de problème à ce qu’il le fasse, à condition que cela s’applique aussi aux ministres musulmans », a expliqué le chef du CPL. S’agit-il d’une façon détournée d’obtenir le tiers de blocage ou bien d’une volonté explicite de maintenir le flou sur ses positions pour ne pas avoir à s’engager et à laisser ainsi la voie ouverte à des négociations ? Là aussi, la réponse n’est pas claire. Si Michel Aoun nomme un druze (relevant naturellement de Talal Arslane), la présidence et ses alliés obtiendront alors le tiers de blocage, une éventualité que Saad Hariri refuse catégoriquement, du moins jusqu’ici. Toujours dans le cadre de son initiative, le chef du courant aouniste a estimé qu’il « serait préférable que le nombre de ministres soit porté à 22 ou à 24, afin de respecter le principe de la compétence, et d’éviter le cumul de deux portefeuilles qui n’ont rien à voir » l’un avec l’autre. Et l’ancien ministre d’insister sur l’importance d’un « principe unifié » pour la nomination des ministrables. « Si le Premier ministre désigné dit qu’il choisit les ministres sunnites, qu’il opte pour le nom du ministre druze que lui propose le PSP, qu’il attend les noms des ministres du tandem chiite, cela signifie qu’il met en place une répartition partisane et confessionnelle des portefeuilles et il faut donc que ce principe s’applique aux chrétiens et que le président et tous les groupes parlementaires qui souhaitent participer au cabinet donnent les noms de leurs ministrables », a-t-il réaffirmé.
Le décompte
Répondant aux attaques en règle de Saad Hariri qui l’ont visé dans son discours du 14 février, il a employé le même ton en jouant sa carte la plus chère : la défense de ce qu’il estime être « les droits des chrétiens » face à un Saad Hariri qu’il accuse d’empiéter sur les prérogatives du président de la République. « Dans la lutte pour (le recouvrement) des droits, ne nous mettez pas à l’épreuve », a tonné M. Bassil, avant d’évoquer la question du décompte de la population. Pour consacrer la parité islamo-chrétienne, en dépit du déséquilibre démographique, Rafic Hariri avait prôné le principe de l’arrêt du décompte de la population. Gebran Bassil a, pour sa part, souligné avoir « été éduqué selon le principe que les musulmans protégeront le rôle des chrétiens même s’ils ne sont plus que 1 % de la population ». « Ne nous faites pas croire que nous vous sommes redevables parce que vous avez arrêté de recenser la population », a-t-il déclaré, en réaction aux propos de M. Hariri. Il a rappelé que son parti n’a pas nommé Saad Hariri pour diriger le gouvernement, mais qu’aujourd’hui il veut que ce dernier puisse former son équipe dans l’intérêt même du mandat, alors que celui-ci tire à sa fin. S’agit-il d’un message supplémentaire à décoder ? Peut-être.
Mis au pied du mur par l’ensemble de l’éventail politique, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a tenu une conférence de presse télévisée hier pour réaffirmer, avec quelques variantes, ce qu’il préconise depuis des mois au sujet du gouvernement, en prenant garde de ne pas réagir directement aux propositions avancées la semaine dernière pour une sortie de crise,...
commentaires (14)
Psst! Ça s'écrit sans "h" et avec un seul "e"...
Gros Gnon
22 h 10, le 22 février 2021