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Lifestyle - Caricature

Quand Youssouf Franko Koussa bey égratignait la haute société ottomane

Une caricature d’un dignitaire de l’armée aurait signé la fin de la carrière de celui qui occupait aussi un poste au ministère ottoman des Affaires étrangères.

Quand Youssouf Franko Koussa bey égratignait la haute société ottomane

Couverture de l’album de Youssouf bey, « The Charged Portraits of Fin-de-Siècle Pera », collection Omer M. Koç.

Membre de haut rang au sein de l’administration ottomane, Youssouf Franko Koussa bey (1856 -1933) était un caricaturiste talentueux. Issu d’une famille melkite (appartenant à l’Église grecque-catholique) qui avait émigré du Liban-Nord à la fin du XVIIIe siècle, Youssouf Franko Koussa bey avait été précédé par son père, Nasri Franko Koussa, qui avait gravi les échelons de la bureaucratie ottomane, avant d’être nommé moutassarref (gouverneur) de la province ottomane du Mont-Liban. L’un de ses fils, Fetty bey Franko, fut ministre à Belgrade, tandis que Yousouf bey fut nommé, comme son père, gouverneur du Mont-Liban, avant d’occuper des postes importants au ministère ottoman des Affaires étrangères. En raison de ses fonctions, Youssouf Franko Koussa bey, qui a passé la majeure partie de sa vie à Istanbul, était à la fois membre et observateur de la haute société de Pera (Beyoğlu). Ministres, cadres administratifs ottomans, diplomates, pachas et éfendis, chanteurs d’opéra célèbres, peintres, membres de l’élite de Pera fin de siècle (le Beyoğlu d’aujourd’hui)... Autant de personnes qu’il a mises en scène dans ses caricatures peintes à l’aquarelle et qu’il a lui-même réunies dans un bel album de format oblong. Ce recueil de caricatures avait disparu à sa mort, en 1933. Mais en 1957, un diplomate américain en vacances à Istanbul avec sa femme le déniche chez un marchand de tapis du grand bazar. Immédiatement, l’Américain est fasciné par cet album de 86 pages regorgeant de dessins satiriques de la période ottomane datés de 1884 à 1896 et exceptionnellement bien conçus. Intitulé The Charged Portraits of Fin-de-Siècle Pera et signé Youssouf Franko bey, l’album va parcourir le monde avec le diplomate, s’arrêtant au Népal, en Birmanie, au Cambodge, au Vietnam, en Indonésie, au Japon et au Vermont.


Couverture de l’album de Youssouf bey, « The Charged Portraits of Fin-de-siècle Pera », collection Omer M. Koç.


En 1966, un article dans le magazine d’art américain Horizon le présente aux connaisseurs et aux historiens de l’art. Traduit en turc, l’article est republié dans le journal Hayat Tarih Mecmuası en 1969. Mais voilà que le recueil disparaît à nouveau. On ne le retrouvera que des décennies plus tard dans une collection privée à Toronto. Nouveau rebondissement en 2016, quand le milliardaire et mécène turc Ömer M. Koç réussit à l’acquérir, l’ajoutant ainsi à sa collection au musée d’art contemporain dans le quartier Dolapdere, à Istanbul. En 2017, l’album fait l’objet d’une grande exposition au Centre de recherche sur les civilisations anatoliennes de l’Université Koç à Beyoğlu. Une publication reproduisant les caricatures dans leur intégralité est même désormais disponible à la vente sur Amazon.


Sarah Bernhardt lors de son passage au Naum Theatre, ancien théâtre de Pera. Illustration tirée de l’ouvrage de Youssef bey


Notables et diplomates en vedette

L’album initial de Youssouf bey est composé de 125 aquarelles collées sur de grandes planches et légendées en français par leur auteur. Elles sont datées de 1884 à 1896, du temps du sultan Abdul Hamid II. Le plus souvent, elles sont réalisées suivant la technique portrait-charge, la combinaison d’une grosse tête reconnaissable sur un corps rétréci et disproportionné. Il en est ainsi pour le Comte Gallina, juché sur une poule, clin d’œil à l’étymologie latine gallina. C’est le cas aussi de Mr. Tower, secrétaire de l’ambassade d’Angleterre, dont le corps a été intégralement remplacé par une tour de pierre cylindrique. En ce qui concerne le chargé d’affaires de France Gabriel Hanotaux, Youssouf bey lui fait porter des ballons de baudruche sur le dos, l’ensemble symbolisant les diverses affaires discutées entre la France et la Sublime Porte. Salomon Fernandez, financier juif, est auréolé d’une myriade de pièces d’or dont certaines sont anthropomorphisées pour agacer l’homme d’argent. Si parfois Youssouf bey se montre relativement bienveillant à l’égard de ses cibles, il peut aussi faire preuve d’une certaine hostilité en les représentant sous une forme animalisée. C’est le cas des conseillers de la Sublime Porte et de ses collègues du ministère des Affaires étrangères : Gabriel éfendi Noradungyan (en perroquet), Nişan éfendi Civanyan (en macaque) et Nikolaki éfendi Sguridis (en singe africain). Nichan éfendi, grand officier de l’ordre de la Légion d’honneur, est quant à lui affublé de pattes de gallinacé (de dindon, synonyme de bêtise), doté de grandes oreilles et d’un nez proéminent. Sur son bureau trône un Code des abrutis.


Le secrétaire de l’ambassade de France représenté dans son salon oriental par Youssouf bey. Illustration tirée de l’album


Pendu

Le général Ristow pacha est également durement brocardé, peint, en 1884, dans une posture plutôt déshonorante pour un militaire. Dans deux fameuses croquades, il est représenté, d’une part, assis à sa table, le visage rubicond ; de l’autre, se gavant de différents plats et de vin, avant de s’affaler sur sa chaise et de « mourir au champ d’honneur », comme l’indique le titre.

Youssouf serait-il allé trop loin avec cette caricature d’un dignitaire de l’armée ? L’épisode Ristow pacha a, en tout cas, marqué la fin de son activité de caricaturiste.

L’autoportrait qui clôt l’album est significatif : Youssouf lui-même, avec son stylet de dessinateur, est représenté pendu à une potence, le cou dévoré par un vautour. Au premier plan à gauche, les membres de sa famille pleurent sa mort. Au centre, le général Ristow pacha orchestre la pendaison, à ses côtés une myriade de personnages qui sont des reproductions en miniature de personnalités qu’il avait déjà brocardées, dont le commandant Izzet Fuad bey et Pierre Vékil éfendi. Ce dernier avait été représenté en éléphant tenant une ombrelle. Tous tirent une petite ficelle, contribuant à la pendaison du caricaturiste.Le diplomate français Gabriel Hanotaux résumait au mieux sa personnalité : « Youssouf était un homme aimable, un excellent bureaucrate, un homme de la ville, un joueur de bridge enthousiaste (…) Unique, cependant, était son talent pour la caricature et son désir de satiriser les types qu’il rencontrait dans son environnement social. »

Membre de haut rang au sein de l’administration ottomane, Youssouf Franko Koussa bey (1856 -1933) était un caricaturiste talentueux. Issu d’une famille melkite (appartenant à l’Église grecque-catholique) qui avait émigré du Liban-Nord à la fin du XVIIIe siècle, Youssouf Franko Koussa bey avait été précédé par son père, Nasri Franko Koussa, qui avait gravi les échelons de la...

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