Alors que le peuple libanais célébrait le 1er anniversaire du soulèvement du 17 octobre dans une atmosphère empreinte de tristesse et de nostalgie, la classe dirigeante s’affairait de son côté à la formule à même de ramener l’une de ses figures de proue au Grand Sérail. Quelques jours plus tard, c’est donc le chef du gouvernement renversé un an plus tôt par le soulèvement populaire, Saad Hariri, qui fait son retour, laissant à nouveau miroiter des promesses de changement jamais tenues jusque-là.
Cette fois, l’establishment politique parie à la fois sur l’affaiblissement de la protestation dans les rues, devant mettre son poulain à l’abri d’une autre démission forcée, et sur l’importance des réseaux dont dispose Hariri sur la scène internationale, qui suffiront à garantir le soutien étranger à un système financier en train de s’effondrer. La présence du leader du courant du Futur à la tête du prochain gouvernement garantit en effet l’absence de mesures drastiques pour récupérer les fonds privés sortis clandestinement ces deux dernières années ou les biens mal acquis à l’étranger par les politiciens corrompus. Il faudra donc trouver de l’argent frais ailleurs.
Trouver de l’argent
La principale mission du futur gouvernement Hariri, celle qui a valu à ce dernier le soutien de la plupart de ses rivaux politiques, est en effet de convaincre des partenaires internationaux devenus méfiants de prêter, une fois encore, de l’argent au Liban.
La plus importante de ces aides financières – non seulement en volume mais surtout parce que son obtention conditionne les autres – est celle que le Liban attend du Fonds monétaire international (FMI). Alors que les négociations entre le gouvernement de Hassane Diab et le FMI avaient démarré à la mi-mai, elles sont restées depuis au point mort, principalement en raison de l’entreprise de sabotage menée par le lobby bancaire et ses alliés politiques. La remise en cause, par la commission des Finances et du Budget, de l’estimation du total des pertes du système financier à 154 000 milliards de livres – un chiffre qu’elle estimait surévalué, alors qu’il avait été jugé crédible par le FMI – ayant même poussé à la démission deux membres de la délégation libanaise (le consultant Henri Chaoul puis l’ancien directeur général du ministère des Finances Alain Bifani) chargée de mener les négociations.
Dès lors, Hariri parviendra-t-il cette fois à conclure un accord avec l’institution financière ? Rien n’est moins sûr… Car le FMI continuera d’exiger, d’une part, la présentation d’un plan de redressement crédible ; et d’autre part, que les fonds du sauvetage ne soient pas gaspillés dans des politiques aussi bancales que celles que le gouvernement ou la Banque centrale ont menées jusqu’à présent. Saad Hariri étant lui-même un membre éminent de l’oligarchie financière qui a mis en échec les négociations, il est très peu probable qu’il puisse adopter une position différente de celle des banques. À l’instar de celui concocté par ces dernières, son plan visera sans doute à gagner du temps en rééchelonnant la dette contractée auprès d’elles, en privatisant les actifs de l’État et en évitant toute restructuration radicale du secteur financier.
Or pourquoi le FMI accepterait-il soudainement une approche pour laquelle il n’a déjà montré aucun intérêt jusqu’à présent – et dont le parti pris, les erreurs d’estimation et l’iniquité ont par ailleurs été dénoncés par les groupes de la société civile comme par la plupart des indépendants ? A fortiori si ce plan ne comporte pas non plus les autres réformes structurelles indispensables pour assurer une véritable transparence et équité des réformes, telles que l’instauration d’un véritable contrôle légal des capitaux (jusque-là mis en échec par la classe politique) ;
l’adoption d’une loi garantissant véritablement l’indépendance du pouvoir judiciaire ; ou la mise en place d’une enquête sur tout acte de fraude (présent ou passé) dans la conduite des politiques publiques et réglementaires. À cet égard, on peut douter de la volonté de Hariri de faciliter la finalisation d’un audit juricomptable de la Banque centrale. Un processus d’ailleurs d’ores et déjà condamné cette semaine après le refus de la BDL de transmettre une grande partie des documents requis par le cabinet Alvarez & Marsal, au prétexte du respect de la loi sur le secret bancaire. Selon toute vraisemblance, Hariri continuera de protéger le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, face à tout risque de poursuites pour son rôle dans la crise, et ne devrait certainement pas pousser pour un changement à la tête de l’institution.
À moins que les partenaires internationaux du pays ne décident à nouveau d’investir dans une classe dirigeante incapable de produire un plan crédible et de s’engager dans un véritable processus de redevabilité – une perspective improbable dans le climat actuel –, Hariri devrait échouer donc dans sa mission principale : obtenir un important soutien financier étranger.
Résister
Et même si un accord venait miraculeusement à être conclu avec le FMI, l’argent serait versé par tranches, chacune conditionnée à la réalisation de réformes précises, dont certaines se heurteront à nouveau à la résistance de l’establishment corrompu. Si ces conditions sont remplies et que le Liban finit par sécuriser la totalité de l’enveloppe, la plupart des experts estiment qu’elle ne devrait pas dépasser 6 milliards de dollars, étant donné la faible quote-part du Liban au FMI.
Un tel montant devrait à peine suffire pour tenir une année, à moins que, pour préserver les maigres réserves de la BDL, le gouvernement n’opte pour des mesures radicales telles que la levée de la plupart des subventions sur les produits de première nécessité et le passage à un régime de change flottant ou semi-flottant. Ces mesures accéléreraient rapidement la crise sociale actuelle, ce qui pourrait avoir de graves implications politiques. En d’autres termes, le gouvernement Hariri réussira au mieux à gagner du temps, au pire à gérer l’effondrement complet de l’économie du pays.
Dans les deux hypothèses, la société civile devra résister au programme de son gouvernement, d’autant que la plupart des mesures qu’il devrait mettre en œuvre causeront probablement encore plus de souffrances à la société et nécessiteront une répression accrue pour faciliter leur imposition. Face à cette réalité, nous devrons construire une coalition populaire et une alternative politique qui soient prêtes à mener la résistance.
Le désespoir que nous éprouvons tous aujourd’hui sert les intérêts de la contre-révolution, qui a commencé dans la foulée du 17 octobre 2019 et atteint son point culminant avec le retour de Hariri. Mais malgré ce sentiment, le moment est venu de s’organiser. Aucun peuple n’a jamais réussi à résister à l’injustice et à l’oppression sans mobiliser le pouvoir du collectif. Quels que soient les sacrifices que nous faisons, ils ne seront pas aussi douloureux que la misère qui nous attend si nous ne faisons rien. Enfilez vos masques et vos bottes, camarades. Nous avons peu à perdre et notre avenir à gagner !
Cofondateur du mouvement politique Li Haqqi et coprésentateur du Lebanese Politics Podcast.
ESPERONS QU,IL EN NE SOIT PAS AINSI. IL NE RESTE QUE L,ESPOIR,
21 h 27, le 02 novembre 2020