Le médicament au Liban, à l’instar des autres produits de consommation, a été durement affecté par la hausse du dollar face à la livre libanaise. La peur d’une pénurie ainsi que les dernières déclarations du gouverneur de la banque centrale sur la levée prochaine des subventions ont poussé les Libanais, paniqués, à stocker un surplus chez eux.
Pour rappel, 80 % des médicaments au Liban sont importés, d’où la nécessité de payer en devises étrangères. Quelles sont les véritables raisons qui se cachent derrière ces « prétendues » ruptures de stock ? Premièrement, la demande sur le médicament s’est accrue début 2020. La pandémie de Covid-19 et le confinement de deux mois imposé par le gouvernement ont poussé les Libanais à stocker plus que d’habitude, par peur d’en manquer.
Il est important de noter que l’importateur doit impérativement commander ses achats six mois avant la mise des produits sur le marché. Tout changement dans une commande est directement lié à la disponibilité des produits à l’usine mère. En fonction de cette disponibilité, le fabricant peut envoyer ou non son approbation. Comme la demande mondiale sur le médicament s’est accrue en raison du Covid-19, les usines de médicaments ont été débordées. Ajoutons à cela le risque financier lié au marché libanais, d’où l’incapacité des usines de fabrication à répondre aux modifications demandées. Deuxièmement, la crise financière ainsi que l’incapacité des banques à effectuer les transferts de devises étrangères ont poussé les entreprises internationales à exiger parfois des importateurs de payer 50 % du montant de la facture à l’avance. Cette charge supplémentaire a aussi contribué à retarder le processus d’importation.
La troisième raison est liée aux procédures suivies par la Banque du Liban concernant la subvention des médicaments. Des procédures tellement longues que les dossiers traînent minimum deux mois, parfois plus, avant d’être étudiés. Ajoutons à cela les transferts bancaires, actuellement compliqués, en devises étrangères qui retardent encore le délai d’importation. Bien sûr, les médias ainsi que les réseaux sociaux, continuellement à l’affût de nouvelles à sensation, ne manquent pas d’exagérer la crise et de contribuer ainsi à exacerber la tension collective. Ce qui pousse les citoyens à affluer dans les pharmacies. Mais on ne peut pas les blâmer !
La quatrième raison est, comme indiqué ci-dessus, liée à la déclaration du gouverneur de la banque centrale de lever la subvention sur le médicament ce qui va entraîner une hausse des prix allant jusqu’à l’incapacité financière à importer. Naturellement, suite à cette propagande, la demande va dangereusement augmenter et va dépasser la capacité de l’importateur à répondre à ces besoins.
Parler de stockage des produits chez l’agent importateur, afin de les revendre à un prix plus élevé une fois la subvention levée, peut paraître scandaleux, voire révoltant. Mais rappelons que le ministère de la Santé a tous les pouvoirs et toutes les informations nécessaires afin de cerner et empêcher ce problème. Rappelons aussi que c’est dans l’intérêt de l’importateur d’éviter le long stockage à cause des dates d’expiration des produits et du coût élevé du stockage. De même que vendre les médicaments importés garantit les dépenses de la société d’importation. Reste le problème de la contrebande ; trois itinéraires sont à envisager : la voie terrestre, la voie maritime et la voie aérienne. La contrebande via le port ou l’aéroport est très difficile à réaliser. En effet, les médicaments ont besoin d’espace « visible » pour être stockés dans des conditions convenables en respectant la température et l’humidité, parfois même ils doivent être réfrigérés. Donc difficile de les camoufler des caméras et des points de surveillance. Reste la voie terrestre vers la Syrie. Or la contrebande par voie terrestre vers la Syrie et les pays voisins a toujours été active. Les usines syriennes, quant à elles, sont capables de couvrir 90 % des besoins du marché syrien et le reste est assuré grâce à l’import. N’oublions pas la présence d’un million et demi de réfugiés syriens qui a nettement augmenté la demande des produits sur le marché libanais. En conclusion, la contrebande n’est pas une excuse valable. La solution la plus efficace et la plus adéquate en premier lieu se trouve du côté de la banque centrale. En effet, cette dernière doit accélérer le processus d’approbation des transactions afin de faciliter l’importation des médicaments. Au cas où les réserves de la banque centrale seraient insuffisantes, le soutien de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire d’investissement est nécessaire afin que la banque centrale puisse reconstituer ses réserves pauvres en devises étrangères et ainsi pouvoir rassurer et calmer l’anxiété des Libanais.
Bien sûr, le ministère de la Santé doit travailler en collaboration étroite avec les pharmaciens et les importateurs, et soutenir la production locale de médicaments et leur exportation grâce à des accords de coopération entre États. Les revenus pourront facilement subventionner la fabrication locale et même l’importation des produits ne pouvant être fabriqués localement. Enfin, le rôle des médias et de la presse est primordial dans la sensibilisation des citoyens à l’importance des génériques qui sont moins chers et surtout ceux qui sont fabriqués localement, surtout en ce temps de crise.
Imad M. KAYIM
Expert et professeur universitaire en marketing et en marketing pharmaceutique
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