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Société - Reportage

« Bien sûr que nous avons peur du coronavirus, mais nous devons travailler »

« À chaque photo publiée dans les médias, les policiers viennent nous coller des contraventions. Ils ne s’en prennent à nous que parce que nous sommes pauvres », s’insurgent les marchands du souk de Sabra.

« Bien sûr que nous avons peur du coronavirus, mais nous devons travailler »

Le souk de Sabra grouillant de monde, hier, malgré le confinement. Ne pas travailler signifie ne pas pouvoir manger pour les commerçants du souk. Photo Patricia Khoder

Debout derrière un étal de fruits et légumes aux couleurs éclatantes, dans le camp de Sabra, Mounir, qui paraît beaucoup plus vieux que les 42 ans qu’il annonce, explique que l’équation est simple pour lui comme pour les autres commerçants de ce marché populaire : « Bien sûr que nous avons peur du coronavirus, mais nous n’avons pas le choix. Si nous ne travaillons pas, nous mourrons de faim. » Ce réfugié palestinien né dans le camp attenant à celui de Chatila est père de cinq enfants, dont l’aîné a seize ans. Depuis des dizaines d’années, il est marchand des quatre-saisons dans le souk de Sabra. Non loin de lui, un adolescent syrien, le corps frêle et les cheveux noirs, tire péniblement une charrette couverte de légumes. Il vit au Liban depuis plus de cinq ans, avec une partie de sa famille. Il n’a jamais été à l’école et travaille dans ce souk depuis son arrivée au Liban.

Dans la foule, certains portent des masques, d’autres pas. Les gens se bousculent pour acheter des fruits et légumes, beaucoup moins chers que dans le reste de Beyrouth. « J’ai très peur mais je suis obligée de venir ici » parce que c’est bon marché, murmure une jeune femme élancée, voilée et portant un masque.

Pour mémoire

« Nous sommes passés par beaucoup d’épreuves, mais ces jours sont les plus noirs de notre vie »

Depuis le début du confinement strict décrété le 14 janvier dernier par les autorités, des images circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux de ce souk grouillant de monde, comme si la pandémie de Covid-19 n’existait pas. Ce marché où les fruits, les légumes, la viande et le poulet côtoient les vêtements, les chaussures et toute sorte de marchandises, dessert le bidonville et le camp de réfugiés palestiniens attenant où vivent, au cœur de Beyrouth, des Libanais, des Palestiniens, des Syriens, des Irakiens, des Africains et des Asiatiques, ayant tous la pauvreté en partage.

Hier, les marchands du souk, d’habitude calmes, souriants et accueillants, manifestaient une certaine colère envers toute personne étrangère au camps posant des questions et prenant des photos. « Vous nous accusez de propager la maladie. À chaque photo diffusée dans les médias, les policiers viennent nous coller des contraventions. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à nous parce que nous sommes pauvres. Vous êtes tous des criminels, vous ne savez pas ce qu’est la pauvreté. Vous ne vous rendez pas compte que si nous ne travaillons pas, nous ne mangeons pas », crie Haytham, la cinquantaine, père de trois enfants.

Comme de nombreux marchands du souk, Haytham est libanais. Et ce sont surtout ces marchands libanais qui faisaient entendre leur voix hier. Comme si les autres voulaient rester invisibles pour ne pas s’attirer les foudres de la police ou encore de leurs voisins libanais qui en veulent désormais à tous les étrangers qui les entourent dans un contexte de crise économique aiguë.

Deux femmes qui viennent de terminer leurs courses au souk de Sabra. Photo Patricia Khoder

« Des voleurs qui nous ont dépouillés »

« Les Libanais sont les plus humiliés. Les Palestiniens ont l’Unrwa pour les aider et les réfugiés syriens encaissent des dollars des Nations unies (HCR) pour survivre. Nous, Libanais, n’avons personne. Pire encore, des voleurs nous ont dépouillés de tout », s’insurge Tarek, un marchand des quatre-saisons libanais né à Chatila. Les cheveux gris et le dos voûté, l’homme assure qu’il n’a jamais été aussi pauvre. « Oui, j’ai peur du coronavirus, mais je dois travailler pour vivre. Je fais 20 000 livres par jour alors qu’il m’en faut 100 000 pour que toute ma famille puisse manger un plat chaud. Je ne sais pas ce qu’il faut faire. Les Libanais n’ont jamais eu faim. Je n’ai jamais été riche, mais je ne me suis jamais privé de nourriture. Or avec la bande de voleurs aujourd’hui au pouvoir, nous sommes affamés », insiste-t-il.

Son voisin Khalil, qui vend toute sorte d’épices, de noix et de fruits secs, renchérit : « Depuis quand un Libanais se prive-t-il de viande, de poulet et de légumes ? »

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Les propos des deux marchands attirent d’autres personnes qui se joignent à la conversation pour lancer les pires insultes aux dirigeants, surtout au chef de l’État Michel Aoun. « Les musulmans n’ont plus leur mot à dire dans ce pays. Et les chrétiens ont été tués dans l’explosion du port. Plus de 6 500 blessés et 220 morts dans cette catastrophe qui a détruit Beyrouth-Est et personne n’a bronché », s’insurge encore Tarek, dans une allusion à la mainmise du Hezbollah sur le pays. Le ton monte encore et les insultes reprennent. Un jeune arborant une chemise blanche bien repassée raconte qu’il habite non loin de Saïda, qu’il est venu en visite et qu’il est depuis plus d’un an au chômage. « Regardez l’indigence autour vous. Même le coronavirus ne pourrait pas survivre ici », dit-il d’un air las et triste.

Debout derrière un étal de fruits et légumes aux couleurs éclatantes, dans le camp de Sabra, Mounir, qui paraît beaucoup plus vieux que les 42 ans qu’il annonce, explique que l’équation est simple pour lui comme pour les autres commerçants de ce marché populaire : « Bien sûr que nous avons peur du coronavirus, mais nous n’avons pas le choix. Si nous ne travaillons pas,...
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Quand le gouvernement assumera ses responsabilités vis à vis du peuple, alors on pourra exiger du peuple qu'il obéisse et cela est valable pour n'importe quel gouvernement!

Politiquement incorrect(e)

18 h 45, le 01 février 2021

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Commentaires (1)

  • Quand le gouvernement assumera ses responsabilités vis à vis du peuple, alors on pourra exiger du peuple qu'il obéisse et cela est valable pour n'importe quel gouvernement!

    Politiquement incorrect(e)

    18 h 45, le 01 février 2021

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