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Nos Lecteurs ont la Parole

« No Justice No Peace »

Il revient souvent comme un refrain. Celui d’une chanson qui faute de nous bercer devrait nous réveiller. Nous aider à nous lever pour mieux nous élever. Nous faire réagir pour contrer le pire. Nous l’entendons partout. Des pays clairement sous-développés à ceux mal industrialisés. Derrière les portes des savants et dans la voix des enfants. « No Justice No Peace ! » crient-ils, nombreux, devant le siège des Nations unies. Scandent-ils dans un ultime élan d’espoir dans les quartiers appauvris. Plus qu’un slogan universellement adopté, c’est l’histoire de deux concepts intrinsèquement liés, indissociables de l’histoire de l’humanité.

Depuis le 4 août dernier, au Liban, dans le pays de tous les dialogues, ces deux concepts en mal de communication ont littéralement implosé. Notre paix a été directement attaquée lorsque la majorité de notre peuple a été privée de ses droits fondamentaux et des conditions nécessaires à sa sécurité et à sa dignité. Notre justice quant à elle n’a pas été épargnée. Oui... plus de cent jours après une explosion dont l’humanité a pu témoigner de l’ampleur cataclysmique et des atrocités en temps réel, l’immense majorité des responsables n’a toujours pas été appelée à répondre de ses actes, alors que des milliers de victimes sont encore contraintes de se déplacer, de se réfugier, de sacrifier leurs droits et de brader leurs libertés. Quelques jours après les destructions matérielles, économiques et humaines injustement infligées à des centaines de milliers de Libanais, certains présidents de « grandes puissances » se sont accordés à qualifier eux-mêmes « d’accident » un crime interpellant l’humanité, cour-circuitant ainsi de manière indirecte la mise en place immédiate d’une commission d’enquête internationale. Ils répondaient ainsi à la préoccupation majeure du chef de l’État : « Ne pas diluer la vérité. » La raison des plus forts était-elle vraiment la « plus juste » ?

Plus de cent jours après l’une des explosions les plus terrifiantes de l’histoire de l’humanité, la tâche reste titanesque pour conclure à l’identification de tous les responsables dont la liste est loin d’être achevée. Pour atteindre la vérité. La « vraie » vérité. Au défi juridique s’ajoutent l’imbroglio politique, le rubix diplomatique, le chaos logistique, les failles du système judiciaire, les preuves « accidentellement » brûlées, les témoignages dépassant les murs du son « mystérieusement » évincés, ainsi que les menaces grandissantes exercées à l’encontre des défenseurs des victimes et de tout contestataire muselé à coup de M4. Dans ce contexte lui aussi hautement explosif, le secrétaire général des Nations unies ainsi que la société civile continuent d’encourager les États souverains à activer les voies diplomatiques nécessaires afin que la justice puisse être assurée au niveau international par des experts neutres, indépendants et impartiaux. Celle-ci pourrait ainsi, du moins en théorie, être plus concrète, plus effective et plus transparente que celle qui se profile depuis plusieurs semaines au niveau national. Celle-ci pourrait peut-être même, sait-on jamais, réussir à sonner le glas de l’ère des malfrats, annoncer le retour d’un véritable État de droit et surtout... ne plus permettre à certains de transformer notre pays en véritable poudrière.

Pourtant, nombre de pays « libres et démocratiques » semblent aujourd’hui jouer le jeu des représentants de l’État libanais. Au-delà de l’aide humanitaire et sanitaire rapidement véhiculée au nom de la solidarité étatique, après avoir délibérément entériné la légitimité politique des « irresponsables », ils « regrettent », ils « déplorent », ils sont « profondément concernés et attristés » par une politique qui continue de briser impunément le peuple, de le contraindre à l’exil et de le résigner à accepter toutes formes d’injustices... À leur tour, ils utilisent l’épuisement des voies de recours internes, au sens propre et figuré, accélérant ainsi le risque de clore, dans le plus grand vide juridique, l’un des chapitres les plus noirs de l’histoire de notre pays. Après l’échec du droit national, se profile ainsi le chaos juridique international. Car dans ce monde interdépendant régi par un « code de conduite » commun, l’impunité qui semble réservée à un crime dynamitant lui-même le concept d’humanité, détruirait, au-delà de la stabilité d’une nation, le concept si fragile de la paix des nations. À travers ce potentiel fiasco judiciaire, c’est bien la légitimité de tout un système destiné à préserver « les générations futures » du fléau de la guerre qui risque à son tour de voler en éclats...

Quelques jours après l’explosion dévastatrice, pendant qu’au Liban les chaises musicales gouvernementales se jouaient sur un air de Trenet, que tous les voleurs sautaient allègrement la case prison et que certains réussissaient à faire de Diab un mot compte double, notre peuple s’enfermait injustement dans le silence pour préserver son honneur et sa fierté.

Alors que le président actuel se battait il y a quelques décennies « jusqu’au dernier de ses soldats » pour « sauver » le Liban, aujourd’hui notre peuple se bat seul, sans aucun général, pour simplement survivre et sauver sa dignité... jusqu’au dernier de ses espoirs. Cette justice internationale en est probablement l’ultime... même si l’impunité semble ici et là avoir évincé toutes les lois et exilé l’espoir de retrouver un État de droit. Même si le chaos mondial diffusant à tout vent restrictions à la libre circulation et protocoles sanitaires universels est lui aussi un barrage additionnel sur la voie de la vérité. De la « vraie » vérité...Alors oui... peut-être ne la trouverons-nous jamais cette vérité. Mais est-ce bien là une excuse légitime pour se résigner ? Pour jeter le voile sur des centaines de milliers de Libanais injustement privés de leur famille, de leurs biens, de leurs écoles, de leurs hôpitaux et même souvent de leur toit ? Des centaines de milliers de victimes qui espèrent aussi, à travers la justice, pouvoir un jour trouver la paix.

Aujourd’hui, tous ces « masques » continuent de voiler la réalité dans toutes ses dimensions. Mais aucune visière ne devrait empêcher l’ensemble de la communauté internationale de regarder en direction du Liban. À quelques semaines de l’hiver, ne plus agir efficacement au niveau international pour protéger le peuple libanais de manière concrète et effective, c’est renoncer collectivement et délibérément à nos valeurs communes. Et au-delà, à notre humanité.

Hier encore, des enfants masqués écrivaient à la craie sur une route en pensant à toutes les victimes du 4 août « Lebanon, No Justice No Peace ». Peut-être bien pour essayer de rappeler à tous les grands qu’il est grand temps de retrouver le chemin de la « vraie » justice pour reconstruire notre paix. Pour tous les enfants du Liban. Où qu’ils soient.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Il revient souvent comme un refrain. Celui d’une chanson qui faute de nous bercer devrait nous réveiller. Nous aider à nous lever pour mieux nous élever. Nous faire réagir pour contrer le pire. Nous l’entendons partout. Des pays clairement sous-développés à ceux mal industrialisés. Derrière les portes des savants et dans la voix des enfants. « No Justice No Peace ! »...

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