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Nos Lecteurs ont la Parole

1920-2020

J’ai été assassiné à l’âge de 100 ans et en partant, j’ai écrasé les miens sans le vouloir.

Je suis d’origine libanaise. Mon père est un grand ingénieur, la fierté de sa famille. Ma mère est l’admirée de tous. Elle est la plus belle de toutes les mamans, la plus tendre et la plus contenante. Je ne suis pas enfant unique et ça m’embête parce que je dois la partager avec d’autres.

J’ai trois enfants. Mon aîné, Assaad, que je veux le plus heureux des hommes. Salim est le cadet, j’espère qu’il restera sain toute sa vie. Et puis il y a Bouchra, la plus jeune, qui vint annoncer la bonne nouvelle : la fin de la guerre en 1990. Je les aime beaucoup, ils sont uniques au monde, les meilleurs à mes yeux.

Je les vois grandir, ils remplissent mon âme de leurs sourires et de leurs petites folies. Je souffre en les voyant pleurer dans leur petit coin ou anxieux des nuits durant. Voyant leur regard espiègle, je leur prédis un avenir lumineux. Je garde avec soin leurs photos de classe, leurs cahiers d’école de la maternelle, leurs dessins, leurs premiers habits et des cassettes où ils chantent en criant avec confiance, hors rythme, des mots erronés.

Depuis toujours, je les protège de tout malheur, je résiste aux tempêtes et je me tiens fermement debout face à tout danger.

Et puis, sans m’en rendre compte, le 4 août à 18h08, une grande explosion m’assassine. Je n’ai pas pu résister à son souffle morbide, je n’ai même pas eu le temps de les avertir. Je m’effondre sur leurs têtes, je les écrase. J’entends les pleurs d’Assaad ; mon plus heureux semble soudain être le plus malheureux. Je vois Salim baigner dans son sang, immobile. Je n’ai pas pu le garder sain. Bouchra, ma belle petite, crie de toutes ses forces une colère qui ne ressemble pas du tout à la paix qu’elle annonça jadis.

J’étais un bel immeuble et on m’a réduit en un amas de pierres et de poussière. On m’a détruit et sans le vouloir, j’ai emporté avec moi la vie de Salim, l’âme d’Assaad et la raison d’être de Bouchra.

Mes enfants, je vous demande pardon. Je vous ai promis la protection mais, vieux que je suis, je n’ai pas pu tenir ma promesse.

Maman, Beyrouth, enfante d’autres. Ne me pleure pas. Tu es la plus belle, la plus tendre et contenante. Tu le resteras à vie. Malheur à ceux qui te font mal, bonheur à ces jeunes qui ont couru panser tes blessures et qui te reconstruiront, soixante-dix-sept fois s’il le faut.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

J’ai été assassiné à l’âge de 100 ans et en partant, j’ai écrasé les miens sans le vouloir.Je suis d’origine libanaise. Mon père est un grand ingénieur, la fierté de sa famille. Ma mère est l’admirée de tous. Elle est la plus belle de toutes les mamans, la plus tendre et la plus contenante. Je ne suis pas enfant unique et ça m’embête parce que je dois la partager avec...

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