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Société - Explosions de Beyrouth

Cent jours après le drame, l’État toujours dans le déni

Le collectif Mouttahidoun manifeste au Palais de justice et sous les fenêtres de Fadi Sawan, dont il réclame la démission.

Cent jours après le drame, l’État toujours dans le déni

Vue sur des infrastructures du port de Beyrouth détruites par la double explosion du 4 août. Photo prise le 26 octobre 2020. AFP / THOMAS COEX

Cent jours après le drame du 4 août dernier, sous le slogan « Nous ne lâchons rien », et alors que l’État libanais vit toujours dans le déni, un groupe d’avocats, d’activistes et de défenseurs des droits de l’homme engagés dans l’ONG Mouttahidoun s’est rassemblé hier devant le Palais de justice, puis sous les fenêtres du procureur général près la Cour de justice Fadi Sawan, à Achrafieh, pour réclamer la transparence de l’enquête et la vérité sur la double explosion au port de Beyrouth. Les protestataires ont réclamé au procureur de cesser de tergiverser et de publier en toute indépendance, courage et transparence ses conclusions, estimant que les réserves habituelles sur la nécessité de respecter le secret de l’instruction ne tiennent pas devant un drame national de cette ampleur, que les responsables politiques vivant dans le déni le plus complet continuent de traiter comme un accident regrettable.

La double explosion au port de Beyrouth, le 4 août dernier, a fait 204 morts, près de 7 000 blessés et plus de 300 000 sans-abri, selon un bilan encore provisoire. Les hôpitaux, les ONG, les architectes, les ingénieurs, les équipes de secours du Liban et du monde entier sont engagés dans l’effort pour en éliminer les séquelles, alors que certaines pertes sont de toute évidence irrémédiables, que les vivants pleurent toujours leurs morts et que la déflagration a dévasté des quartiers entiers de la ville, laissant beaucoup de bâtiments, à l’arrivée de l’hiver, sans toit ni fenêtres.

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Mouttahidoun a dénoncé dans un communiqué « l’absence d’impartialité et de transparence dans l’instruction judiciaire en cours ». Parmi les manifestants, un activiste, Ziad Richa, qui a perdu sa mère dans la double explosion. Au nom du groupe, une avocate, Rania Nasra, a ensuite attribué en partie la lenteur de l’enquête au fait que M. Sawan ne s’est pas dégagé de sa responsabilité comme premier juge d’instruction militaire, pour se consacrer au dossier de l’explosion.

Par ailleurs, le collectif a considéré que l’enquête « est politisée en raison des poursuites engagées seulement contre de petits employés et agents, alors que leurs supérieurs hiérarchiques et les juges se barricadent derrière leur immunité constitutionnelle ». Cela, bien que le magistrat « a le droit de demander la levée de leur immunité, comme aussi celle des parlementaires et ministres qui se sont succédé depuis 2013 aux ministères des Travaux publics, de la Justice et des Finances, et dont la responsabilité dans la catastrophe est établie ».

Désolation et dévastation, après l'explosion. Photo archives AFP / STR

Un black-out délibéré

Rania Nasra a par ailleurs accusé le magistrat Sawan « de pratiquer un black-out délibéré sur l’enquête et la teneur des rapports d’expertise, et de ne prendre aucune disposition pour rassembler les correspondances échangées au sujet du stock de nitrate d’ammonium, ni pour empêcher les services de sécurité chargés du hangar 12 au port de s’ingérer dans le cours de l’instruction, sans parler de “l’incendie suspect” du 10 octobre au port de Beyrouth qui a empêché la préservation de la scène du crime ».

De son côté, Ziad Richa a réclamé que M. Sawan soit dessaisi du dossier, lui reprochant son manque d’objectivité, d’indépendance et de transparence, en particulier en raison de son hésitation à « interroger les hommes politiques en tant que suspects ».

Audi reçoit les pompiers de Beyrouth

De son côté, le métropolite de Beyrouth Élias Audi a reçu hier des représentants des familles des 10 soldats du feu de la brigade des pompiers de Beyrouth, tombés victimes du devoir le soir du 4 août. À l’issue de la visite, s’exprimant au nom de la délégation, Gilbert Saadallah Karaoun a déclaré : « Nous voulons que les hauts fonctionnaires responsables de l’explosion soit arrêtés et emprisonnés, de même que les hauts responsables politiques impliqués dans ce dame et qui, conscients du danger, n’ont rien fait pour le prévenir. Nous poursuivrons notre tournée et, si Dieu le veut, parviendrons à une conclusion, sachant que dans notre pays rien ne se termine. Mais nous tiendrons bon, jusqu’à ce que justice soit rendue aux pompiers de Beyrouth. »

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Dix pompiers de la brigade de Beyrouth ont été déchiquetés et carbonisés dans l’explosion gigantesque qui a dévasté la capitale et son port, pendant qu’ils luttaient contre l’incendie qui s’était déclaré dans le hangar 12 où 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées sans aucune protection, à côté d’autres substances hautement inflammables, des barils d’essence et de kérosène, d’acide chlorhydrique… et 15 tonnes de feux d’artifice.

Les parents des pompiers victimes du devoir reçus par le métropolite Élias Audi. Photo ANI

Ce que l’on sait de l’enquête

En charge de l’enquête sur la double explosion meurtrière, le juge Fadi Sawan a publié un communiqué la semaine dernière justifiant les lenteurs qui marquent l’enquête par le besoin d’agir vite, mais « sans précipitation ». Le magistrat a rappelé que 25 personnes sont arrêtées dans ce cadre, et que des mandats d’arrêt par contumace ont été lancés contre le propriétaire et le capitaine du navire qui avait déchargé au Liban en 2014 la cargaison meurtrière. « Toutes les possibilités sont envisagées jusqu’à la fin des enquêtes », avait précisé le magistrat, qui n’exclut donc ni l’hypothèse d’un acte criminel ni celle d’une négligence.

Rappelons que parmi les détenus se trouvent trois hauts responsables : le directeur des douanes Badri Daher, le directeur général des transports maritimes et terrestres Abdel Hafiz el-Kaïssi et le directeur général du port Hassan Koraytem.

Un « Envoyé spécial » de FR2 consacré à la catastrophe

L’émission phare de France 2, Envoyé spécial*, a diffusé hier soir pour les 100 jours de l’explosion une émission dont nous reproduisons l’un des extraits : « Lorsque les journalistes d’Envoyé spécial sont arrivés à Beyrouth pour ce reportage, l’enquête avançait lentement, comme la reconstruction de la ville. Une trentaine de personnes avaient été arrêtées, sans être formellement inculpées. Parmi elles se trouve un homme qui avait pourtant tenté d’alerter du danger, d’empêcher la catastrophe. Envoyé spécial a retrouvé les rapports confidentiels, jamais diffusés, du commandant Joseph Naddaf, en poste à la Sûreté générale du port de Beyrouth.

« En décembre 2019, en patrouillant sur le port, le militaire avait remarqué que la porte du hangar n° 12 ne fermait pas et qu’un des murs était troué. À l’intérieur, il avait découvert des centaines de sacs en mauvais état contenant du nitrate d’ammonium. Il avait pris des photos.

« Quelques semaines avant l’explosion, Joseph Naddaf l’avait écrit noir sur blanc : “Ces substances provoqueront une gigantesque explosion qui détruira le port de Beyrouth.” “Les ministres de l’Intérieur, de la Défense, des Finances, les chefs de l’armée, de la Sûreté générale et tous les plus hauts officiers du pays ont reçu ce rapport, précise aujourd’hui son oncle. Aucun n’a fait quoi que ce soit, et l’explosion a eu lieu. Ils ont été interrogés, et tous relâchés, alors que Joseph, lui, a été arrêté. ” “Inacceptable” pour sa famille... »

* Extrait de « Beyrouth : une bombe au cœur de la ville », un reportage diffusé hier dans « Envoyé spécial ».

Cent jours après le drame du 4 août dernier, sous le slogan « Nous ne lâchons rien », et alors que l’État libanais vit toujours dans le déni, un groupe d’avocats, d’activistes et de défenseurs des droits de l’homme engagés dans l’ONG Mouttahidoun s’est rassemblé hier devant le Palais de justice, puis sous les fenêtres du procureur général près la Cour de...

commentaires (6)

"Cela, bien que le magistrat « a le droit de demander la levée de leur immunité, comme aussi celle des parlementaires et ministres qui se sont succédé depuis 2013 aux ministères des Travaux publics, de la Justice et des Finances, et dont la responsabilité dans la catastrophe est établie »." Vous oubliez les deux principaux ministères responsables, à savoir la Défense et l'Intérieur! Le premier est responsable de la réception du nitrate d'ammonium en provenance de l'étranger, le second responsable des demandes de permis d'importation pour cette matière hautement explosive.... Et puis de grâce, cessez de parler de "double" explosion: la première n'était qu'un pétard en comparaison avec la grande explosion, la vraie... Regardez bien cette video: https://www.youtube.com/watch?v=FnSr820S2Mk&t=63s.

Georges MELKI

15 h 10, le 13 novembre 2020

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Commentaires (6)

  • "Cela, bien que le magistrat « a le droit de demander la levée de leur immunité, comme aussi celle des parlementaires et ministres qui se sont succédé depuis 2013 aux ministères des Travaux publics, de la Justice et des Finances, et dont la responsabilité dans la catastrophe est établie »." Vous oubliez les deux principaux ministères responsables, à savoir la Défense et l'Intérieur! Le premier est responsable de la réception du nitrate d'ammonium en provenance de l'étranger, le second responsable des demandes de permis d'importation pour cette matière hautement explosive.... Et puis de grâce, cessez de parler de "double" explosion: la première n'était qu'un pétard en comparaison avec la grande explosion, la vraie... Regardez bien cette video: https://www.youtube.com/watch?v=FnSr820S2Mk&t=63s.

    Georges MELKI

    15 h 10, le 13 novembre 2020

  • Y a t-il encore un seul libanais qui croit en la justice du pays? La repose est non. Ils sont lâches et se cachent derrière leurs discours fallacieux malgré toutes les preuves orales obtenues de la bouche des politiciens concernés et pas des moindres à commencer par le chef de l’état qui disait avoir été au courant comme tous les autres responsables d’ailleurs, ils ont été auditionnés comme témoins. Quelle prouesse. Quel courage. Il vient nous parler d’enquête. Il enquête sur quoi exactement? Pourquoi ce président refuse de confier cette enquête aux services internationaux compétents sinon pour camoufler et éviter un scandale supplémentaire qui ébranlera toute l’équipe régnante qui ne tient plus que grâce aux barbus qui les protègent et à qui on a vendu le pays pour en disposer comme ça leur chante tant qu’ils garderont le fauteuil et le blocage pour faciliter leurs missions. Il n’y a pas de justice ni de justiciers que des vendus partout.

    Sissi zayyat

    12 h 37, le 13 novembre 2020

  • On répéte sans arrêt dans les médias et aux visiteurs que la lutte contre la corruption est la priorité...mais on couvre ses copains de tous bords, même si leur corruption et une négligeance criminelle ont causé morts innocents, destructions et misère ! - Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 21, le 13 novembre 2020

  • Hier, Envoyé Spécial a eu le mauvais goût de mettre la faute à "pas de chance" et sur le dos de la négligence. Elise Lucet a offert un cadeau inespéré à tous ceux qui ont acheté/ou contrôlé et stocké la marchandise, qui ne sert qu'à fabriquer des explosifs, en tenant compte de la haute concentration du Nitrate. Si le procureur démissionne, son remplaçant risque de tout reprendre à zéro, car les appréciations non écrites seront perdues. Je pense que cette affaire devrait porter le nom suivant: "pas touche au hangar 12"

    Shou fi

    10 h 08, le 13 novembre 2020

  • Les responsables ne sont pas dans le déni, non. C’est tout simplement la couverture au plus haut niveau , d’une opération criminelle , avec des complicités au plus haut niveau , servant les desseins stratégiques d’un certain parti politique...Non il ne s’agit pas de négligence. Depuis le tout début il y a de nombreuses années, des avertissements sont émis en direction des responsables à tous les niveaux , sans qu’aucune action ne soit prise , sinon la disparition louche d’un officier en charge de la sécurité du port il y a 4 ans.. Qui donc peut-il gripper la machine etatique à ce point et bloquer toute mesure visant à remédier cette situation et se débarrasser du nitrate ? Suivez mon regard ! L’absence de progrès dans l’enquête a valeur d’aveu..

    LeRougeEtLeNoir

    09 h 21, le 13 novembre 2020

  • Pas besoin de juge d instruction, les responsables sont connus , ils étaient au courant du danger imminent et ont fait fi des messages reçus à ce sujet On saura plus de détails quand on comprendra qui a assassine le président Kennedy .......

    Robert Moumdjian

    03 h 30, le 13 novembre 2020

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