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Idées - Assassinat de Lokman Slim

Résister jusqu’au bout des mots

Que faire, que dire quand l’horreur frappe encore ? Quand elle nous prive d’un compagnon, d’une vigie à bien des égards unique ? Que faire si ce n’est céder la parole à ceux qui ne renoncent pas à la prendre, envers et contre tout ? Nous avons donc proposé à plusieurs auteurs d’investir nos colonnes avec leurs mots, pour que ceux de Lokman Slim ne cessent de résonner.
C.N.

Résister jusqu’au bout des mots

Le bureau de Lokman Slim. Anwar Amro/AFP

Solidarité renforcée


Il semble que dans les pays arabes, les assassins, où qu’ils soient – en Syrie, en Arabie ou ailleurs –, ne se rendent pas compte que l’assassinat politique est une arme qui ne fonctionne plus. Elle ne fait que renforcer la détermination de ceux pour qui la liberté élémentaire fait défaut et pour laquelle ils seront tous prêts à se battre jusqu’au dernier. Notre solidarité n’en sort que plus renforcée.

Etel Adnan, artiste

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Non !


Nous allons oublier Lokman, comme nous avons oublié tous les autres. Puisque toutes nos rengaines ne sont que des dénis. Liberté, justice, résistance, résilience, lutte, mémoire… C’est à rire de cet acharnement à répéter, à nous répéter, à meubler cette impuissance inavouée, depuis maintenant des décennies, à vouloir enterrer nos morts sans mourir, juste pour « remplir » ce vide sidéral.

Nous savons bien, tout comme le tueur, que c’est tout ce que nous allons faire : des lamentations et des condoléances qui ne passent pas, qui ne vont nulle part. Le tueur nous a déjà calculés avant d’aller au meurtre. Nous sommes tellement prévisibles. Tellement folkloriques. Peut-être même que c’est devenu une spécialité libanaise, comme le taboulé. Peut-être même que cela fait partie du patrimoine national, puisque nous usons du même lexique que les « partis » nationaux : résistance, liberté, justice… Tout le monde veut de « ça », en tête de liste nos jolies garces de chanteuses siliconées…

Nous ne crions plus, nous bêlons, le tueur le sait. Nous sommes faibles et brisés. Le tueur est trop fort et il le sait.

Tant que nous n’aboyons pas notre malheur sur les grandes places, nombreux, envahissants, belliqueux, têtus et intraitables…

Alors...

Hoda BARAKAT, écrivaine

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Armé de ses seuls livres


Le courage, le vrai, consiste à s’en prendre aux extrémistes de sa propre communauté, avant de dénoncer confortablement ceux des autres. Lokman Slim a tenu à affronter à mains nues, armé de ses seuls livres, de ses seules idées, de ses seuls principes, un mouvement devenu ultramajoritaire dans sa communauté. Il a mené ce combat tout en continuant de vivre dans sa vieille maison familiale, au cœur de la banlieue sud de Beyrouth. Son père, Mohsen Slim, avocat et parlementaire érudit, très apprécié par Michel Rocard, avait lui aussi mené des combats avant-gardistes et minoritaires. Il faut bien du courage au Liban pour affronter les majorités communautaires embrigadées, les partisans desquelles gagneraient à méditer la phrase de Mark Twain : « Chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, il est temps de vous arrêter et de réfléchir. »

Être minoritaire, c’est peut-être se retrouver isolé, mais c’est demeurer libre et ne jamais être obligé de suivre les passions tristes, de céder aux bas instincts, aux pulsions grégaires. Il était bien plus qu’un opposant au Hezbollah. Il était un passeur, une force tranquille, un polyglotte amoureux des belles lettres. Ses archives et son travail sur la mémoire de la guerre seront utiles aux prochaines générations. Et ses assassins ne feront que renforcer notre détermination à faire émerger un Liban fondé sur la citoyenneté, un Liban où les assignations à résidence identitaires et communautaires n’auraient plus leur place, un Liban où les armes ne pourront plus jamais faire taire la liberté, la parole et la plume.

Karim Émile BITAR, politologue

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Quelle faute a-t-il commise ?


Ma petite nièce m’a demandé hier quelle faute a commise Lokman Slim pour être ainsi exécuté de manière barbare. Je l’ai prise de court en lui disant qu’il écrivait des articles, faisait des enquêtes ou des films, il parlait, quoi. Au Liban, il devient de plus en plus périlleux de faire du journalisme, le parti des tueurs jouit d’une impunité totale, la justice est presque absente.

Douze ans après l’assassinat de Samir Kassir, un juge d’instruction m’appelle dans son bureau pour me demander le contenu de notre échange téléphonique, Kassir et moi, la veille de sa mort. Les victimes sont à découvert, mais les tueurs avancent masqués derrière leurs slogans de résistants et leur mainmise sur l’appareil d’État. Jusque-là, ils ne sont pas parvenus à nous faire taire. Des braves comme Gebran Tuéni, Samir Kassir ou Lokman Slim nous démontrent qu’ils n’y arriveront pas. Les assassins passeront, le Liban de Lokman restera debout.

Jabbour DOUAIHY, écrivain

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Et maintenant, que faire ?


Et maintenant que faire du peu de liberté qui reste ? S’en servir plus que jamais.

Se laisser contaminer par le courage de Lokman Slim. Retenir sa flamme. Ne céder ni à la peur ni à la haine. Préférer l’éthique à l’espoir. Se garder de tomber dans le piège qu’il a défié : celui du repli communautaire. Quitter les rangs d’un côté, se serrer les coudes de l’autre. Aborder la résistance – la vraie – par tous les bouts. Travailler à désamorcer le fanatisme : ne pas confondre ses assassins avec une confession, mais avec une politique. Rompre avec l’assignation identitaire. Comprendre que l’ennemi de l’ennemi n’est pas forcément un ami. Entrer partout en dissidence.

Dominique EDDÉ, écrivaine

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Lokman Slim. AFP/HO/Photo fournie par le bureau de M. Slim


Ta parole parlait pour la nôtre


Nous nous cachions derrière ton visage,

Ta parole parlait pour la nôtre.

Ta voix était plus forte que la nôtre.

Tu étais toujours présent quand nous étions absents,

Tu te souvenais là où nous nous efforcions d’oublier.

Tu as été tué !

Maintenant, c’est toi qui vis

Et nous qui mourons.

Samir EL-SAYEGH, poète (traduit de l’arabe par Mona el-Sayegh)

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L’horreur a de nouveau frappé


L’horreur a de nouveau frappé le Liban. Jusqu’où les ennemis de notre pays sont-ils prêts à faire descendre les Libanais, dans quels enfers, dans quels désespoirs ? L’assassinat de Lokman Slim est un crime contre tous les Libanais. Et tous les Libanais se rallient autour de lui et de sa famille pour témoigner que les valeurs défendues par les intellectuels de tout bord vont se trouver décuplées et vont revivre plus fort qu’avant. Le fascisme ne passera pas.

Simone FATTAL, artiste

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Qui sont les « chiites d’ambassade » ?


D’abord, on est submergé par un pur sentiment de tristesse. Rien d’autre, ni peur ni colère. Lokman n’est plus, mais il reste vivant en chacun de nous, qui voulons libérer le Liban des occupants.

La mort de Lokman n’est pas seulement celle d’un ami très cher, c’est une perte nationale. Une perte pour tous les Libanais qui défendent encore leur liberté d’opinion et de conscience ; leur droit à un pays libre, indépendant et souverain ; l’intégrité de leurs frontières comme leur appartenance à la communauté internationale et à la famille arabe.

Je blâme ceux qui m’interrogent : êtes-vous ciblés comme opposants chiites ? Certes, nous le sommes, mais c’est avant tout le Liban qui l’est, ce sont les hommes et femmes libres qui le sont.

Je blâme ceux qui me demandent : allez-vous émigrer ? Comment assurez-vous votre sécurité ? Et je leur rétorque : à quoi pensez-vous ? Que les ambassades, dont nous serions les « agents », nous affectent des services de protection ? Que notre État a cette dernière à cœur ?

Que l’on ne s’y trompe pas : s’il y a des « chiites d’ambassade », ce sont ceux de l’ambassade d’Iran. C’est publiquement que les ambassades occidentales établissent des relations avec les Libanais, pas en secret. Elles n’abattent pas ouvertement leurs opposants à leurs portes, sans que les autorités libanaises ne bronchent. Que Dieu ait pitié de Hachem Salmane !

Moi-même ainsi que tous les opposants de toutes les communautés sommes libanais et nous élevons la voix pour exiger que nos institutions officielles nous protègent. En commençant par faire la lumière sur le meurtre de Lokman Slim. On attend de voir...

Mona FAYAD, écrivaine (traduit de l’arabe)

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C’est la pensée qui est assassinée


Aucune interrogation n’est de mise, aucune interprétation n’a de prise, aucun mot ne saurait avoir d’emprise. Quand un homme de pensée est tué, ce n’est pas d’un assassinat qu’il s’agit, quelles que soient la tristesse et la colère qui nous étreignent face à cette disparition. L’assassin d’un homme dont la fonction est de porter la vérité à bout de mots n’est pas un meurtrier ordinaire. Il ne défigurera pas le corps pour effacer ses empreintes de tueur et ne cherchera pas à brouiller les traces de son forfait. Il laissera le corps mort livrer son message. Il ne signera pas son crime par des paroles de haine. Il hait la parole !

Quand un homme meurt de la mort de Lokman Slim, c’est la pensée qui est assassinée. C’est son dédain qui est étalé à l’instar du corps brisé et abandonné comme une expression suprême du mépris. Les meurtriers de Lokman Slim et leurs patrons ne parlent pas la langue qui échange et raisonne, qui pense et argumente. Ils ne croient ni aux vertus du verbe, ni à sa nécessité, ni à son utilité. L’instinct définit leur humanité défigurée par la volonté de dominer, de terroriser et d’asservir. Le meurtre est la seule langue que pratiquent ceux qui ne parlent pas.

Dès lors, qu’on prenne garde ! Ce n’est pas le retour de la barbarie qui s’annonce. Elle ne nous a jamais lâchés. Elle ne nous a jamais quittés. C’est la persistance de son règne qu’elle vient nous rappeler, elle qui est fille de nos défiances, l’enfant de nos silences. Ceux qui ne parlent pas face à la terreur s’exposent à laisser parler la terreur à leur place. La parole commencée un jour d’octobre doit être ressuscitée. Il faut se lever. Et parler. Pour que la parole qui vit et construit terrasse les codes abjects de la mort.

Joseph MAÏLA, politologue

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La parole peut déranger le monstre


Lokman Slim aura porté à lui seul les plaies de notre pays, et tenté par son travail et son inlassable activité d’en indiquer les remèdes et d’y œuvrer. Par son entreprise d’archivage et d’exploration sans concession de l’histoire récente du Liban, il palliait l’incroyable capacité à l’oubli et au déni qui caractérisent notre société. Par son travail de chercheur et d’éditeur, il contribuait à maintenir vivante la tradition en déshérence qui fit du Liban un phare de la pensée dans la région. Par son courage extraordinaire d’homme public et d’analyste, il maintenait vive la possibilité de croire encore en la vérité face à la manipulation et au mensonge que sont devenus la pratique et le discours politiques dans ce pays. Enfin, par son obstination formidable à continuer à vivre dans la banlieue sud, dans cette maison semblable à un havre des temps anciens, il manifestait le refus obstiné et grandiose de voir le pays réduit à des territoires homogènes par la pensée autant que par les appartenances.

C’est précisément à tout cela hélas que ses assassins ont voulu mettre un terme. Mais ça, nous le savons, comme Lokman Slim le savait. Or, l’écrire peut-il désormais suffire ? N’avons-nous pas assez écrit et exprimé notre colère depuis quinze ans que nous marchons derrière les cercueils des meilleurs hommes assassinés par le même monstre brutal et stupide qui dévore tout ce qui vaut dans ce pays ? Peut-être pas, ou alors pas assez clairement.

Ce que la vie, le travail et le courage de Lokman Slim nous ont appris, c’est qu’en attendant de trouver le moyen d’agir, il est encore nécessaire d’écrire, de parler, inlassablement et dans le souci du vrai, comme il le faisait. Son assassinat, hélas, est la preuve que la parole peut déranger le monstre. En attendant de l’affronter autrement.

Charif MAJDALANI, écrivain

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Un dissident, un vrai


Lokman était un dissident, un vrai, comme on en voit peu au Liban. Sans jamais se lasser, il a mené jusqu’au bout un combat pour la liberté et la justice dans un pays où le confessionnalisme résiste à tout, même à la décomposition. C’est pour cela qu’il était en danger. C’est dans cette posture, cette obstination que réside son courage.

Ce combat pour la dignité de l’individu sacrifié sur l’autel du communautarisme, il l’a mené avec une conviction dont la force n’a eu d’égale que la violence à laquelle elle s’opposait. Malgré elle, il s’est acharné à concrétiser ses projets, les protégeant ainsi des états d’âme susceptibles de les entraver.

Il a mené son combat corps à corps avec cette violence nichée dans tous les plis de notre pays. Il savait qu’il en serait un jour victime, éliminé par cette brutalité sans bornes qu’il combattait.

Son absence sera de celles qui amplifient la solitude de ceux qui peinent à vivre dans des espaces soumis à des contraintes liberticides.

Amal MAKAREM, écrivaine

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Mettre un point final à l’amnésie


Je ne connaissais pas Lokman Slim. Mais son engagement, le travail entrepris dans le cadre des ONG Umam et Hayya bina qu’il avait créées avec son épouse, le Hangar où se déroulaient expositions et événements culturels.

Deux choses se détachent avec force dans le portrait qui se dessine de lui. En premier lieu, sa détermination à engager un travail de mémoire sur les années de guerre au Liban, à mettre un point final à l’amnésie qui n’avait donné naissance qu’à l’amnistie. Amnistie grâce à laquelle les chefs de guerre ont continué à prendre le pays en otage pendant les trente années qui ont suivi. Il voulait que l’on regarde en face les blessures laissées par la violence civile, seule façon de faire face puis de faire avec, seule façon de reconstruire enfin. Tout aussi forte est sa conviction que le confessionnalisme est un virus à éradiquer de façon radicale. Il avait constaté combien ce poison s’était répandu avec virulence depuis la fin de la guerre civile : « Les communautés sont nos prisons », avait-il déclaré.

Mais il y a encore une chose qui impressionne. Son calme. L’absence de peur. Il savait. Il se savait menacé puisqu’on était venu jusque sous ses fenêtres pour le lui cracher. Mais il n’avait pas peur. Il n’avait que ses écrits à opposer à leurs armes, que son sourire tranquille à opposer à leurs vociférations. C’est peut-être cela qui s’imprimera en nous. Cette exigence-là. De n’avoir pas peur.

Georgia MAKHLOUF, écrivaine

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Non à l’assassinat politique !


Tout d’abord, non à l’assassinat politique.

Une société où le pluralisme et la liberté d’expression sont condamnés n’est qu’un amas de choses et d’êtres humains privés d’existence réelle. C’est exactement ce que veulent ceux qui ont tué Lokman Slim et, avant lui, nombre de penseurs, d’écrivains et de journalistes, dans un État incapable de protéger ses citoyens.

Toute contestation de leurs idées se traduit, chez les tueurs, par la négation de l’humanité de leurs opposants et de leur droit d’adopter des idées différentes des leurs. Pour imposer une seule opinion absolue, ils croient à tort que se débarrasser de leurs adversaires, c’est se débarrasser aussi de leurs idées. En effet, on ne tue pas une idée. Surtout, on ne tue pas l’homme porteur de cette idée. Le contraire, c’est la barbarie.

Terroriser les gens, mais il y a ceux qui n’ont peur ni de la terreur ni de la mort. Ceux qui meurent pour la liberté savent mieux que quiconque que la liberté ne meurt pas.

Issa MAKHLOUF, écrivain

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La parole et l’action


Lokman Slim était un intellectuel d’un inégalable courage. Dans un arabe limpide et précis, il disait inlassablement son humanisme et sa liberté. Conscient qu’un mensonge est mieux contredit et combattu par une vérité que par un autre mensonge, ou par la répétition de propos ambigus si chère à de nombreux politiques. Pour lui, la parole et l’action ne pouvaient divorcer. Les mots ne servent pas à voiler les intentions et les actes, ne servent pas à détruire ou venger, mais à reconstruire.

La condition de pluralité pleinement assumée est une catégorie du politique qui fondait, à ses yeux, le vivre-ensemble. En niant la pluralité, le Liban se rétrécit aux dimensions des communautés réinventées pour devenir, ou simplement paraître, homogènes. Il se rétrécit au point où l’individu devenu citoyen n’est pas reconnu.

Ainsi, la fermeté de ses prises de position n’aurait su, à ses yeux, faire l’économie du débat ni même du dialogue. Mais ses détracteurs, ceux qui ont tenté de l’intimider et n’ont cessé de le menacer, ne s’encombraient pas de cette nécessité. Soucieux de domination qui réduit les personnes différentes à une identité immuable, ils voulaient qu’il renonce à son autonomie et à son jugement. Il ne l’a pas fait.

Tarek MITRI, politologue

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Le tueur sait qu’il survivra


Le tueur sait qu’il survivra.

Nombreux sont ceux qui avant lui ont fait ce qu’ils savaient faire : tuer et survivre.

Aujourd’hui encore, rien n’a changé avec l’assassinat de Lokman Slim, le courageux.

Tout comme rien ne changeait hier avec l’assassinat de Samir Kassir

Tout comme rien ne changera demain avec un autre rêveur de changement... Lequel n’adviendra pas

Les tueurs vivent longtemps

En Syrie et au Liban

Ils vivent longtemps, ils gouvernent, ils jouissent, ils disparaissent un jour, confiants de n’être jamais dérangés jusque dans leurs morts.

La main du tueur n’a pas tremblé à l’instant de tirer la balle qui a traversé le crâne de Lokman Slim

Son œil n’a pas cligné lorsqu’il a scruté l’œil de son mort.

Le tueur et les siens n’ont rien à nous dire. Ils tuent les yeux grands ouverts, avec une extrême attention et toutes les garanties qu’ils survivront

Le tueur de Lokman Slim survivra à son crime comme ont survécu les tueurs de Samir Kassir, Gebran Tuéni, les auteurs de la double explosion du port de Beyrouth, comme ceux qui, il y a une décennie, ont tué à l’arme chimique dans la Ghouta, ceux qui ont exécuté la tuerie de Hama des décennies plus tôt

Il n’y a aucune raison pour qu’ils cessent de survivre.

Les gens, ici, dans ces pays, sont en attente de leurs tueurs tandis que leurs tueurs aux projets « divins » attendent le bon moment.

Adieu le rêveur Lokman Slim, la dernière fois que nous nous sommes rencontrés et avons levé nos verres, tu portais sur le visage ton sourire ironique qui ne cessera de les narguer

Ce verre que nous avons levé restera levé.

Fouad MOHAMMAD FOUAD, poète (traduit de l’arabe par Soha Boustani)

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Le sceau de la réconciliation


Slim ! Ton assassinat fait entendre l’écho de cette loi ancienne que tous les dictateurs n’ont de cesse de vouloir poignarder : tout ce qui est bon éclot toujours au soleil. Ton impitoyable bonté, aujourd’hui où ta disparition résonne en moi comme une immense déflagration, fera surgir dans les générations à venir une forêt.

Ton entêtement à la bonté m’apprend ceci : au lieu du sceau de l’extermination, il nous faut nous battre, chacun par ses moyens, pour faire en sorte que plus rien ne puisse jamais s’appeler victoire s’il n’est pas marqué par le sceau de la réconciliation. Les mots sont faibles pour dire la peine, mais comme ils ont toujours été, pour toi, les armes les plus puissantes, ces mots-là, nous continuerons à leur faire confiance.

Merci à jamais pour ce que tu continues à être pour qui, quel qu’il soit, croit encore au sens des mots honneur et dignité.

Wajdi MOUAWAD, écrivain

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Il faut libérer l’otage Liban !


Je suis bouleversé par l’assassinat de Lokman Slim, qui était un intellectuel courageux et un éditeur respecté. Mais comment s’en étonner ? Depuis des années, les obscurantistes, qui prétendent combattre d’autres obscurantistes, ont adopté le meurtre comme instrument de censure. Combien de journalistes, combien d’hommes politiques libanais ont été éliminés parce que leur parole libre gênait ?

Le laxisme de notre justice, l’incompétence de nos enquêteurs qui n’ont élucidé aucun assassinat politique depuis 1943, la complicité des autorités qui couvrent les criminels par crainte ou complaisance, et le jugement décevant du Tribunal spécial pour le Liban censé punir les auteurs et les commanditaires de l’attentat, qui a coûté la vie à Rafic Hariri, ont sans doute encouragé les tueurs à reprendre du service.

Pour éviter la répétition du sinistre scénario de 2005-2006, plusieurs mesures sont nécessaires : une enquête internationale immédiate sans aucune limitation ; la protection de l’armée pour tous les militants menacés; et un appel à la communauté internationale afin d’aider le Liban à sortir de ce cercle vicieux imposé par les partis hégémoniques stipendiés par l’étranger. Il faut libérer l’otage Liban !

Alexandre NAJJAR, écrivain

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Repose en puissance


Lokman Slim n’était pas seulement le militant chiite anti-Hezbollah, et son assassinat ne relève pas seulement du coup politique classique visant à terroriser les dissidents. Les six balles, cinq dans la tête et une dans le dos, qui ont mis fin à la vie de mon ami sont également le reflet de ses paroles : pour lui, le Liban et son État étaient occupés par l’alliance sacrilège entre les oligarques corrompus et les armes iraniennes. Si Lokman restera toujours dans les mémoires comme la voix du courage et de la volonté d’instaurer un État laïque moderne, il ne faut pas oublier son rôle pionnier d’éditeur et de cofondateur de la prestigieuse maison d’édition Dar al-Jadeed. Fondé avec sa sœur Rasha, ce moteur du dynamisme culturel beyrouthin publiait des œuvres aussi élégantes que controversées et stimulantes.

Cinéastes renommés, Lokman et son épouse Monika Borgmann ont aussi produit parmi les plus belles œuvres existantes sur la guerre civile libanaise ; le tristement célèbre massacre de Sabra et Chatila ; et, plus tard, les témoignages des horreurs vécues par les détenus politiques de la prison de Tadmor, sous le régime des Assad.

Si nous sommes privés du corps de Lokman, sa voix, son éloquence et ses œuvres demeurent immortelles, tout comme sa bravoure et son esprit exceptionnel.

Repose en puissance mon ami !

Makram RABAH, politologue (traduit de l’anglais)

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De Mahmoud Darwich à Cioran


À la fin de la guerre, Lokman avait publié Mahmoud Darwich mais aussi une traduction arabe de la poésie d’Emil Cioran. Alors que je m’étais ruée sur le nouveau recueil de Darwich, Lokman, d’un demi-sourire flegmatique et de son regard pénétrant, m’offrit le recueil de Cioran. C’est ainsi que je découvris la poétique de cet intellectuel magistral, qui fut un antidote au désespoir et aux hallucinations euphoriques des années 1990. Ainsi j’ai pu atterrir moins brutalement chaque fois que je risquais de tomber de trop haut.

Le regard pénétrant de Lokman, sa bienveillance et sa générosité mal voilées lors de nos rencontres resteront associés à l’image que je vais sauvegarder de lui, que je suis déterminée à préserver. Mais surtout, le plaisir le plus fin que je ressentais quand on discutait ou quand je l’écoutais discuter avec les autres parce qu’il prenait le temps de peser ses mots, de respirer, de réfléchir et d’écouter. Il était un discutant formidable, il souriait aussi sincèrement et largement quand il gagnait la partie que quand il la perdait. Ses amis, ses ennemis, ceux qui l’écoutaient, ceux qui désiraient sa compagnie ont perdu un combattant courageux, infatigable et charismatique. Il nous lègue la volonté de rester debout et de regarder les assassins droit dans les yeux. Jusqu’à ce que justice soit établie. Il nous lègue aussi une source d’archives inestimable sur cette partie du monde construite avec patience et générosité.

Rasha SALTI, artiste

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Merci d’avoir rêvé


Je ne veux plus et ne voudrais plus être une pleureuse. Je n’ai cessé depuis ma naissance de pleurer famille, terre, maison, village, patrie. Les amis, les exodes, les adieux. Les tragédies grecques je veux les lire, les regarder sur scène, je ne veux plus les vivre. La mort, qu’elle soit de vieillesse ou d’un cœur brisé, mais qu’elle ne soit plus d’explosion, d’assassinat... Je ne veux plus trouver les moyens créatifs d’expliquer la guerre aux enfants, je ne veux plus chercher les mots qui apaisent après l’horreur et la laideur infligées par des humains à d’autres. Je voudrais rêver. Rêver d’un pays pour les âmes libres, libres de leurs opinions, libres de la violence, du sectarisme, du mercantilisme aveugle. Que personne ne me dise que les rêves dans notre pays sont un luxe. Non, les rêves donnent du souffle, de l’espoir, ils font rêver les autres, ils rassemblent autour d’eux comme un feu, ils inspirent et nourrissent l’imaginaire. Je ne veux être entourée que de rêveurs.

Lokman le fut et le restera toujours, un grand rêveur. Il m’a donné des clefs de rêves comme il l’a fait pour tant d’autres. Quand j’avais vingt ans, il m’a regardée droit dans les yeux avec son regard perçant et son sourire perturbateur et m’a dit : tu es une rêveuse, ne laisse personne t’arrêter de rêver. Il a compris que les rêves ne meurent pas en tuant le rêveur, c’est pour ça qu’il ne craignait pas la mort, au contraire en tuant les rêveurs les rêves deviennent plus libres, plus forts, éternels. Avec chaque tueur de rêves, chez nous et partout dans le monde, à chaque mort d’un rêveur, nos rêves deviennent plus forts. À Lokman : merci d’avoir rêvé.

Nadine TOUMA, éditrice

Solidarité renforcée Il semble que dans les pays arabes, les assassins, où qu’ils soient – en Syrie, en Arabie ou ailleurs –, ne se rendent pas compte que l’assassinat politique est une arme qui ne fonctionne plus. Elle ne fait que renforcer la détermination de ceux pour qui la liberté élémentaire fait défaut et pour laquelle ils seront tous prêts à se battre...

commentaires (4)

"Résister jusqu’au bout des mots" la caricature de Boo de cette semaine illustre de façon inouïe cette article!! Merci Lokman, notre Héro, pour ton sacrifice et merci Boo pour l'avoir mystifié si simplement!!

Wlek Sanferlou

15 h 18, le 07 février 2021

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Commentaires (4)

  • "Résister jusqu’au bout des mots" la caricature de Boo de cette semaine illustre de façon inouïe cette article!! Merci Lokman, notre Héro, pour ton sacrifice et merci Boo pour l'avoir mystifié si simplement!!

    Wlek Sanferlou

    15 h 18, le 07 février 2021

  • Inspirée par Antoine mais hors concours : La terre est bleue comme une mère son fils héros exécuté Les balles mortelles et silencieuses Dispersent les mots éviscérés à la recherche d'un sens fugace tonitruant, ensanglanté La terre est mots et perte et larmes Comme tous nos reveils Beyrouthins.

    Mishka Mourani

    21 h 08, le 06 février 2021

  • C’est à qui le tour ? Le pire, c’est qu’à chaque fois, on dit les mêmes choses, non pas des lieux communs, mais on tient les mêmes propos. Condamnations, prise de parole, et que la mort de l’intellectuel est déjà annoncée, et ce n’est pas une question de "contingence", de l’inattendu, car Lokmann Slim même, a mis en garde les chefs politico-militaires de sa communauté, sans que personne ne s’en préoccupe. Il rejoindra la grande liste des "martyrs", et pour tourner la page de cette condamnable vague d’assassinat, une presse, une certaine presse va s’employer à tourner la page, la triste page des martyrs qui n’ont d’autres armes que le mot, et leur maigre liberté d’expression.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 57, le 06 février 2021

  • De très beaux témoignages d’amour et de reconnaissances à ce grand Monsieur qui mettent du baume au cœur, mais est ce suffisant? Tous les intellectuels libanais, où qu’ils se trouvent dans le monde et dans notre pays devraient descendre dans la rue pour manifester leur détermination à ne pas se soumettre ni se taire pour que ces lâches assassins comprennent qu’ils ne font peur à personne et que la mort aussi barbare qu’il veulent la montrer pour l’exemple et pour les limoger ne tuera pas les idées et les projets constructifs dont les victimes propagent pour éclairer le monde même mortes. Notre inaction face à leur lâcheté leur fait croire qu’ils finiront par gagner la bataille. Combien d’intellectuels et de penseurs libres pensent ils assassiner pour arriver à leur but de faire taire la vérité avec leur balles et leurs explosifs? Dix, vingt, trente, mille? Les intellectuels sont beaucoup plus nombreux que leurs mercenaires et les membres de leur milice et ne feront pas le poids. Seulement il faut qu’on le leur montre. Le fait de voir enfin les élites de tous bords et dans tous les domaines descendent dans la rue donnera du courage à tous ceux qui ne croit plus en ce pays et finiront par admettre qu’il faut qu’on agisse face à cette barbarie pour sauver notre dignité et ce que nous avons de plus chère, notre liberté de penser. Nous sauverons ainsi notre pays. Malheureusement dans notre pays seuls les assassins et les vendus sont protégés.

    Sissi zayyat

    12 h 11, le 06 février 2021

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