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Culture - En librairie

Alawiya Sobh : Mon corps c’est moi et moi c’est mon corps...

Son 5e opus, « An taachak al-hayat » (Aimer la vie – 352 pages – Dar al-Adab), défraye la chronique et dénonce, entre noirceur absolue et profond désir de lumière, les tabous du monde arabe, les interdits religieux et les fantasmes sexuels camouflés ou déclarés, sources de conflits et de malentendus.

Alawiya Sobh : Mon corps c’est moi et moi c’est mon corps...

Alawiya Sobh signe un 5e roman, une fresque colorée et bigarrée, un véritable conte du monde arabe. Photo DR

Alawiya Sobh, qui n’a pas froid aux yeux et encore moins à la plume, dit sans ambages : « Mon corps c’est moi et moi c’est mon corps. » De la scatologie la plus répugnante, presque sadienne, à l’élévation la plus éthérée, voire aux confins soufies, elle traverse en transe, presque hystérique, entre colère, indignation et besoin d’apaisement, les pages de ce livre où la vie et la mort palpitent, où les rigueurs dictatoriales de la religion rendent perclus les couples et les corps, où le noir du quotidien affronte le pire (et parfois, fait inattendu, le meilleur !) des imaginaires… La presse étrangère l’avait comparée à la sulfureuse écrivaine Elfriede Jelinek, Prix Heinrich Böll et Prix Nobel de littérature. Pour son style emporté, ses personnages détraqués et hors normes, ses descriptions outrancières enfreignant toute bienséance, son cri rauque contre la société, ses atmosphères hardies, dérangeantes, empreintes d’une sexualité trouble et troublante.

Elle revient aujourd’hui au-devant de la scène avec son cinquième opus de fiction, un roman encore plus choc que les autres. Toute affaire cessante, elle se penche sur son corps malade, plombé et déglingué par les anxiolytiques. Avec ses tremblements de mains, le tic de ses paupières qui se plissent, sa cigarette qu’elle n’éteint jamais et qu’elle garde entre ses doigts ainsi que son stylo toujours en position d’attaque pour noircir rageusement les pages des feuilles vierges... Et pourtant, avec ses cheveux raides sur les épaules et ce sourire avalé, elle aurait plutôt l’allure, malgré ses soixante-cinq ans et la radicalité de son œuvre, d’une sage petite fille modèle…

An taachak al-hayat (Aimer la vie – 352 pages – Dar al-Adab), est un demi-pavé à l’écriture dense et serrée qui explose littéralement entre les mains du lecteur. Par-delà la géhenne d’un Orient constamment embrasé, brasier dévorant d’un islamisme aux couleurs souvent fondamentalistes, une femme sous tension qui se voudrait libre et libérée parle. Haut et clair, en toute impudence et impunité. Pour mettre, avec courage, à bas les masques d’une société timorée, rétrograde, injuste, hypocrite, faussement voilée...


« An taachak al-hayat », le dernier opus de Alawiya Sobh.


Enjeu thérapeuthique

Elle lance sans crainte, en un acte politique et social ainsi qu’une sédition sexuelle, son paquet de mots, de doléances, de griefs, ses foudres et son courroux. Et montre ses blessures, ses cassures, ses brisures, ses failles, ses béances, ses balafres, ses brûlures… Par-delà les cachets de calmants absorbés et les dérèglements du corps subis, le roman est dédié à son médecin traitant qui l’a aidée à se mettre à nouveau sur pied et revenir à la vie… C’est déjà révéler l’enjeu, presque thérapeutique, de cet opus loin de toute innocence ou facilité.

C’est aussi l’occasion pour l’auteure, en un regard circulaire, de scanner son corps et celui des femmes. Avec des termes qui ignorent la pudeur ou la pusillanimité. Un corps de femme (et même les hommes ne sont pas logés à meilleure enseigne !) rendu malade par ses agitations, ses craintes, ses peurs, ses détresses, ses angoisses… Comme ces villes arabes sous le feu des bombes, des armes et sous les diktats et la pression retorse des gens du pouvoir profane et religieux…

Quarante ans de vie en guerre civile, les conflits des pays avoisinants et le fondamentalisme, ça marque ! « Je suis sensible malgré ma force » avoue cette femme de lettres battante née à Beyrouth. Elle parle comme personne du Sud et de la population chiite, quand elle abandonne un roman sur lequel elle planchait pour panser et cautériser ses blessures et ses bleus, à l’âme et au corps…

Sous la voilette de Bassma, la narratrice, rien d’autobiographique, mais le parcours semé d’embûches d’une artiste de danse contemporaine. Chorégraphe, Bassma veut récupérer son corps et sa mémoire après s’être gavée de médicaments. Surgissent alors les êtres qui l’ont privée de ses rêves ou l’ont inconsciemment nourrie dans sa détermination à s’exposer (surtout exposer ce corps tant convoité et combattu) et affronter les feux de la rampe.

Roman choral et singulier à la fois, car de nombreux couples de plusieurs générations défilent avec leurs drames et leur aspiration au bonheur et à la plénitude. Portrait, aussi, d’amies, Anissa et Amina, qui partagent avec Bassma leurs différentes destinées féminines tortueuses et tourmentées.

Procès au sexe

Un roman de Alawiya Sobh ne se raconte pas tant les enchevêtrements, les embranchements, les souvenirs et les brochettes de personnages sont nombreux et variés. Sans oublier qu’il s’agit là avant tout d’un témoignage virulent, d’une radioscopie sans concession, d’une critique acerbe et d’une dénonciation féroce des travers d’une société orientale en quête d’identité. Si le procès du sexe est impitoyable, si son approche de la notion de couple et de la parité homme-femme est saisissante dans sa crudité et sa cruelle versatilité, les propos pointus et amers, à juste titre, sur le fondamentalisme et ses dérives à la Daech ne le sont pas moins. Mais la lumière, la tendresse et la rédemption ne sont pas absentes de ce chaos infernal où l’être peine tant à vivre et survivre.

Dans ce procès de tous les systèmes religieux, politiques et sociaux incluant la Syrie, le Liban, le Yémen, l’Irak et l’Égypte, Alawiya Sobh avance ces pions que sont des vivants piégés dans un engrenage complexe, dans un paysage hostile de pauvreté et de destruction. C’est avec un incroyable réalisme qu’elle utilise les mots dans leur prosaïsme quotidien, tout en recourant aussi à cette poésie qui transcende les scènes les plus insoutenables. La poésie, qui reste son dada premier et sa première inspiration.

Maintenant qu’elle s’est libérée du poids de ce livre et du boulet que traînait son corps en mal de vivre, l’auteure de Mariam ou le passé décomposé, tout en retrouvant les feuillets de son roman laissé en route, a cette ultime déclaration : « La mission de l’écrivain, c’est de découvrir, piocher, rechercher le handicap des gens. Si je n’aimais pas la vie, je n’aurais jamais guéri. C’est justement une victoire pour la vie malgré tant de noirceur. »

« An taachak al-hayat » de Alawiya Sobh (Dar al-Adab – 352 pages) disponible en librairie.

Alawiya Sobh, qui n’a pas froid aux yeux et encore moins à la plume, dit sans ambages : « Mon corps c’est moi et moi c’est mon corps. » De la scatologie la plus répugnante, presque sadienne, à l’élévation la plus éthérée, voire aux confins soufies, elle traverse en transe, presque hystérique, entre colère, indignation et besoin d’apaisement, les pages de ce...

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