Des centaines de manifestants islamistes, venus surtout de Tripoli, mais aussi de Beyrouth et du Liban-Sud, ont manifesté hier, à quelques pas de la résidence de l’ambassadrice de France au Liban, pour dénoncer les caricatures du Prophète publiées par Charlie Hebdo et défendues par le président français Emmanuel Macron. Ce rassemblement a eu lieu à l’appel de Hezb al-Tahrir, un parti panislamiste peu connu du grand public au Liban et qui appelle au rétablissement du califat islamique.
Vers 13h, ces hommes, munis de bannières noires frappées de l’inscription de la « chahada », profession de foi musulmane, parmi lesquels beaucoup de jeunes et d’adolescents, se sont rassemblés au niveau de la mosquée Abdel Nasser, dans le quartier de Corniche Mazraa, situé non loin de la Résidence des Pins, résidence officielle de l’ambassadrice Anne Grillo. Des heurts ont ensuite opposé certains des manifestants aux forces de l’ordre qui ont répondu par des tirs de gaz lacrymogène et éloigné les protestataires vers les quartiers de Barbir et de Mazraa. Les policiers ont procédé à plusieurs arrestations. Les premiers convois s’étaient lancés en matinée de Tripoli et de la Békaa, selon notre correspondante Sarah Abdallah, ainsi que de Saïda au Liban-Sud. Dans cette ville à majorité sunnite, les prêches des imams de différentes mosquées ont généralement gravité aujourd’hui autour de la question des « insultes » faites au Prophète, selon notre correspondant Mountasser Abdallah. Les imams ont dans le même temps condamné l’attentat survenu jeudi à Nice, endeuillée par l’assassinat de trois personnes dans une église, affirmant qu’il ne reflète pas les valeurs de l’islam. Par ailleurs, des partisans de la Jamaa islamiya ainsi que des proches du régime turc se seraient également joints à la manifestation à Beyrouth. « Nous sommes en colère contre (le président français Emmanuel) Macron car il a laissé un magazine médiocre insulter le Prophète », s’emportait un manifestant à Beyrouth, bandeau islamiste sur le front, dans une déclaration à L’OLJ. « Nous voulons un État islamique. Nous l’aurons bientôt si Dieu le veut », criait un autre manifestant en colère venu droit de Tripoli avec d’autres sympathisants de Hezb al-Tahrir.
Hezb al-Tahrir et le retour du califat
Mais quel est donc ce parti dont une majorité de Libanais n’ont pas entendu parler ? Fondé en 1953, Hezb al-Tahrir prône « la réunification du monde musulman et le retour du califat » tout en se disant « opposé à la lutte armée », selon des explications fournies à L’Orient-Le Jour par le cheikh Mohammad Ibrahim, responsable de la communication au sein de ce parti. Hezb al-Tahrir est actuellement dirigé par un « émir » de nationalité jordanienne, Ata’ Abou Rachta, diplômé en génie civil. Ce parti compte des membres dans plusieurs pays arabes ainsi que dans certains pays d’Europe, dont la France et le Danemark, selon le cheikh Ibrahim. Hezb al-Tahrir a obtenu une licence au Liban en 2006 après avoir passé des années dans la clandestinité au pays du Cèdre. Au fil des ans, il s’est illustré par son opposition au régime syrien. Il fait partie des mouvements en faveur d’une amnistie générale qui permettrait de libérer des dizaines de détenus islamistes.
« Deux mille personnes devaient prendre part à la manifestation, mais la plupart n’ont pas pu se rendre sur place à cause de mesures sécuritaires drastiques mises en place par les autorités », dénonce le cheikh Ibrahim. « Nos partisans ont été retardés au barrage de Madfoun (Nord) puis à un barrage établi à Dora (entrée de Beyrouth), et enfin à un troisième barrage dans le secteur de la Quarantaine. Nos membres ont été minutieusement fouillés », raconte-t-il à L’OLJ. « Je ne comprends pas pourquoi les autorités ont pris toutes ces mesures, alors qu’elles n’ont érigé aucun barrage lorsque les Arméniens ont manifesté devant l’ambassade turque par exemple (lundi dernier) », s’insurge le religieux, avant d’ajouter : « Il est clair qu’on voulait nous mettre des bâtons dans les roues. »
« Guerre contre l’islam »
« Nous avons voulu demander à la classe politique libanaise de prendre position contre les atteintes aux symboles religieux musulmans. Les autorités libanaises doivent prendre leurs distances par rapport à la France », déclare encore le cheikh Ibrahim, mécontent du fait que plusieurs personnalités ont condamné le meurtre de l’enseignant français Samuel Paty puis l’attaque au couteau perpétrée jeudi à Nice. Le chef de l’État Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri avaient exprimé leur solidarité avec la France après ces attentats. Dimanche dernier, le Hezbollah avait, pour sa part, condamné « fermement l’insulte délibérée » faite au Prophète, exprimant dans un communiqué son « rejet de la position française persistante consistant à encourager cet affront dangereux ».
Samuel Paty avait été décapité par un islamiste russe tchétchène radicalisé pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet. Après cet attentat terroriste, le président français Emmanuel Macron avait promis, au nom de la liberté d’expression, que la France ne renoncerait pas aux caricatures. Ses propos ont entraîné de vives tensions dans plusieurs pays musulmans, allant des manifestations jusqu’au boycott des produits français. « La France a présenté plusieurs versions contradictoires au sujet de l’assassinat de Samuel Paty », estime le cheikh qui dénonce « un incident douteux ». « Il s’agit d’une démarche du président français en préparation des prochaines élections, sous prétexte de défendre la liberté d’expression », accuse le religieux. « La liberté d’expression ne peut pas s’appliquer à tous les sujets. La France a provoqué des milliards de musulmans à travers le monde. Le prophète Mahomet est une ligne rouge. Il s’agit d’une guerre lancée contre l’islam », souligne-t-il.
commentaires (10)
Ces foules de fanatiques venues des quatre coins du Liban pour insulter le chef de l’Etat français feraient mieux de se rappeler ses deux déplacements au Liban pour tirer le pays de la crise existentielle dans laquelle il patauge !
Un Libanais
19 h 56, le 31 octobre 2020