
Le président Michel Aoun durant son point de presse. Photo Dalati et Nohra
Un gouvernement ou l’enfer. C’est la nouvelle équation qu’a posée le président de la République, Michel Aoun, pour exprimer l’urgence de la formation d’un gouvernement dans les plus brefs délais. Il a donc reconnu que le Liban est dans l’impasse et par là même livré un terrible aveu de faiblesse. Face au blocage, il a proposé une solution qui, selon lui, devrait mettre fin au nœud du ministère des Finances, tout en imputant la responsabilité de l’impasse actuelle tant au tandem chiite qu’au Premier ministre désigné, Moustapha Adib.
Après avoir tenté, en vain, de régler le problème généré par l’insistance du binôme Amal-Hezbollah à conserver sa mainmise sur les Finances, le chef de l’État a tenté de défaire ce nœud en le noyant dans la polémique portant sur la répartition communautaire des portefeuilles dits régaliens. Depuis des dizaines d’années, les quatre portefeuilles-clés sont répartis entre les grandes communautés. Les maronites détiennent donc les Affaires étrangères, alors que les Finances sont confiées aux chiites, l’Intérieur aux sunnites et la Défense aux grecs-orthodoxes. Trente ans après la fin de la guerre civile, Michel Aoun propose donc « d’abolir la répartition communautaire des portefeuilles régaliens » et « de ne pas les consacrer à des communautés en particulier ».
Selon des observateurs politiques interrogés par L’Orient-Le Jour, « cet appel est entouré de flou ». Un proche de Baabda ayant requis l’anonymat explique à L’OLJ que le président Aoun ne fait qu’appliquer les textes constitutionnels. « Ceux-ci ne consacrent aucun portefeuille à une communauté bien définie », dit-il avant d’ajouter : « Il s’agit donc d’ouvrir ces postes ministériels à tous les Libanais, quelle que soit leur appartenance confessionnelle, afin de nommer les ministres conformément aux seuls critères du mérite et de la compétence. » « Mais le président est conscient qu’un seul garde-fou existe à la faveur de l’article 95 de la Constitution » qui « stipule que les communautés soient équitablement représentées au sein du gouvernement. Il n’est donc pas question d’attribuer deux ministères régaliens à une même communauté », précise toutefois ce proche de la présidence.
« Qu’ils commencent par les présidences »
En présentant ce projet de solution, Michel Aoun a clairement renvoyé la balle du blocage du processus gouvernemental en premier lieu aux deux formations chiites majoritaires. Il espère, ce faisant, les inciter à faciliter la mise sur pied de la nouvelle équipe. Mais il n’en sera probablement rien, du moins dans un avenir proche. En effet, contactés par L’OLJ, des milieux du président de la Chambre, Nabih Berry, se montrent catégoriques : Amal et le Hezbollah ne feront pas marche arrière et continueront de réclamer le ministère des Finances.
Commentant l’initiative du chef de l’État, un proche du président de la Chambre ne mâche pas ses mots. « C’est une véritable mascarade. Qu’ils appliquent le principe de la rotation aux présidences », lance-t-il. Une allusion aux trois présidences réparties entre maronites, sunnites et chiites, comme le veut une coutume en vigueur depuis 1943. « Nous voulons le portefeuille des Finances parce que nous n’avons rien, alors que le chef de l’État préside le Conseil des ministres et le chef du gouvernement commande l’exécutif », ajoute-t-il. Aïn el-Tiné laisse ainsi entendre que la communauté chiite recherche une garantie qui lui permettrait d’exercer un contrôle sur le travail du pouvoir exécutif au même titre que les maronites et les sunnites.
Le Hezbollah, pour sa part, s’est abstenu de commenter les propos du chef de l’État. Sans doute pour maintenir ses relations avec son allié traditionnel, en dépit « des sévères accusations que Michel Aoun a adressées au parti chiite », pour reprendre les termes d’un proche du dossier joint par L’OLJ.
Une source informée confie dans ce cadre que le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, pourrait se rendre à Baabda aujourd’hui pour arrondir les angles entre la présidence et la formation de Hassan Nasrallah. En attendant, notre correspondant politique Mounir Rabih a indiqué en soirée qu’une solution prévoyant l’attribution des Finances aux chiites, à condition que le binôme concerné s’engage à ne pas consacrer cette pratique dans les futurs gouvernements, est tombée à l’eau.
Des flèches en direction d’Adib
Comme pour faire bonne mesure, Michel Aoun a aussi décoché ses flèches en direction de M. Adib. Il lui a reproché de former son cabinet sans se concerter avec les groupes parlementaires et de n'avoir jusque-là proposé aucune mouture de cabinet. Mais comme dans les milieux chiites, les milieux sunnites, notamment les quatre anciens Premiers ministres (Saad Hariri, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam), voient mal le prochain gouvernement se former à la faveur de l’initiative Aoun. Contacté par L’OLJ, Fouad Siniora a confié qu’il « ne pense pas » que la proposition du chef de l’État accélérera le processus ministériel, le Hezbollah étant loin de modifier sa position. Quant à l’initiative en elle-même, Fouad Siniora se félicite du fait que « le président applique enfin la Constitution après avoir commis plusieurs infractions par le passé ».Le principal concerné, Moustapha Adib, a, pour sa part, publié hier un communiqué dans lequel il a exhorté les protagonistes à lui faciliter la tâche, à savoir former un « gouvernement composé de spécialistes et qui exécutera une mission que les protagonistes s’étaient engagés à soutenir » (lors de la rencontre élargie avec le président français, Emmanuel Macron, le 1er septembre).
Certaines figures de l’opposition, comme le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, critiquent toutefois aussi la méthode Adib. Dans une déclaration à la MTV, le leader druze a appelé le chef du gouvernement désigné à se concerter avec les parties politiques. « Mais je crois que quelqu’un lui demande de ne parler à personne », a-t-il lancé dans ce qui ressemble à une pique en direction des quatre ex-Premiers ministres. D’ailleurs, M. Joumblatt a fait savoir que son dernier entretien au téléphone avec Saad Hariri « n’était pas positif ». Le leader druze a également indiqué que le président de la Chambre Nabih Berry lui a confié être soumis « à des pressions pour insister sur le portefeuille des Finances ». Réitérant son appui à l’initiative portée par Emmanuel Macron, M. Joumblatt a également rappelé qu’il s’agit de la dernière chance pour sauver le Liban, accusant l’Iran de la mettre en échec.
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a, pour sa part, « catégoriquement » rejeté hier que les « blocs » au pouvoir nomment des ministres dans le futur gouvernement, affirmant être en faveur de la rotation de l’attribution des portefeuilles entre les différents confessions et partis.
Le blocage est néfaste pour le pays et pour les gens du peuple aussi bien que pour l'économie. En particulier pour les aides internationales tant attendues (et même pour l'avenir ou pour la réputation du Liban). Que les différentes parties s'entendent alors pour un essai (de 6 mois, 12 mois) au bout desquels on se remet autour de la table pour décider si cela a pu fonctionner ou si on y change qq chose, mais au moins on aurait débloqué la situation et les aides, indispensables au jour d'aujourd'hui pour la réanimation d'urgence du Liban.
15 h 07, le 22 septembre 2020