
Un manifestant passant près d’un barrage de pneus enflammés, à Beyrouth, le 14 janvier 2020. Anwar Amro/AFP
Demain, ce sera trop tard. C’est ce que l’on écrivait déjà il y a un an, à l’heure de faire un bilan général de l’état de délitement du pays. Force est de constater que la situation n’a pas fondamentalement évolué depuis, même si elle n’a pourtant cessé de se dégrader. Il y a un an, le Liban ne parvenait pas à former un gouvernement et la communauté internationale posait déjà comme prérequis à toute aide financière la mise en œuvre de réformes dans les plus brefs délais. Quelques mois plus tard, c’est comme si on était revenu à la case départ, en passant néanmoins par la crise du coronavirus et par la double explosion du port, sans pour autant être payé par la banque.
La rapidité avec laquelle tous les piliers du Liban postguerre se sont effondrés contraste avec la relative lenteur avec laquelle les effets de cet effondrement affectent pour l’instant le pays. C’est comme si l’eau était monté très vite jusqu’au bas de la tête et qu’elle progressait depuis très lentement, bien que sûrement. Cela ne veut pas dire que la misère n’est pas en train de gagner chaque jour du terrain, que des entreprises ne sont pas en train de fermer chaque jour leurs portes ou que des jeunes, ou moins jeunes, ne sont pas en train de quitter chaque jour le Liban. Mais plutôt que la situation actuelle ressemble davantage à une lente agonie qu’à un décès brutal. Le pays n’a pas encore touché le fond, mais il l’entrevoit déjà depuis des mois dans une chute qui n’a même plus le mérite d’être spectaculaire et qui a même désormais quelque chose de terriblement insipide.
Le Liban est comme plongé dans un état de profonde léthargie. La population, elle, pourrait être divisée en trois catégories : ceux qui sont encore dans le déni, persuadés que la situation va bientôt s’arranger ; ceux qui ont pris conscience de la gravité du moment mais qui ne sont pas prêts à renoncer au monde d’hier ; ceux qui optent pour une rupture, plus ou moins radicale, avec le passé, mais qui se sentent complètement impuissants à changer le cours des évènements.
L’impression d’immobilisme que renvoie la scène politique y est sans doute pour beaucoup. L’actualité politique, du moins quand elle ne concerne que les acteurs locaux, est d’un ennui mortel, même si la raison devrait nous pousser à ne pas écrire cela dans les pages d’un journal. Saad Hariri va-t-il s’entendre avec Gebran Bassil ? Le tandem chiite va-t-il pouvoir nommer ses propres ministres ? Tout cela paraît bien dérisoire au vu de l’état du pays, d’autant plus que pendant ce temps, l’un des dossiers les plus importants, l’audit de la BDL, a été enterré par une coalition d’intérêts qui regroupe les principaux partis politiques. Mais l’on ne peut se contenter de critiquer cette vieille classe politique, qui s’adonne à son jeu favori, comme le fait la société civile qui ne semble pas être capable de proposer un autre discours que celui de la dénonciation tous azimuts. Qu’on le veuille ou non, ce sont bien ces hommes politiques voués aux gémonies par une grande partie de la rue, mais élus il n’y pas si longtemps que cela par cette même rue, qui mènent encore le jeu, et ils n’ont aucun intérêt à en changer les règles. À défaut d’avoir les moyens de renverser la table, l’enjeu est de s’organiser pour grappiller petit à petit du terrain, et cela passe nécessairement par des élections. Il faudra peut-être se battre pour qu’elles aient lieu, certains partis ayant beaucoup trop à perdre, il y aura probablement des divisions au sein même de l’ancien et du nouveau monde – et c’est tant mieux ! –, mais cela apparaît comme la seule façon de sortir de l’impasse et d’entamer un nouveau cycle.
Le Liban est à l’agonie et celle-ci peut durer des années, peut-être même une décennie. Mais il ne va pas mourir pour autant. Dans l’histoire contemporaine, un pays ne meurt pas, même quand il est confronté au pire. Et le pays du Cèdre a déjà connu des situations critiques par le passé. « Mon peuple est mort », écrivait Gebran Khalil Gebran pendant la Première Guerre mondiale, alors que le Liban était frappé par une famine qui a décimé un tiers de sa population. « Laissez vivre mon peuple », lançait Ghassan Tuéni à la tribune de l’ONU en 1978, alors que la région était en train de muter et qu’il craignait que le Liban en paye les conséquences. « Les fleurs du printemps sont les rêves de l’hiver », écrivait Khalil Gebran. C’est un peu candide, mais pas tout à fait faux. C’est de notre capacité à créer aujourd’hui un nouveau rêve collectif, à partir d’un projet politique partagé par une majorité de personnes, que dépendra notamment notre sortie prochaine du tunnel.
Demain, ce sera trop tard. C’est ce que l’on écrivait déjà il y a un an, à l’heure de faire un bilan général de l’état de délitement du pays. Force est de constater que la situation n’a pas fondamentalement évolué depuis, même si elle n’a pourtant cessé de se dégrader. Il y a un an, le Liban ne parvenait pas à former un gouvernement et la communauté internationale...
commentaires (11)
C’est de notre capacité à créer aujourd’hui un nouveau rêve collectif, à partir d’un projet politique partagé par une majorité de personnes, que dépendra notamment notre sortie prochaine du tunnel. c est vrai les libanais sont des reveures, in challa c est vrai aussi la majorité des libanais croient en dieu et en leurs chefs religieux qui sont aussi corrompus que leurs hommes politiques tant qu il y a des hommes et des femmes qui se refèrent à la religion plutot qu a leur libanité on ne verra pas le bout du tunel pauvre linanais
youssef barada
13 h 53, le 22 novembre 2020