
Nidal Haddad Abou Charaf, un hymne à Beyrouth. Photo DR
Parce qu’il faut consoler son âme, adoucir, si cela est possible, la douleur et les blessures profondes de notre ville, parce que Beyrouth est inconsolable, épuisée, en quête d’un second souffle après la double explosion du 4 août, Nidal Haddad Abou Charaf a décidé, dans un réflexe de survie, de recueillir et de partager le témoignage de 65 citoyens, écrivains, artistes, illustrateurs, poètes et journalistes présents sur place « le jour de cette terrible catastrophe ». « C’est un peu, dit-elle, comme si tout avait explosé, tout était sorti des entrailles de la ville, le meilleur et le plus misérable… » Après des études en beaux-arts à la LAU et une approche de l’art sous toutes ses formes, peinture, sculpture, céramique, écriture, Nidal Haddad – petite-fille de Abou Melhem, célèbre personnage télévisé des années 60 et 70 – passe par la case design de bijoux et deux expositions, L’immaculée conception et, quelques années plus tard, Le printemps des bijoux. Le métier d’éditrice s’est imposé à elle parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, ayant elle et son époux « de nombreux projets et poèmes dans le tiroir… » et qu’elle tient à prendre en main la conception d’un livre jusqu’à la mise en page finale. Entre autres publications, Calima éditions artliban sort son premier ouvrage collectif, Sursauts d’une nation – 17 octobre 2019, qui revient, à travers la plume d’une quarantaine de témoins, sur cette page « indélébile » de l’histoire du Liban. « Le 17 octobre a mis en lumière les dysfonctionnements du pays, mais le 4 août a dévoilé le pire et nous a mis à nu… » précise-t-elle.
Les bénéfices de l’ouvrage, paru en France et au Liban, iront entièrement à la Croix-Rouge libanaise.
Témoins du pire
C’est un peu dans cette même approche que se construira Beyrouth à cœur ouvert, des textes recueillis, appuyés cette fois-ci par des photos ou des illustrations, de « personnes qui ont vécu ce drame, certains blessés, tous miraculés… ». « J’étais à Kfardebiane, à 1 400 m d’altitude, se souvient Nidal. J’ai senti les deux explosions. » Dès qu’elle comprend ce qui se passe, elle se dirige vers la ville et les quartiers sinistrés avec son époux Charaf Louis Abou Charaf, président de l’ordre des médecins. À la recherche de proches blessés, elle côtoie des médecins, des urgentistes, des victimes, des corps, devenant ainsi témoin de l’insupportable.
« Le lendemain, se souvient-elle encore, lorsque j’ai découvert le visage de la ville, défigurée, j’ai senti que c’était le même spectacle que celui des personnes que j’avais vues la veille. » Alors, quand elle reprend son souffle, après une semaine pendant laquelle elle n’a pas pleuré, « comme si j’avais tari », dit-elle, elle a aidé comme elle a pu. « Plus on en faisait, et plus je voyais l’énormité des destructions et la charge de ce qui restait à faire. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de monter un projet personnel où je pouvais être utile et ramener de l’argent », explique-t-elle.
Pages extraites du livre « Beyrouth à cœur ouvert ».
Emportée par un élan irrationnel et la nécessité à la fois de faire son deuil et de ne pas oublier, elle décide donc de mettre son métier, sa maison d’édition et son énergie au service de Beyrouth et d’une cause, la Croix-Rouge libanaise, présente sur le terrain avant, pendant et après le 4 août. L’ouvrage, un projet commun coédité avec VLB éditions, n’a, comme le répète l’éditrice, « ni l’ambition ni la prétention d’être une réflexion politique ou autre, mais plus un livre-mémoire, un parmi d’autres, parce qu’il reste tant de témoignages encore à partager ».
Pages extraites du livre « Beyrouth à cœur ouvert ».
Comme personne dans le monde n’a oublié ce qu’il faisait le jour de l’assassinat de JFK, ou le 11 septembre 2001, personne n’oubliera, au Liban, et au sein de la diaspora, ce qu’il faisait à l’instant de la première, puis de la seconde explosion du port. Ni les bruits des sirènes, ni les cris, les silences, ni la peur, ni l’incrédulité. Dans ce livre, soixante-cinq personnes y reviennent avec leur ressenti. Et pour ceux qui reprochent à l’éditrice un livre « trop beau pour un événement aussi moche », elle répond : « À quoi sert l’art, alors ? C’est une façon comme une autre d’exorciser le mal, de panser les blessures. Il y a bien eu le Requiem de Mozart, le Guernica de Picasso, Le cri de Munch. Et puis, si c’est pour la bonne cause, pourquoi pas ? » Un livre très à propos en cette triste période de fêtes où Nidal Haddad évoque à son tour son ressenti : « Je pense à Beyrouth, qui a perdu ses bruits quotidiens pour cinq secondes. Comme un arrêt cardiaque. Les battements se sont tus pour cinq horribles secondes et puis la vie a repris le dessus et le cœur s’est remis à trembler, à boiter, à aboyer. Les plaies sont béantes et la douleur est intense. Mais la vie nous invite à nous agripper aux fils de l’espoir. Je prie pour la reconstruction humaine de ma ville, de mon pays. »
Pages extraites du livre « Beyrouth à cœur ouvert ».
*Les bénéfices de « Beyrouth à cœur ouvert » (Calima éditions artliban et VLB éditions) seront entièrement versés à la Croix-Rouge libanaise. Le livre est en vente, en France, à la FNAC, l’Institut du monde arabe, la Librairie de l’Orient et, au Liban, dans toutes les branches de la Librairie Antoine.
Les contributeurs
Moustapha Abdulwaheb
Tia Abi Aad
Yara Abi Akl
Nassar Abi Khalil
Père Richard Abi Saleh
Charaf Louis Abou Charaf
Yasmina Abou Charaf
Karl Akiki
Gisella Tamraz Akl
Carla Bejjani Aramouni
Nour Asmar
Joëlle Ayache
Amale Baalbaki
Antoine Boulad
Josyane Boulos
Nayla Carmen
Ghada Chreim
Ivan Debs
Gabriel Deek
Océane Descedres
Rola el-Eid
Carole Élias
Michel Esta
Michèle M. Gharios
Elsa Ghossoub
May el-Hachem
Nidal Haddad
Alexis el-Haiby
Haya Hamadé
Nicole Hamouche
Jad Hatem
Nelly Hélou
Carla Henoud
Randa el-Kadi Imad
Carole Chammas Kareh
Houda Kassatly
Sylvia Keyrouz
Marcelle Khabbaz
Père Gabriel Khairallah
Faten Kikano
Salma Kojok
Zeina Komboz
Zalfa Louise
Josiane M.
Raphaëlle Macaron
Georgia Makhlouf
Karl Mansour
Wissam Melhem
Nadine Mokdessi
Mishka Mojabber Mourani
Dia Mrad
Fady Noun
Nada Bejjani Raad
Bahjat Rizk
Rami Rizk
Zeina Mangin Salibi
Carla Sayad
Sabine Sebaaly
Janis Sarraf Tabet
Khalil Wanna
Xinhua
Christiane Dagher Yacoub
Jessica Yacoub
Ramy Zein
Antoine Zoghbi.
Quand il est impossible de dire les choses, et cela s’appelle un interdit, et la crainte de diluer la vérité, mieux vaut alors s’organiser pour publier. Toutes les publications sont bienvenues, et c’est plutôt un acte de résistance. Je suis ravi de lire Pour l’amour de Beyrouth, Liban 17 octobre 2019 sursauts d’une nation, ou Liban un siècle de tumulte, et Le Liban n’a pas d’âge, et je commanderai les autres, et le livre dont il est question dans l’article. C’est de La Résistance à cette tentation de vite tourner la page de la double explosion, et de penser cyniquement à plus important. Il y a un bémol aux textes que j’ai lu, car je suis resté sur ma faim, de ne pas trouver une réponse à mes interrogations, mais peu importe. Saisissante la lettre de refus, à une éditrice de ces livres, de participer à son projet, avec l’alibi que le confessionnalisme mène finalement à la banqueroute, sans prendre de la hauteur et le prouver par des arguments ou par des images. De l’imposture, du refus de témoigner, mais alors mieux vaut de ne rien dire. Bonne chance à la filleule d’Abou Melhem, et tout le succès pour sa maison d’édition.
16 h 01, le 17 décembre 2020