La réponse à Bkerké qui a envisagé pour la première fois un débat autour d’une « révision du système libanais et de la répartition des prérogatives » au sein de l’État, à condition d’en finir au préalable avec les armes du Hezbollah et de consacrer la neutralité du Liban, est venue hier encore une fois sous la forme d’un non catégorique, non pas d’Amal et du Hezbollah, les deux principaux partis pointés du doigt par le chef de l’Église maronite, Mgr Béchara Raï, mais des dignitaires religieux de la communauté chiite.
Dans leurs prêches du vendredi, hier, le mufti jaafarite et le vice-président du Conseil supérieur chiite, les cheikhs Ahmad Kabalan et Ali el-Khatib, ainsi que l’uléma Ali Fadlallah ont tous trois répondu au discours patriarcal en rejetant ses conditions, mais en insistant sur une refonte du système politique dans un sens qui devrait, selon eux, « favoriser l’émergence d’un État ». Une prise de position qui représente au final celle des deux principales formations politiques chiites qui se font un point d’honneur de ne pas répondre aux appels répétés du patriarche à consacrer la neutralité du pays.
C’est la seconde fois en trois mois que les dignitaires chiites critiquent les plaidoyers de Bkerké en faveur de la neutralité et du désarmement du Hezbollah. La réaction la plus violente hier a été celle du mufti Kabalan qui s’est déchaîné contre « le système politico-confessionnel actuel, corrompu et corrupteur, inapte à la gestion d’un pays et à l’édification d’un État ». « Je conseille à tout le monde, notamment aux sages, de ne pas s’engager dans des interprétations et des jurisprudences et de ne pas lancer des accusations injustifiées. Ce pays est effectivement en danger et risque sérieusement de connaître l’enfer si les parties concernées se cramponnent à leurs positions et leurs doutes ainsi qu’à leur méfiance l’une à l’égard de l’autre et refusent de réaliser que ce système n’est pas viable et que tout débat à ce sujet est une perte de temps », a déclaré le cheikh Kabalan, avant de s’adresser en ces termes au patriarche Raï, sans le nommer : « Nous demandons amicalement aux partisans de la neutralité de nous expliquer de quelle neutralité ils parlent alors que les tractations pour la formation du gouvernement se déroulent en coulisses, outre-mer. Nous rejetons ces pratiques et nous insistons pour nommer nos propres ministres. Nous n’accepterons pas qu’ils soient nommés par d’autres. Telle restera notre position dans l’État communautaire de Taëf, jusqu’à ce que tous adhèrent à l’idée d’un État civil grâce à un nouveau système qui nous fera sortir du confessionnalisme pour nous introduire dans un État de droit. »
Dans son homélie dominicale dimanche, Mgr Raï avait affirmé : « Nous ne sommes pas disposés à reconsidérer notre présence et notre système à chaque fois qu’il faut former un gouvernement ou à accepter des concessions au détriment des spécificités libanaises, du pacte national et de la démocratie. » Il avait écarté l’éventualité d’un amendement du système « en présence de mini-États ». « Quelle en est l’utilité avec la présence hégémonique des armes illégales, libanaises et autres ? Une révision du système libanais et de la répartition des prérogatives et des rôles s’opère une fois la neutralité du Liban consacrée dans sa triple dimension : tenir le pays à l’écart des conflits régionaux et internationaux, permettre à l’État d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national, avoir le monopole des armes et une politique étrangère, et laisser le pays assumer son rôle au sein de la communauté arabe », avait-il plaidé.
Mise en garde contre un nouveau 7 mai
Après avoir annoncé que « la bataille pour le changement du système se poursuivra », le cheikh Kabalan a mis en garde « contre une réédition du gouvernement du 5 mai », en allusion au gouvernement de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora qui avait décidé le 5 mai 2008 de limoger le directeur de la sécurité de l’aéroport, un proche du Hezbollah, et de démanteler le réseau de télécommunications du parti, ce qui avait entraîné à l’époque (le 7 mai) de violents affrontements à Beyrouth entre les partisans de la formation chiite et du courant du Futur. « Nous refusons toute tentative d’infiltration politique qui pourrait de nouveau conduire à des guerres civiles », a-t-il averti.
Concernant les armes du Hezbollah, il a estimé que la résistance « que vous essayez de dénigrer à travers des idées diffamatoires et des qualificatifs infondés et injustes fait partie du peuple libanais et restera un bouclier face aux complots de la normalisation (avec Israël) et de l’implantation » des Palestiniens.
Le vice-président du Conseil supérieur chiite, l’uléma Ali el-Khatib, a pour sa part appelé à la tenue d’une « conférence nationale de dialogue pour discuter des meilleures formules constitutionnelles qui favoriseraient l’émergence d’un nouveau système juste, capable d’instituer une égalité sociale, de dissiper toutes les appréhensions et de faire de la population une même unité politique ». Il a appelé les parties politiques « qui comptent sur l’étranger pour réaliser des acquis politiques au plan interne de renoncer à ces plans », mettant en garde contre « les tentatives d’exclusion, d’isolement et de marginalisation ». Tout comme le cheikh Kabalan, le vice-président du Conseil supérieur chiite s’est dit en faveur de la mise en place d’un gouvernement « qui ne soit pas provocateur, pour réaliser les réformes nécessaires pour freiner l’effondrement ».
Les discours des trois dignitaires chiites convergeaient pour attribuer aux « interventions étrangères les complications du dossier gouvernemental ». « Il est devenu clair qu’un cabinet qui ne tient pas compte de l’équilibre communautaire et des appréhensions des différentes confessions et parties politiques influentes n’est pas viable et ne pourra donc pas régler les crises qui affectent le pays et l’engager sur la voie des réformes », a ainsi prévenu l’uléma Ali Fadlallah, avant de mettre en garde contre « les discours confessionnels employés dans le cadre de conflits politiques, en raison de leur impact dangereux sur la paix civile ». S’adressant indirectement à Bkerké, il a invité les « chefs religieux à rester vigilants et à ne pas tolérer que la religion serve d’instrument aux forces politiques au service de leurs intérêts ».
commentaires (11)
Les dignitaires chiites manquent de dignité, malheureusement, quand il se font dicter par l'Iran leurs discours et leurs positions. Ont peut même voir les fils de marionnettes qui contrôlent leurs lèvres et leurs langues....... Maintes autres Dignitaires Chiites, dignes de ce titre, se sont fait isolés, vu leurs réputations battues et même se font trainer devant la justice, de même que des activistes et intellectuels Chiites ont aussi était attaqués par l'Iran pour les ramener en ligne avec la dictature iranienne. Les trois sheikh mentionnés dans cet article devraient se retourner vers les vrais dignitaires Chiites pour apprendre un peu de dignité!
Wlek Sanferlou
16 h 37, le 26 septembre 2020