Pire que le virus !

Ainsi, non seulement on se fait tarter à rester chez soi sans provision, parce que nous sommes le seul pays au monde à avoir cadenassé les magasins d’alimentation ; sans argent, parce que les banques s’en servent pour barboter dedans et se refaire une santé ; sans mobilité en raison d’un couvre-feu sans cesse renouvelé, parce qu’un gouvernement d’ignares avait décidé de lâcher la bride pendant les fêtes… Il faut en plus se coltiner les états d’âme des guignols du pouvoir et de l’opposition, qui continuent de se castagner en se donnant en spectacle à guichets désertés, et qui pour conjurer ces temps de pénuries placent leurs âneries sous le signe de l’abondance. Une classe politique génétiquement momifiée, aux dentiers vibrant au rythme des vociférations publiques. Bref, une véritable maison de retraite. Pire, le musée de l’Homme !

Que la République se recueille et fasse silence : une nouvelle expérience est en marche et des neurones orphelins carburent à plein régime. En gros, la bisbille des deux dernières semaines oppose l’Amer Michel 1er du Château au Futuroscope désigné du doigt mais sommé d’obéir à l’œil. À bien y regarder, les deux pépères sont bien décidés, rien que pour avoir le dernier mot, à se faire la gueule et s’entre-bouffer jusqu’au dernier affamé libanais.

Y a-t-il une solution alors ? Inutile de phosphorer, il n’y en a pas… Que font donc nos deux amis, calfeutrés chacun dans sa bulle ?

Ils inventent des phrases que personne ne comprend et qui ne mangent pas de pain, du genre : « Seuls les critères unifiés permettront de voir le bout du tunnel » ; « Le Liban ne peut voler qu’avec ses deux ailes » ; « Ni vainqueur ni vaincu... ». Sauf que les neuneus qui y croient encore n’ont jamais été informés de la longueur exacte du tunnel afin d’en voir le bout, que le truc des deux ailes n’explique pas pourquoi dans ce pays de bouffons les communautés se massacrent allègrement depuis des siècles. Quant à la farce « Ni vainqueur ni vaincu », tous les Libanais savent que les vainqueurs sont généralement sans cœur et les vaincus bien au-delà de vingt.

Bien entendu, la camarilla des larbins de tous bords prêche en même temps l’amour de « l’autre », sans appréhender qu’au Liban il y a toujours une tripotée « d’autres », chaque « autre » pensant qu’il est plus « autre » que tous les autres.

Tant et si bien qu’entre les gougnafiers de la politique qui jappent, le dollar qui dérape et une vie quotidienne qui décape, l’art de vivre à la libanaise en a pris un sacré coup. Tiens, même le coronavirus effaré finira par se tirer vers des cieux moins infectés.

gabynasr@lorientlejour.com