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Culture - Édition

Le Liban centenaire ? Sus aux clichés !

En librairie à partir d’aujourd’hui, « Le Liban n’a pas d’âge », ouvrage collectif bilingue français-anglais coordonné par Sylvie Andreu, rend un hommage diachronique à la photographie libanaise.

Le Liban centenaire ? Sus aux clichés !

Une photographie de Randa Mirza tirée de sa série « Beirutopia », 2010-2015.

« Cet ouvrage voit le jour comme une urgence, pour témoigner de ce qu’auteurs et photographes ont à dire du Liban », précise d’emblée l’éditeur, dans la préface du livre Le Liban n’a pas d’âge. Un beau livre publié par les éditions Bernard Chauveau et coordonné par Sylvie Andreu, avec l’aide de Marine Bougaran. « Je suis arrivée à Beyrouth par le port, il y a longtemps, en fin d’après-midi, à la fin des années 1960. Je venais de Venise et avais fait escale à Alexandrie. Je rejoignais ma famille en poste au Liban. En un éclair s’est ouverte toute grande la porte de l’Orient, grouillant, incandescent, tellement romanesque », confie Sylvie Andreu dans le texte liminaire qui introduit le périple temporel et artistique auquel est invité le lecteur, à l’occasion du centenaire de ce que l’on appelle le Grand Liban.

Un corpus d’images extraites de la collection de Georges Boustany permet une « traversée du siècle », incarnant les séquences successives d’une histoire libanaise marquée par le mandat français, l’indépendance, l’âge d’or, la guerre et la reconstruction. Ce sont ensuite les photographes libanais contemporains qui sont mis à l’honneur, après avoir choisi trois photos qu’ils considèrent comme étant révélatrices de leur œuvre, et qu’ils accompagnent d’un texte qui résonne avec leur travail.


Une famille visite Raouché, à Beyrouth. Cliché pris par photographe ambulant, datant de mai 1971, tirage au gélatino-bromure d’argent, 14 × 10 cm. Collection Georges Boustany


Le collectionneur de photographies contemporaines Tarek Nahas, qui a accompagné Bernard Chauveau et Sylvie Andreu dans la réflexion de départ autour de l’ouvrage, insiste sur la prégnance du médium photographique sur la scène artistique libanaise. « Si le photojournalisme s’est beaucoup développé pendant la guerre, il a ensuite évolué vers un intérêt croissant pour la thématique de la mémoire dans les années 90, avec des artistes comme Walid Raad, Akram Zaatari ou Joanna

Hadjithomas et Khalil Joreige, tout en valorisant la dimension fictionnelle et artistique. La génération suivante semble en pleine effervescence créative, la plupart sont des artistes qui s’expriment à travers la photographie, associée à un projet d’installation, de collage ou de peinture. Le Liban n’a pas d’âge permet de mettre en avant l’élan de ces jeunes photographes, qui ont un certain succès au Liban et à l’étranger. »

Les univers photographiques d’une trentaine d’artistes libanais sont donc rassemblés dans cet ouvrage original et ambitieux, qui propose des correspondances thématiques, chromatiques ou sensorielles entre les œuvres. Aux espaces horizontaux d’une mer torturée de Clara Abi Nader répond la pétulance des clichés de Myriam Boulos, pendant la thaoura. La guerre et ses stigmates visibles et invisibles resurgissent avec Lamia Maria Abillama, Patrick Baz ou Diala Khamissy. La ville de Beyrouth, aux contours urbains toujours insaisissables, s’invite dans le travail de Gregory Buchakjian, Joe Keserwani, Randa Mirza ou Serge Najjar. Et ainsi de suite. « Ce beau livre dévoile l’extrême diversité de notre scène photographique, du documentaire au conceptuel en passant par la critique sociale ou la street photography », indique Tarek Nahas, qui fait partie, avec Sabyl Ghoussoub et Georges Boustany, des trois auteurs dont les textes jalonnent le parcours visuel proposé.


Sur cette photo de Myriam Boulos, Nour, Farah et Nour en train de manifester rue Lazarieh.


« Le Liban n’est pas encore né, ou déjà mort »

« L’indépendance du Liban n’a pas eu lieu en 1920. Peut-être en 1943, en 2000 ou en 2005, mais 1920 me semble une date difficile à établir. Ce pays n’a pas cent ans mais soixante-dix-sept, vingt ou quinze ans. Enfin, on ne va pas se mentir, le Liban n’a jamais été indépendant. » Dans les premières lignes de son texte effervescent, Sabyl Ghoussoub interroge un centenaire problématique, qui coïncide avec l’installation du système confessionnel au Liban, « avec comme seul but la protection de la communauté maronite ». La suite est tout aussi grinçante. « De père et mère, je suis maronite. Je devrais être ravi, mais j’en suis désolé. » Finalement, la question de la date est évincée en changeant de perspective. « Mais le Liban n’est pas encore né, ou déjà mort, voilà pourquoi il est sauvé et nous le fêtons. » L’auteur du Nez juif (L’Antilope, 2018) tient à rappeler que cette date de 1920 n’a pas la même signification pour tous les Libanais. « D’ailleurs, c’est pareil pour des hommes politiques comme Bachir Gemayel ou Kamal Joumblatt, héros pour les uns et synonymes de catastrophes pour les autres. On a du mal à trouver une figure consensuelle. Quant à l’indépendance, elle est encore chimérique aujourd’hui, on continue à dépendre des uns et des autres ; et c’est ce qui a posé problème au moment de la révolution : impossible de s’asseoir à la même table sans que des influences étrangères ne s’en mêlent », constate l’écrivain, qui imagine à la fin de son texte le Liban de 2038, d’une manière loufoque et farfelue. « En lisant Le Liban n’a pas d’âge, on a l’impression que le pays est une fiction, et c’est un peu comme ça que je le vois : chacun raconte ce qu’il veut à ce sujet, et chacun le vit à sa façon. C’est une richesse immense sur un plan artistique, mais concrètement, c’est compliqué. Je termine mon texte par un rêve, parce qu’on a besoin de rêver cette identité libanaise en ce moment, et la révolution nous a aidés à suivre cette voie. On commence à imaginer autre chose que l’enfermement dans sa communauté : être libanais est différent de ce que l’on nous a transmis jusqu’à présent », ajoute l’auteur de Beyrouth entre parenthèses (L’Antilope, 2020). Pour illustrer son texte, Sabyl Ghoussoub a choisi trois photographies : une capture d’écran du film Lebanon Beirut 1921, un cliché de la place des Martyrs de 1970 et un autre de la thaoura, avec une manifestante maquillée en Joker. L’artiste insiste sur le hors-champ de la photographie elle-même. « Ce que j’apprécie le plus dans ces images, c’est la promesse d’histoires. L’avant et l’après. »


Le centre-ville de Beyrouth, le 20 octobre 2019, par Élias Moubarak.


La construction d’une mémoire collective

Selon Georges Boustany, la date de 1920 est avant tout associée à une libération. « Il faut imaginer un peuple libanais sortant de 400 ans d’occupation ottomane, marqués par différents massacres, et d’une famine dévastatrice, et qui, pour la première fois de son histoire, a un pays. Mais ce rêve n’était pas celui de toutes les communautés. Les orthodoxes ou les sunnites de Beyrouth n’étaient pas intéressés : ils commerçaient avec Damas, et la création de frontières a été un problème, les droits de douane ont été une ruine. Beyrouth étant devenue la capitale du pays, on peut imaginer le choc culturel entre les élites urbaines et les maronites, qui descendaient de leurs montagnes... Dans cette perspective, l’ouvrage de Samir Kassir Histoire de Beyrouth propose une grille de lecture très intéressante pour la suite. Qu’est devenu ce rêve-là en 2020 ?


« Le Liban n’a pas d’âge », aux éditions Bernard Chauveau, un ouvrage collectif bilingue français-anglais.


C’est une autre question... » commente celui qui explique avoir découvert sa vocation d’archiviste dès l’enfance. « J’avais 7 ans au début de la guerre, je découpais des journaux, j’écrivais ce que je voyais, j’enregistrais des bombardements, pour garder une trace de cette expérience, que je sentais exceptionnelle. Quand j’ai constaté, en 2015, qu’on n’organisait aucune commémoration pour les 40 ans du début de la guerre, j’ai commencé à m’intéresser aux photos de guerre d’amateurs, que je récupérais dans toutes sortes d’endroits. Depuis, je m’intéresse aux photos d’anonymes, de familles, de cérémonies, qui témoignent des événements qui se passent, comme le naufrage de Champollion, la présence militaire française. Tous ces anonymes ont un peu écrit l’histoire du Liban, chacun de mes 8 000 clichés porte en lui tout son contexte politique, urbain, social... » indique le collectionneur, convaincu de la nécessité de l’écriture d’une histoire commune pour la nation libanaise. « Une nation, c’est une histoire nationale : durant les cent premières années, on a eu une montée en puissance de l’idée de nation. Depuis le 4 août dernier, et l’explosion du port, j’ai pu constater, en faisant une conférence à l’ALBA devant des étudiants dernièrement, qu’ils étaient sensibles à la notion de mémoire. Nous nous retrouvons dans la même situation qu’eux : nous avons perdu notre âge d’or avec la guerre, ils ont perdu le leur avec les explosions. Je les ai encouragés à imprimer leurs photos numériques et à écrire des légendes, ça pourra servir aux historiens du futur, pour raconter ce pays. J’ai l’impression de servir mon pays, et surtout la future nation libanaise, en conservant ces photos et en écrivant des articles à leur sujet », précise Georges Boustany, dont la démarche est une lutte contre l’oubli et le déni. « Quand j’ai commencé ma page sur la guerre du Liban dans L’Orient-Le Jour, plusieurs personnes m’ont demandé pourquoi je voulais ressortir les cadavres du passé. Il faut accepter de se regarder dans le miroir et voir de quoi la bête humaine est capable, pour ne plus le refaire. Au fond de nous, il y a quelqu’un qui est capable d’attacher un homme au pare-choc de sa voiture et de le traîner dans toute la ville parce qu’il est d’une autre confession. On l’a fait ! On ne connaît même pas le nombre de ceux qui ont péri pendant la guerre, et personne n’a jamais eu l’idée d’écrire leurs noms noir sur blanc. On ne peut pas reconstruire l’avenir si on oublie tous ces gens ! » s’insurge Georges Boustany. « On me parle du gaz et du pétrole, conclut-il, pour moi, c’est une catastrophe. Le Liban s’en sortira quand il saura défendre ses principales richesses, c’est-à-dire son environnement et son histoire. » Et ses artistes, pourrait-on ajouter.

« Cet ouvrage voit le jour comme une urgence, pour témoigner de ce qu’auteurs et photographes ont à dire du Liban », précise d’emblée l’éditeur, dans la préface du livre Le Liban n’a pas d’âge. Un beau livre publié par les éditions Bernard Chauveau et coordonné par Sylvie Andreu, avec l’aide de Marine Bougaran. « Je suis arrivée à Beyrouth par le port, il...

commentaires (4)

Je vais essayer de trouver le livre car j'habite l'Italie

Eleni Caridopoulou

18 h 04, le 25 novembre 2020

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Commentaires (4)

  • Je vais essayer de trouver le livre car j'habite l'Italie

    Eleni Caridopoulou

    18 h 04, le 25 novembre 2020

  • Ne pas avoir d'âge serait qu'on est Dieu ou qu'on soit mort! Le Liban est sûrement pas Dieu! Mais heureusement, il est vieux ...bien vieux et aurait besoin de tout l'optimisme la créativité et l'amour de sa population... surtout les jeunes parmis eux, pour bien et mieux vieillir.

    Wlek Sanferlou

    14 h 13, le 24 novembre 2020

  • YIA DI3ANAK YIA LEBNEN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 44, le 24 novembre 2020

  • Cette photo de famille à Raouché dans les années 60 ou début 70 dit tout. Des transports en commun, une famille de la classe moyenne, un avenir prometteur. A comparer avec aujourd'hui et le règne des chefs de guerre, les invasions palestiniennes, syriennes et iraniennes. De Charybde en Scylla. Triste

    Bachir Karim

    10 h 45, le 24 novembre 2020

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