Comme annoncé lundi, plusieurs réunions sectorielles se sont tenues hier au Grand Sérail pour aborder la rationalisation des subventions financées par la Banque du Liban (BDL) et dont bénéficient les importateurs de plusieurs produits considérés comme stratégiques ou de première nécessité.
Le dossier est explosif compte tenu de la crise dans laquelle le Liban est enlisé depuis août 2019, mêlant restrictions bancaires, pénurie de liquidités en devises, ainsi qu’une vertigineuse dépréciation de la monnaie, soit plus de 8 000 livres pour un dollar sur le marché des changes parallèle ces derniers jours. Les mécanismes de subvention mis en place permettent aux importateurs concernés d’acheter une partie des dollars devant servir à payer leurs fournisseurs à des niveaux inférieurs au taux du marché.
Les rendez-vous d’hier ont rassemblé les représentants de plusieurs secteurs – blé, carburant, médicaments, matériel médical, matières premières pour l’industrie pharmaceutique locale, biens de consommation identifiés comme de première nécessité et certains produits destinés aux industriels et agriculteurs locaux – avec les différents ministres actifs sur ce dossier. Des responsables de la Banque mondiale, de l’Unicef et de l’Organisation internationale du travail ont également participé à certaines réunions.
Si plusieurs pistes ont été explorées, aucune décision ferme n’a été prise, comme cela avait été le cas à l’issue de la réunion de lundi. En début de soirée, le Premier ministre sortant Hassane Diab a néanmoins annoncé au terme d’une ultime réunion avec les différents ministres un accord sur un certain nombre de « principes »: ne pas modifier le prix du pain arabe; maintenir les subventions sur les médicaments essentiels, ainsi que sur ceux utilisés pour certaines maladies incurables et/ou chroniques ; le maintien des subventions sur les denrées alimentaires essentielles, ainsi que sur les matières premières destinées aux industriels et aux agriculteurs. Un accord aurait également été trouvé sur la nécessité de tenter de réduire la facture du carburant et d’accélérer la mise en place d’un système de distribution des subventions via des « cartes » d’achat.
Une nouvelle salve de réunions est programmée aujourd’hui, cette fois entre des responsables de la BDL et ceux des secteurs concernés. La suite des événements dépendra de l’aboutissement ou non du processus de formation du gouvernement, en suspens depuis la démission de celui de Hassane Diab une semaine après la double explosion meurtrière du 4 août. « Le gouvernement sortant mise sur l’arrivée d’une nouvelle équipe. Mais si le blocage persiste, il est très probable que les mesures seront appliquées par la BDL, qui ne peut plus attendre », a estimé une source proche du dossier. Le processus de décision devrait également inclure le Parlement.
Le secteur de la Santé
S’exprimant en marge des réunions, Hassane Diab avait réaffirmé en milieu de journée que son objectif n’était pas de supprimer les subventions – ce qui aurait un effet brutal sur une inflation déjà galopante (136,8 % en octobre en glissement annuel selon les chiffres officiels) – mais de les rationaliser afin de « conserver les réserves obligatoires le plus longtemps possible ». Il avait également affirmé que l’exécutif souhaitait « augmenter le nombre de familles bénéficiaires de 230 000 à 400 000 », sans autre précision. Une déclaration qui résonne avec les voix jugeant que le système actuel de subvention ne cible pas suffisamment les personnes dans le besoin.
L’une des réunions les plus chargées de la journée a regroupé les membres du gouvernement avec les syndicats d’importateurs de médicaments, de matériel médical et des industriels pharmaceutiques locaux. « S’agissant des médicaments, le gouvernement veut trouver une solution qui baisse la charge des subventions de la BDL, sans pour autant faire exploser les coûts pour les consommateurs et les tiers-payants (Caisse nationale de Sécurité sociale, Forces de sécurité intérieure, armée, etc.). Et ce en préservant les standards de qualité des produits commercialisés dans le pays », a déclaré Karim Gebara, président du syndicat des importateurs de produits pharmaceutiques.
Pour y parvenir, les autorités pourraient décider de moduler le montant des subventions en fonction des catégories de médicaments concernés, ceux qui sont vitaux pour soigner certaines maladies, ceux qui le sont moins ou encore ceux qui possèdent des équivalents de bonne qualité fabriqués au Liban. « Plusieurs moyens d’actions ont été étudiés pour chaque catégorie », a ajouté Karim Gebara, précisant qu’en parallèle, le ministre de la Santé pourrait décider début 2021 de réduire les tarifs de plusieurs médicaments, sans expliquer comment il compte y parvenir.
Si l’essentiel de cette réunion spécifique a été consacré aux médicaments, les importateurs de matériel médical ont profité du temps qui leur était imparti pour exposer leurs propres difficultés. « La question des subventions est importante, mais pour nous, il faut d’abord que la BDL règle les factures en retard, dont certaines attendent depuis des mois », a expliqué la présidente du syndicat des importateurs de matériel médical, Salma Assi.
Elle déplore en effet d’importants retards qui ont miné la confiance des fournisseurs, ce qui pourrait affecter les capacités du pays à s’équiper à l’avenir. « Toutes les filières ont dû faire face à ces retards, mais ils ont été plus prononcés pour nous, parce que nos factures sont moins importantes en valeur, mais plus nombreuses », a-t-elle expliqué, réclamant la mise en place d’un « mécanisme fiable » à l’avenir. Elle a aussi regretté que la liste de 2 000 produits essentiels que son syndicat avait présentée en mai n’ait toujours pas été étudiée en détail.
Négociations avec l’Irak
S’agissant du carburant, qui a fait l’objet d’une réunion à part, la tendance semble plus claire à court terme. « Il ne devrait pas y avoir de levée totale ou partielle des subventions sur l’essence, le mazout et le gaz domestique d’ici à la fin de l’année en attendant la formation d’un gouvernement », a fait savoir le président des propriétaires de stations-service, Samy Brax. « Aucune des propositions visant à réduire le pourcentage de la facture des importateurs qui sera subventionnée n’a pour l’instant été retenue. Le Premier ministre négocie actuellement avec les autorités irakiennes pour trouver un arrangement pour acheter du carburant et le payer plus tard », a-t-il assuré. Selon des informations ayant fuité dans les médias, la réponse pourrait tomber dans une semaine.
S’agissant des biens de consommation subventionnés, les discussions semblent s’orienter vers une nouvelle réduction de la liste de produits concernés, à en croire les déclarations du Premier ministre à ce sujet en milieu de journée. Pour le président du syndicat des importateurs, Hani Bohsali, « les produits de base comme le riz ou les lentilles ne seront pas affectés ». Pour rappel, la liste, qui comprenait près de 300 références en juillet, n’en compte plus que 200 depuis la mi-novembre.
Cette liste comprend également les matières premières subventionnées qui sont destinées aux industriels et agriculteurs locaux. Si le Premier ministre s’est prononcé contre toute levée des subventions destinées aux premiers, il ne s’est pas toutefois exprimé concernant les seconds. Le second vice-président de l’Association des industriels, George Nasraoui, a lui considéré que le niveau inquiétant atteint par les réserves utilisables de la BDL, soit « 900 millions de dollars » selon des sources citées par l’agence Reuters la semaine dernière, allait certainement contraindre le secteur à réduire la quantité de certaines importations subventionnées, voire à en supprimer d’autres.
Diab, le regard hagard, ne sait nullement comment sortir d'une crise, que personne n'a pu imaginer.
09 h 18, le 10 décembre 2020