Mais cette recherche n’est pas franchement déclarée et, partant, n’est pas organisée. Les « conférences de dialogue national » ont tenté de lui donner une forme, mais aucune n’a encore été jusqu’au bout de sa finalité et l’on parle toujours d’une Constituante, dont on impute principalement la volonté à la communauté chiite, qui se considère défavorisée au niveau des institutions que se sont partagées les communautés maronite et sunnite. La recherche d’un nouvel équilibre s’est donc transformée en lutte tantôt sourde, tantôt ouverte, pour une part du pouvoir. Elle se manifeste clairement au moment de la formation des nouveaux gouvernements par la revendication d’une troisième signature exécutive par la communauté chiite, face aux deux signatures de la communauté maronite et de la communauté sunnite. Hélas, cette lutte en est venue à affecter le vouloir-vivre ensemble qui en est la base.
Dans un entretien avec Éric Plouvier (*), Paul Ricœur affirme que le vivre-ensemble est quelque chose de fragile qui « ne peut être l’objet d’une connaissance immédiate ; il ne se connaît pas lui-même ». Comme la marche, qui se prouve en marchant, le vouloir-vivre ensemble se décrit plus facilement qu’il ne se définit.
Dans un entretien informel sur cette question accordé à L’OLJ, l’essayiste Mona Fayad s’est plue à en décrire certaines manifestations, affirmant que le vécu quotidien nous en donne tous les jours des signes. « Par exemple, précise-t-elle, il se manifeste dans les égards que l’on observe aux repas d’invitation, où un chrétien ne servirait pas d’alcool par respect pour un invité musulman (rigoriste), par respect pour cet interdit alimentaire prescrit par sa foi, et où un musulman insisterait pour que le chrétien en boive, pour ne pas le priver de ce à quoi il est habitué. »
« Ce renoncement réciproque est l’essence du vivre-ensemble, assure-t-elle. C’est en quelque sorte un don mutuel sous la forme d’un renoncement. » « Il en va ainsi dans la vie quotidienne, où nous acceptons des personnes différentes de nous comme elles sont, et non comme nous voulons qu’elles soient : le vivre-ensemble tient compte ainsi de l’identité composée de l’autre », ajoute Mme Fayad. « Au niveau du vécu et des habitudes sociales, ce vouloir-vivre ensemble se manifeste quand une famille musulmane donne un prénom “chrétien” à un nouveau-né – estimant que, ce faisant, elle trompe l’ange de la mort ; ou quand une musulmane visite pieds nus le couvent de Saint-Charbel, et une chrétienne parcourt pieds nus le sanctuaire de Sitt Zeinab (en Syrie). » « Notez, enchaîne-t-elle, combien de noms de famille se retrouvent dans toutes les communautés, les Fayad, les Husseini, les Chéhab, les Nasrallah; voyez comment il se manifeste aux fêtes, dans l’installation d’arbres de Noël, dans les invitations réciproques à consommer certaines pâtisseries à certaines fêtes ; dans le nombre grandissant de mariages mixtes qui, en général, s’avèrent durables. »
Pour Mona Fayad, « le vivre-ensemble au Liban est le résultat d’un désir des chrétiens de vivre avec les musulmans, et vice-versa ». « Il y a même une impossibilité d’organiser leur vie indépendamment les uns des autres, insiste-t-elle, et souvent, la preuve de l’acceptation de l’autre se traduit par le soin le plus grand que l’on prend pour le lui montrer. René Girard a analysé cette crainte du même (qui fait naître la rivalité mimétique). Nous sommes parfois plus détendus en présence de l’autre, en raison même de notre différence. »
Aujourd’hui, la rivalité intercommunautaire pour le contrôle de la décision nationale, la méfiance qui s’est installée entre les communautés en raison du manque d’équité et de transparence, chacune soupçonnant l’autre d’accaparer les biens (médicaments, aides, vaccins, hôpitaux de campagne), ou les postes pour elle toute seule, le vouloir-vivre ensemble, qui est essentiellement à l’origine de ce pouvoir, selon Ricœur, paraît affaibli. Pourtant, c’est là le trésor que Jean-Paul II tient pour « un message » qu’il nous rend responsables de préserver coûte que coûte. Mais que faire pour le préserver ?
L’un des moyens les plus sûrs de le faire, c’est d’emboîter le pas au pape François et de se joindre à son effort pour semer de nouvelles semences de paix à l’horizon islamo-chrétien. Accompagnant la mondialisation économique et les liens planétaires que tissent les moyens de communication, le pape François tente de l’accompagner sur le plan spirituel, moral et social d’une pensée à la mesure des bouleversements qui se produisent. Dans sa récente encyclique « Frères de tous », il poursuit, sur le plan interreligieux, l’effort de rapprochement avec le monde sunnite entamé avec sa visite au Caire, puis la signature avec l’imam d’al-Azhar du document sur la Fraternité humaine signé à Abou Dhabi en 2019. Et pourquoi ces efforts de rapprochement interreligieux ne toucheraient pas la sphère chiite ? C’est vrai, il y a une dérive du Hezbollah, mais… Il faut parler au Hezbollah en esprit de douceur, et lui montrer ce dont il se prive – la liberté –, en poursuivant aveuglément une politique expansionniste destructrice pour le Liban pluraliste. C’est dans le prolongement de l’effort du chef de l’Église catholique pour dissocier le religieux de son instrumentalisation politique que les Églises au Liban pourraient faire avancer les choses, dans un effort parallèle pour devenir l’Église des Arabes dont rêvait en visionnaire le père Jean Corbon, au-delà du nombre de fidèles que compte chaque Église particulière, en cette époque de malheurs qui a réduit de moitié, au moins, le nombre des chrétiens d’Irak et de Syrie.Et comme le roi Salomon a fait venir le maître-artisan Hiram de Tyr pour lui couler en bronze les ornements du Temple de Jérusalem et lambrisser de madriers de cèdre ses murs et ses voûtes, ainsi pourrait-on emprunter à d’autres cultures religieuses ce en quoi elles excellent, nous les approprier et... vivre ensemble.
(*) in Philosophie, éthique et politique (Seuil)
vivre ensemble il y a qu un moyen durable qui respecte la citoyentée de chacun ! c est déclaré le liban un pays laic civil , que des libanais , meme droite pour tous , que chacun garde sa religion pour lui , ca va etre difficile car depuis 100 ans que le liban existe on a essayer de formater les gents de la sorte pour servir l interret des gouvernants et des religieux de tout bord
20 h 20, le 27 décembre 2020