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Idées - Point de vue

Élections américaines : quelles leçons potentielles pour l’opposition libanaise ?

Élections américaines : quelles leçons potentielles pour l’opposition libanaise ?

Le président élu des États-Unis, Joe Biden. Photo d’archives AFP

Alors que, le 14 décembre prochain, Joe Biden sera officiellement élu président des États-Unis par 306 des 538 grands électeurs, au Liban, les spéculations sur les conséquences de cette victoire sur le Moyen-Orient dans son ensemble et sur la scène politique locale vont déjà bon train.

Cependant, plutôt que de spéculer inutilement sur les paramètres de changement d’un équilibre régional dont ils ne sont pour la plupart que des pions, les Libanais seraient mieux avisés de porter leur attention sur certaines importantes leçons politiques pratiques que cette élection présidentielle pourrait fournir. Et cela dans un domaine qu’ils maîtrisent a priori bien davantage : le sort des 128 sièges de leur propre Parlement, lors des élections législatives prévues en mai 2022. Pour tous les citoyens qui partagent les aspirations au changement politique portées depuis un an dans la rue, cette échéance, compte tenu de l’essoufflement actuel du mouvement de protestation populaire, sera en effet déterminée par un enjeu crucial. Comment briser le cercle vicieux qui prévaut depuis la fin de la guerre civile et dans lequel les citoyens votent à plusieurs reprises pour remettre les mêmes au pouvoir? Une classe politique dont ils dénoncent pourtant, pour la plupart, et ce bien avant la révolution du 17 octobre, la corruption et l’incompétence? Cette question vaut encore davantage pour les formations et groupes politiques issus de la société civile ou revendiquant les mêmes objectifs et qui se sont heurtés jusque-là à un plafond de verre dans les précédentes élections, et surtout peinent à émerger comme une véritable force politique à même d’engranger une victoire électorale. Or si ces difficultés résultent notamment de certains facteurs structurels régulièrement analysés par ailleurs (absence de leadership reconnu au sein du mouvement, obstacles érigés par la loi électorale, manque de moyens financiers, etc.), d’autres obstacles relèvent, eux, d’une certaine forme de naïveté stratégique, liée en grande partie au manque d’expérience de la plupart des membres de cette opposition en construction. Et en cela, les élections américaines offrent d’une certaine manière un récit édifiant dont il convient de relever rapidement certains points.

Biais de confirmation

La première leçon que les électeurs, et ceux qui espèrent les conquérir, pourraient tirer de ce processus est d’abord de se méfier d’un piège bien connu, et nettement accentué par les réseaux sociaux : le biais de confirmation. Aux États-Unis, il a conduit nombre de partisans démocrates à être stupéfaits par l’avènement du phénomène Trump en 2016 ou, quatre ans plus tard, ceux de l’autre bord, à ne pas considérer comme dangereux un candidat comme Biden, souvent présenté comme « trop vieux ». Cette forme d’observation politique qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités est une erreur d’analyse classique à notre époque : nous supposons que les choses que nous voyons sur les réseaux sociaux – souvent de la part de personnes que nous avons préalablement sélectionnées par affinité et qui par conséquent pensent et se comportent comme nous – représentent ce que ressent la majorité de la société. Transposons cela dans un contexte libanais : imaginez par exemple que vous êtes de Zahlé et qu’un collègue de travail de Tripoli vous dit : « Ma famille a toujours soutenu Hariri, mais plus maintenant. » Tout d’abord, le croyez-vous ? Et si oui, quelle est la taille de sa famille ? Est-ce qu’il parle au nom de tous ? Que signifie « soutenir » en réalité ? Ou bien, imaginez que votre ami révolutionnaire mentionne que le retrait du financement du projet de barrage de Bisri a été une grande victoire pour les militants écologistes et que la publicité contre ce projet va nuire politiquement au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Encore une fois, en quoi exactement une couverture médiatique lui ferait-elle du tort dans le contexte libanais actuel ? A-t-elle été soutenue sur une longue période de temps, de sorte que les gens n’ont pas d’autre choix que de s’en souvenir ? Cela modifie-t-il fondamentalement sa base de soutien ou le total des votes attendus de son parti ? Ce risque de biais analytique étant d’autant plus marqué du fait de l’euphorie et de la communion d’une grande partie des Libanais autour des valeurs et slogans de la révolution, il s’agit, pour les partisans du changement, de réfléchir de manière critique à la portée de certaines évolutions, avant d’extrapoler des conclusions plus larges sur ce qui pourrait se passer lorsque les gens iront voter.

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Il s’agit aussi d’en tirer des conclusions opérationnelles permettant d’identifier, voire tenter d’inverser, une tendance a priori défavorable. L’un des meilleurs exemples est la façon dont la campagne Trump a abordé l’électorat noir américain lors de la campagne de 2016. Normalement, cette communauté donne souvent plus de 90 % de ses voix au candidat démocrate. Mais la campagne Trump a fait quelque chose d’intelligent : elle a identifié des électeurs noirs qui ne soutiendraient jamais Trump, mais qui n’étaient pas vraiment enthousiastes à l’égard d’Hillary Clinton. Ils ont alors eu recours à une arme politique désormais bien connue : la stratégie de la « dissuasion ». Ici, cette stratégie a notamment consisté à mener une campagne de dénigrement ciblée, notamment sur les réseaux sociaux : non pas dans l’espoir de susciter de nouveaux votes en faveur de Trump, mais plutôt de décourager la participation de ces électeurs potentiels de Clinton. Le succès de cette stratégie a été l’une des clés de la victoire de Trump dans des États comme le Wisconsin et le Michigan en 2016.

Or ce type de profilage (racial aux États-Unis, communautaire au Liban) pourrait s’avérer redoutable dans le contexte libanais. À titre d’exemple, prenons le Kesrouan, qui compte 8 sièges (7 maronites et 1 chiite) : si la concurrence entre les partis chrétiens est très intense, des campagnes négatives très ciblées qui rendraient les électeurs chiites moins enthousiastes à l’idée de voter pour les listes qu’ils soutiennent traditionnellement pourraient changer le résultat global.

Identifier les armes

Naturellement, sur le strict plan des valeurs, ce type de stratégie devrait répugner tous ceux qui dénoncent justement la segmentation confessionnelle du pays ou plus largement des méthodes jugées immorales. Mais si, pour renverser le célèbre axiome de Clausewitz, la politique est « la continuation » de la guerre « par d’autres moyens », il est impératif d’identifier les armes et ressources qui permettront de l’emporter sur l’ennemi ou, du moins, celles qu’il pourrait utiliser afin de prendre les contre-mesures adéquates. Pour reprendre l’exemple du Michigan et du Wisconsin, c’est notamment parce que les démocrates ont entre-temps tiré les leçons de leur échec, et investi suffisamment de temps et d’argent sur une stratégie de remobilisation de cet électorat, qu’ils ont pu ramener la participation électorale à des niveaux réguliers, et in fine l’emporter.

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Enfin, la leçon la plus importante de toutes vient de la présentation déroutante des résultats. Lors de ce scrutin, il a fallu des jours pour déterminer si Trump ou Biden avait remporté certains États, et parfois cela dépendait de quelques milliers de voix dans une poignée de villes ou de comtés. Et plutôt que de s’abriter derrière des théories conspirationnistes, le camp républicain a une leçon à tirer de son échec : pour gagner la prochaine élection présidentielle, il lui faudra travailler plus dur et plus intelligemment que ses adversaires – dans la diffusion de messages, dans l’enregistrement des électeurs, dans le ciblage des publicités, etc. Le jeu politique du Liban est certes moins transparent, et les nombreux obstacles structurels dénoncés par ailleurs continueront d’exister, mais les citoyens qui aspirent désespérément au changement et ceux qui prétendent les représenter n’ont sans doute pas encore réalisé l’ampleur du travail qui reste à accomplir. Il est facile de critiquer l’establishment politique, mais il faut plus que quelques semaines de manifestations de rue pour battre les élites.

Bref, si mes années d’expérience en stratégie politique peuvent me permettre un conseil à tous ceux qui veulent se lancer dans la bataille lors des prochaines élections, ce serait de commencer à réfléchir de manière critique aux tendances politiques : soyez réaliste quant à la part du vote existant qui peut être modifiée. Découvrez où se trouvent les votes cachés et faites-les ressortir. Et arrêtez de vous plaindre : pour gagner, il faut d’abord le vouloir et le mériter.

Consultant en stratégie politique, ancien collaborateur de plusieurs candidats à des élections politiques aux États-Unis, en Europe, au Moyen-Orient, en Australie et en Afrique. Ancien candidat (républicain) au Congrès américain en 2004.

Alors que, le 14 décembre prochain, Joe Biden sera officiellement élu président des États-Unis par 306 des 538 grands électeurs, au Liban, les spéculations sur les conséquences de cette victoire sur le Moyen-Orient dans son ensemble et sur la scène politique locale vont déjà bon train. Cependant, plutôt que de spéculer inutilement sur les paramètres de changement d’un équilibre...

commentaires (3)

OUI JE SUIS D'ACCORD, FAUT TROUVER MOYEN DE DISCREDITER KELLON , DE LES RENDRE INFREQUENTABLES, FAIRE DE SORTE A CE QUE LEUR PUANTEUR ATTEINT LES NARINES DE LEURS SYMPATHISANTS: DIEU SAIT SI'IL YA MATIERES SUFFISANTES.

Gaby SIOUFI

10 h 08, le 29 novembre 2020

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Commentaires (3)

  • OUI JE SUIS D'ACCORD, FAUT TROUVER MOYEN DE DISCREDITER KELLON , DE LES RENDRE INFREQUENTABLES, FAIRE DE SORTE A CE QUE LEUR PUANTEUR ATTEINT LES NARINES DE LEURS SYMPATHISANTS: DIEU SAIT SI'IL YA MATIERES SUFFISANTES.

    Gaby SIOUFI

    10 h 08, le 29 novembre 2020

  • TOUTE COMPARAISON SI HYPOTHETIIQUE SOIT-ELLE EST DU DOMAINE DE L,IMAGINAIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 24, le 28 novembre 2020

  • Tout cela est vrai. Il faut commencer une campagne de destabilisation des politiciens actuels et nous avons toutes les armes pour les combattre. 1) diffuser les discours de tous ces politiciens sans oublier aucun sur les promesses non tenues et leur déclamation d’hommes propres. 2) les montrer avant et après les assassinats et crimes commis par eux. Le jour du crime les faits et les preuves qu’ils ont enterrés et après ces mêmes criminels en train de serrer la main de la famille et proches de la victime. 3) les abreuver de slogans qui consistent à les appauvrir au maximum les citoyens jusqu’à peu avant les élections pour ouvrir les vannes et leur donner le nécessaire pour que le nom de leurs zaims soit coché sur leur bulletins de vote. 4) faire le compte de toutes les aides et argent du peuple qui a été empoché et n’a servi qu’à enrichir leurs familles. 5) aller trouver tous leurs rejetons dans le monde et les filmer dans leur vie quotidienne et les universités qu’ils fréquentent pendant que le peuple n’a plus de quoi manger et encore moins payer les frais de scolarité de leurs enfants. En conclusion les montrer avec leur vrai visage de menteurs et vendus qui ont troqué la nation et le sort des citoyens contre le confort de leurs familles et leur richesse personnelle.

    Sissi zayyat

    12 h 43, le 28 novembre 2020

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