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Culture - Disparition

L’ambassadrice de cœur des Arméniens du Liban a déposé ses pinceaux...

Malgré un combat âpre et acharné contre le coronavirus, Lucy Tutunjian a succombé à cette redoutable maladie. Lumière sur un parcours riche, doublé d’humanisme et de générosité.

L’ambassadrice de cœur des Arméniens du Liban a déposé ses pinceaux...

Lucy Tutunjian, artiste polyvalente à part entière. Photo DR

Née en Égypte, au Caire, en 1931 et installée depuis les années 1960 sur une colline de Baabdate au Liban, dans sa demeure entourée de verdure, Lucy Tutunjian, toujours souriante et accueillante, est une artiste polyvalente à part entière. À un âge vénérable, elle a succombé au Covid-19. Elle laisse un souvenir impérissable non seulement avec les deux galeries phares dont elle était l’esprit, le moteur et le rayonnement (Hamaskaïne et Collège Haïgazian), mais aussi grâce à un nombre incalculable de toiles aux couleurs vibrantes qui témoignent de la vie des Arméniens et de la diaspora des enfants du pays de Naïri. Lucy Tutunjian, c’était à la fois une artiste rompue à la tâche avec ses innombrables expositions privées et collectives, une grand-mère qui donne un exemple de vie à ses petits-enfants (tout en leur racontant des histoires drôles pour les stimuler au travail), une pianiste dilettante jouant une mazurka de Chopin au clavier pour se détendre, une jardinière inspirée, taillant et émondant en douceur ses rosiers parfumés, un cordon-bleu invitant les artistes à sa table toujours en fête (« Quand je cuisine, je pense aux gens que j’aime », disait-elle)… Ses recettes de gastronomie arméno-asiatique, elle les a rassemblées dans un livre (aujourd’hui, succès oblige, épuisé !) qui a fait la joie des adeptes des fourneaux. Lucy Tutunjian, avant d’être une petite tornade constamment en mouvement, représentait la force tranquille et tonique d’une créativité intense et communicative.

Constante jeunesse d’esprit

Si ses centres d’intérêt et ses préoccupations étaient multiples, entre famille, fourneaux pour des plats amoureusement mitonnés et de longues heures au piano pour déchiffrer un Impromptu de Schubert, c’est toutefois la peinture qui eut le dessus. Lucy Tutunjian découvre, assez jeune, les jeux des couleurs, le mystère des lignes, le secret de la lumière, l’émergence d’un univers qui récrée la vie et capte surtout les instants bénis, les moments de paix, de plénitude et de sérénité. Au fil du temps, ses pinceaux, de plus en plus affûtés et exigeants, servent des thèmes certes familiers mais embrassant des zones plus amples. L’amitié et l’enseignement de Paul Guiragossian (à qui elle rendra plus tard un vibrant hommage à travers sa palette) donnèrent une impulsion nouvelle à sa créativité. Avec une constante jeunesse d’esprit et un regard empreint d’empathie et sans jamais oublier le noir du génocide arménien.

Dans ses toiles à l’huile (qui était son matériau favori), Lucy Tutunjian érige un univers tissé de silence, de rires d’enfants, d’heures de lecture, à l’ombre d’un arbre, de visages heureux, de campagne où flore et humains cohabitent en toute harmonie. Du figuratif au fauvisme en passant par le naïf, les scènes de la vie ordinaire, dans un mélange de nature libanaise et d’environnement nostalgique imaginaire, s’égrènent à profusion sur ses toiles presque toujours de petite et moyenne dimension, comme un apaisant antidote aux souvenirs amers et douloureux du passé. Elle prise des couleurs jamais criardes, violentes ou marquées, où dominent le bleu cobalt ou pétrole et le vert jade ou amande. Avec des pointes d’ocre comme une terre blessée, ainsi que ce filet de couleur grenat, un véhément rappel pour évoquer son arménité dans un environnement où elle s’est pourtant parfaitement intégrée. Durant plus d’un demi-siècle, ses œuvres, d’avant et d’après-guerre, ont orné les cimaises de diverses galeries. Lucy Tutunjian compte à son actif plus de trente expositions, de New York à Montréal en passant par New Jersey et Le Caire, pour finir à Beyrouth. Dans la capitale libanaise, ses points marquants vont de la galerie Alecco Saab et l’hôtel Phoenicia à Emmagos en passant par la salle de Richard Chahine, l’espace Matossian du Collège Haïgazian et bien entendu la galerie Hamaskaïne qui porte d’ailleurs son nom en toute discrétion. La discrétion a d’ailleurs empreint tout ce qu’elle a accompli durant sa vie, avec notamment ses toiles, toutes vendues au profit d’œuvres caritatives. Elle avait ce talent unique d’offrir aux autres, et surtout aux étudiants nécessiteux, les moyens de mener leurs études universitaires. Elle fut aussi l’une des égéries les plus actives pour se joindre au comité pour le centenaire du génocide arménien.

Donner du bonheur

Jusqu’au bout, Lucy Tutunjian, authentique ambassadrice de cœur des Arméniens du Liban, aura été cette artiste qui fait de magnifiques combinaisons en mêlant les mélodies du clavier à celles de ses tableaux chantant la joie et le bonheur de vivre, quand de la cuisine montent les effluves au parfum vertigineusement épicé pour des plats savoureux, délicieusement concoctés…

Ce n’est guère un hasard, dans ce monde tristement mercantile et matérialiste, si le souvenir d’une phrase lancée un jour lors de l’une de nos rencontres restera en mémoire. « Ce n’est pas l’argent qui rend heureux, mais c’est aider les autres, donner de la joie et du bonheur… » avait-elle dit en substance, avec la bonhomie, la modestie et la pureté de cœur qui la caractérisaient.

Née en Égypte, au Caire, en 1931 et installée depuis les années 1960 sur une colline de Baabdate au Liban, dans sa demeure entourée de verdure, Lucy Tutunjian, toujours souriante et accueillante, est une artiste polyvalente à part entière. À un âge vénérable, elle a succombé au Covid-19. Elle laisse un souvenir impérissable non seulement avec les deux galeries phares dont elle était...

commentaires (2)

Que Dieu ait son âme!!

Wlek Sanferlou

17 h 06, le 02 février 2021

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Commentaires (2)

  • Que Dieu ait son âme!!

    Wlek Sanferlou

    17 h 06, le 02 février 2021

  • Merveileux hommage à une grande dame et artiste aux talents multiples. Merci Lucy et que nous en gardions un souvenir très lumineux et plein de joie à partager avec les autres.

    MIRAPRA

    04 h 36, le 02 février 2021

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