Un faisceau d’indices ténus semblait se dessiner hier dans l’affaire de l’assassinat de l’intellectuel et activiste politique Lokman Slim, retrouvé mort jeudi matin sur une route du caza de Zahrani, abattu de cinq balles dans la tête et une sixième dans le dos.
L’une des raisons pour lesquelles le récit de ses dernières heures reste insuffisamment étoffé, c’est que sa famille est réticente à coopérer avec la justice libanaise. De fait, le corps de l’activiste supplicié a été transporté hier de la morgue de l’hôpital gouvernemental de Saïda, où il se trouvait depuis la veille, à celle de l’Hôpital américain. « La famille va choisir un médecin légiste en qui nous avons confiance pour déterminer le type de balles qui l’ont tué », a affirmé hier soir à L’OLJ la sœur du disparu, Rasha Slim al-Ameer. Il s’avère quand même que, selon son témoignage, Lokman Slim a été a minima battu, voire torturé, avant d’être abattu, puisque son visage était par endroits tuméfié. L’autopsie du corps a été achevée hier, a précisé Mme Ameer, mais il faudra plusieurs jours pour que le rapport du médecin légiste soit prêt. Si la famille est si réticente à se confier à l’enquête locale, a-t-elle précisé, c’est en partie à cause de l’inqualifiable froideur dont l’agent du poste de gendarmerie appelé au secours mercredi soir a fait preuve. Informé de la disparition de l’éminent chercheur par sa famille de plus en plus inquiète, ce dernier a invoqué toutes les raisons – futiles en une heure si grave – que la procédure lui permet de soulever : « Est-ce un cas d’abandon de domicile ? En tout cas, il faut attendre 24 heures avant de déposer une plainte », etc. « Merci, s’est exclamée la sœur de l’activiste assassiné, je n’ai pas besoin d’une telle justice. Je sais qui a tué mon frère ! »
Par ailleurs, les disposions de l’enterrement de Lokman Slim n’ont pas encore été prises, apprend-on, ce dernier ayant toujours souhaité être incinéré, ce qui heurte les croyances de certains membres de la famille. « Nous sommes toujours sous le choc. Nous ne pouvons pas prendre ce genre de décision en ce moment », a déclaré Rasha al-Ameer.
Les renseignements des FSI
L’enquête est conduite par le bureau des renseignements des Forces de sécurité intérieure, qui a recueilli les dépositions des personnes avec qui M. Slim avait passé la soirée avant de disparaître ainsi que celles des proches. Toutefois, s’ils retiennent la voiture de location que conduisait Lokman Slim, les enquêteurs ne disposent pas de son téléphone, retrouvé par ses proches à quelques centaines de mètres du domicile des amis qu’il avait visités, à Niha (Tyr), le mercredi soir fatidique, et dont il avait pris congé autour de 20 heures pour regagner Beyrouth. Ultime réflexe de défense d’un homme pris au piège, il n’est pas impossible que la victime ait intentionnellement laissé tomber son portable avant d’être contraint de suivre ses ravisseurs. Toujours est-il que l’appareil a été retrouvé par la famille grâce à une application propre à ce Smartphone. En ce qui concerne le téléphone et la question de savoir en la possession de qui il serait, Rasha al-Ameer se contente de répondre : « Je ne peux pas confirmer ce détail. » Dans son édition d’hier, le quotidien al-Akhbar, proche du Hezbollah, a rapporté qu’en apprenant la mort de Lokman Slim et l’ouverture d’une enquête sur les circonstances de son décès, des voisins ont rapporté à la police avoir remarqué que le jour de l’assassinat, ils avaient observé vers 13h, dans le périmètre du domicile des amis de l’activiste à Niha, une Toyota de type Camry à bord de laquelle ne se trouvait que le conducteur. La Toyota aurait été rejointe à la tombée du jour par un tout-terrain à bord duquel se trouvaient deux ou trois personnes.
Plusieurs éléments de pistes
Quoi qu’il en soit de la disposition à coopérer des proches, l’enquête conduite par les FSI dispose quand même d’éléments intéressants, dont les dépositions des proches, le témoignage des voisins, qu’ils peuvent corroborer avec des vidéos de caméras de surveillance, les empreintes prélevées sur la voiture de location, l’examen des échanges téléphoniques qui ont eu lieu dans le quartier avant et au moment présumé de l’enlèvement de l’activiste, la nature de l’arme utilisée par les assassins et ce qu’elle révèle de ses utilisateurs. Par contre, les routes secondaires étant nombreuses dans la région, il pourrait être difficile d’établir l’itinéraire suivi par la voiture louée par Lokman Slim entre le domicile de ses amis à Niha et la petite route longeant l’autoroute entre Addoussiyé et Touffahta (Zahrani), 36 kilomètres plus loin, où elle a été retrouvée rangée sur le bas-côté de la route.
La résidence de Haret Hreik surveillée
En revanche, les enquêteurs ne pourront pas ignorer le témoignage de Rasha al-Ameer qui a déclaré au micro d’al-Jadeed que le Hezbollah surveillait les déplacements de Lokman Slim grâce notamment à deux caméras installées devant sa résidence à Haret Hreik et à deux hommes qui faisaient le guet. Les enquêteurs devraient également s’intéresser aux propose de la journaliste franco-libanaise Mona Alami qui estime que Lokman Slim a été assassiné en raison des recherches qu’il était en train d’effectuer sur les activités financières du Hezbollah (voir par ailleurs). Dans la même veine, le journaliste Ricardo Chidiac a confié à la MTV que l’intellectuel avait démonté dernièrement certains segments des réseaux du Hezbollah, en particulier ceux concernant « l’économie parallèle » du parti pro-iranien, et qu’il avait reçu des menaces répétées de la part de certaines voix « aux accents indubitables » à ce sujet. En avait-il trop appris ?
Nos farces de l'ordre ont d'autres priorités. Elles sont trop occupées à s'assurer que le prestige de la "présidence forte" n'est pas égratigné sur les réseaux sociaux...
21 h 59, le 06 février 2021