C’est avec un dossier noir en main que s’est présenté hier le Premier ministre désigné, Moustapha Adib, à Baabda. Cela ne signifie pas, pour autant, que la laborieuse tâche de la formation du gouvernement ait effectivement mûri. Loin de là même, puisque les obstacles, principalement celui concernant la partie chargée de désigner et de répartir les candidats aux différents portefeuilles, n’ont pas encore été levés. En conséquence, la visite du Premier ministre désigné au chef de l’État, Michel Aoun, s’est limitée à informer ce dernier de la teneur des entretiens et des résultats de ses contacts avec le tandem chiite afin d’évaluer les perspectives des tractations. Sur ce plan, le Premier ministre désigné a été clair : le problème persiste, puisque le Hezbollah et Amal veulent à tout prix nommer tous leurs ministrables, une exigence qu’il a affirmé ne pouvoir en aucun cas accepter. M. Adib n’a donc présenté aucune mouture de cabinet mais des CV de candidats spécialistes ainsi que sa vision de la répartition des 22 portefeuilles sur 14 ministres. De son côté, le président Aoun a réclamé que des critères unifiés soient adoptés avec les blocs parlementaires. Comprendre donc que si une partie veut nommer ses ministres, les autres doivent bénéficier du même droit. M. Aoun a également demandé que le cabinet soit élargi à au moins 20 portefeuilles afin que chaque ministre puisse s’atteler à sa tâche et mener à bien les réformes requises dans son ministère.
Après l’étape Baabda, Moustapha Adib s’est de nouveau réuni en soirée avec les « deux Khalil » (le conseiller politique du secrétaire général du Hezbollah, Hussein Khalil, et Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre, Nabih Berry) pour examiner le mécanisme de désignation des ministres. Selon des informations relayées par notre correspondant politique Mounir Rabih, les deux parties ne sont parvenues à aucun accord : le tandem chiite n’a présenté aucune liste de ministrables, Moustapha Adib refusant ce principe, et a une nouvelle fois rejeté que le Premier ministre désigné nomme lui-même les candidats chiites. Face à ce regain de toutes les crispations, les responsables français mènent toujours, selon Mounir Rabih, des contacts afin de sauver l’initiative d’Emmanuel Macron mais tout porte à croire que l’on revient à la case départ. Dans ce contexte, Moustapha Adib, qui doit de nouveau rencontrer le président ce matin à onze heures, se dirigerait donc vers une récusation, sauf percée miraculeuse de dernière minute.
Valse d’informations contradictoires
La journée d’hier a en tout cas été marquée par une valse d’informations contradictoires et de démentis. Alors que du côté du tandem chiite ont continuait de distiller un climat positif que justifierait la certitude à ses yeux que l’attribution des Finances lui était désormais acquise ainsi que la désignation de tous les candidats chiites, dans les milieux haririens, les informations n’étaient pas du tout sur la même longueur d’onde. Selon une source proche du courant du Futur, aucun progrès n’a été enregistré à ce niveau et le blocage persiste pour les mêmes raisons.
Un antagonisme qui en dit long sur le bras de fer, par médias interposés, que se livraient hier les deux parties. Si Amal et le Hezbollah étaient soucieux de ne pas paraître comme étant responsables du blocage, le courant haririen et, par ricochet, le Premier ministre désigné ne voulaient pas non plus montrer qu’ils lâchaient du lest facilement face à l’obstination du tandem. Toute nouvelle concession serait à même d’embarrasser un peu plus M. Hariri, notamment après le discours prononcé devant l’Assemblée générale de l’ONU par le roi Salmane d’Arabie saoudite, lors duquel il a dénoncé, dans des termes virulents, l’hégémonie du Hezbollah sur la décision politique au Liban par la force des armes. Ayant déjà consenti un sacrifice en acceptant que soit octroyé le portefeuille des Finances à la communauté chiite, Saad Hariri ne pourra plus désormais aller au-delà de cet accommodement, comme le note une source haririenne.
Cette ligne rouge tracée par Riyad que M. Hariri souhaite ménager au plus haut point lui a été également rappelée par ses anciens alliés libanais qui se placent aujourd’hui aux antipodes de la politique de compromis inaugurée il y a quatre ans par le chef du courant du Futur avec l’élection du président de la République. Ouvertement critiques à son égard, plusieurs personnalités sunnites sorties des rangs du courant du Futur, telles que Radwan Sayed, ancien conseiller de M. Hariri, ne mâchent plus leurs mots pour désigner ce qu’ils estiment être une mollesse de la part de l’ancien chef du gouvernement à l’égard du tandem chiite et un grand écart dont il ne sortirait plus indemne. Hier, le rédacteur en chef du média libanais en ligne Asass, Ziad Itani, a écrit un éditorial virulent intitulé « Le poison pour toi et pour nous la dignité », allusion faite à la proposition d’accorder les Finances aux chiites pour débloquer le gouvernement, M. Hariri ayant qualifié ce compromis de coupe empoisonnée qu’il était prêt à boire pour sauver le pays. Le chef du courant du Futur se serait également mis à dos les anciens Premiers ministres qui n’auraient vraisemblablement pas été consultés avant que M. Hariri ne fasse son annonce-surprise accordant une concession à Amal et au Hezbollah.
Du côté chiite, c’est en rangs serrés qu’on avance, le tandem étant plus que jamais soudé pour mener les négociations selon ses propres termes et conditions. Dans les milieux du tandem Hezbollah-Amal, on a sciemment multiplié les signes en direction d’un prochain déblocage, comme pour forcer la main au Premier ministre. Des sources proches du Hezbollah mais également du mouvement Amal continuaient d’évoquer hier l’idée que la désignation du ministre des Finances par le tandem chiite était désormais acquise, tout comme celle d’une liste de dix candidats qu’il soumettrait à M. Adib pour qu’il en choisisse un. Une information qui a toutefois été démentie hier par les milieux du Premier ministre désigné qui ont affirmé à la LBCI qu’il n’en était rien et que, s’il devait choisir un candidat, M. Adib le ferait au sein d’une liste qui ne dépasserait pas les trois à quatre noms.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, le député berriste Kassem Hachem a reconnu que l’épineuse question concernant la partie habilitée à nommer le ministre des Finances n’a toujours pas été élucidée à ce jour et rappelé que le mécanisme d’une liste de dix établie par le tandem n’était à ce stade encore qu’une proposition.
commentaires (10)
C'est la plongée dans la guerre civile devastarice a présent à moins que le président ne suspende la constitution et forme un gouvernement militaire mais il n'est pas enclin aux coups d'etat
Chucri Abboud
14 h 23, le 26 septembre 2020