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Nos Lecteurs ont la Parole

Le paradoxe du Liban, ou l’impossible laïcité

« Deux négations ne font pas une nation. » C’est ainsi que Georges Naccache a résumé en 1949 la situation du Liban, six ans après l’accession à l’indépendance.

Si les Libanais, toutes appartenances religieuse, confessionnelle, communautaire ou politique confondues, se sont ensemble, main dans la main, battus pour l’indépendance, ce ne fut pas pour les mêmes raisons ni pour les mêmes objectifs. On réclamait, certes, tous et exigeait tous l’indépendance mais les objectifs divergeaient grandement.

Arabiser les chrétiens et libaniser les musulmans, tel fut le fameux pacte national de 1943 édifiant le nouveau pays. Un pays fondé sur un paradoxe.

L’Empire ottoman qui régna sur le Liban pendant près de quatre siècles n’a jamais cessé d’exacerber les tensions entre les différentes communautés religieuses libanaises, toutes minoritaires. Aucune d’entre elles ne pouvait et ne peut jusqu’à nos jours, démographiquement parlant, réclamer une majorité de plus de 50 %. Les incidents de 1840, ceux de 1852 avec Tanios Chahine (ce qu’on a communément appelé la révolte des paysans), pour finir avec ceux de 1860 témoignent de la gestion viciée des ottomans du Liban où le principe du « diviser pour régner » prévalait.

L’identité libanaise en tant que telle n’existe pas et n’a jamais existé. C’est l’identité religieuse qui prime avant tout dans un contexte où 16 ou 17 communautés religieuses cohabitent malgré elles (héritage des subdivisions administratives sous le règne ottoman et par la suite des accords Sykes-Picot de 1916) dans un climat d’absence de confiance. Dans un climat où chaque communauté, minoritaire, se sent menacée par l’autre communauté elle aussi minoritaire. Je suis donc chrétien avant d’être libanais chrétien, je suis sunnite avant d’être libanais sunnite, etc. Et même au sein de la communauté chrétienne, il existe des rivalités. Je suis d’abord maronite avant d’être chrétien et avant d’être libanais…

L’identité à la nation telle qu’on la connaît, par exemple en France ou aux États-Unis, n’existe pas au Liban. La référence à l’identité religieuse minoritaire est primordiale et dicte la vie des citoyens. On se réfugie sous l’étendard de la religion et non sous l’étendard de la nation. Ce qui ouvre largement la voie à toutes sortes de corruption et de clientélisme.

Le leurre de la laïcité

La laïcité au Moyen-Orient demeure une utopie, et gare à ceux et celles qui y croient. L’islam ne connaît pas la laïcité. En islam, la laïcité n’existe pas. Pour l’islam, la laïcité est synonyme d’athéisme. Ce qui est une aberration en soi. De nos jours, les sociétés occidentales peinent à préserver leur laïcité face à une montée de l’intégrisme musulman. Que dire alors du Moyen-Orient ?

Instaurer la laïcité au Liban équivaut à effacer toute présence chrétienne au Liban. Cela serait un désastre pour une présence plus que millénaire. Au lendemain de l’indépendance de la Syrie, les chrétiens représentaient 10 % de la population. Aujourd’hui, ils en sont à 1 %. Même si aux origines le parti Baas de Michel Aflak prônait haut et fort la laïcité, cela à mes yeux demeure une utopie. En fait, ce fut une attitude défaitiste. Nous sommes minoritaires, nous chrétiens, dans cette région du monde, et nous créons donc cet amalgame ou ce fourre-tout de laïcité pour échapper à l’extinction. Cela malheureusement n’a jamais fonctionné (le principe de laïcité), et la création de l’État d’Israël en 1948 est venue mêler les cartes, chambarder les équilibres géopolitiques et semer le chaos.

Le modèle confessionnel

Ailleurs qu’au Liban, où le modèle confessionnel n’a pas fonctionné, certains pays l’ont adopté et il semble bien fonctionner. Prenons l’exemple de l’île Maurice où chrétiens, hindous et musulmans se partagent le pouvoir sans aucune anicroche. L’exemple de l’Éthiopie est aussi révélateur. À la seule différence que dans ces pays, les communautés confessionnelles ne se tournent pas chacune vers une puissance étrangère pour demander protection et garantir leur survie une fois qu’elles se sentent menacées. Dans ces deux pays, on prête avant tout allégeance à son propre pays, à sa propre nation, avant de porter allégeance à sa religion ou à une puissance étrangère.

Au Liban, les évènements du XIXe siècle cités plus haut (1860, alliance chrétiens-France-Égypte vs alliance druzes-Empire ottoman-Angleterre) en plus des troubles de 1958, suivis de la guerre civile de 1975-1990, nous confirment l’échec du système confessionnel car chaque confession s’est jetée dans les bras d’une puissance étrangère au détriment de l’unité du pays.

Le modèle confessionnel peut fonctionner au Liban et à mon avis il est le seul modèle à adopter. Celui-ci pourra garantir la stabilité du pays, ainsi que la présence et la pérennité des chrétiens au Liban – à l’opposé de la laïcité qui conduira à vider le Liban du peu de chrétiens qui lui reste – à condition de ne prêter allégeance qu’au pays, le Liban, et de ne jamais se tourner vers l’étranger. Le principe de neutralité active prêchée tout récemment par l’Église maronite prend tout son sens. Il est temps pour le Liban d’adopter un nouveau pacte national basé sur les principes de neutralité et d’allégeance au pays et seulement au pays, au-delà des différences religieuses, communautaires et sectaires. Renoncer à être dicté par son appartenance religieuse tout en gardant un système confessionnel serait-il viable ? Voici un nouveau paradoxe pour un nouveau Liban. Deux négations ne font pas une nation, mais une affirmation en fait une.

L’exemple canadien

Le Canada, composé de trois nations distinctes et combien rivales, s’est construit en 1867 autour d’une seule affirmation, la volonté d’édifier un seul pays fort et uni pour ne pas se faire avaler par l’expansionnisme américain de l’époque, et cela au-delà des différences linguistiques, culturelles et religieuses, et surtout au-delà de l’absence d’une histoire commune, d’un héritage commun ou d’une mémoire collective commune. Cela ne ressemble pas par hasard au cas libanais ?

Longueuil, Québec, Cananad

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« Deux négations ne font pas une nation. » C’est ainsi que Georges Naccache a résumé en 1949 la situation du Liban, six ans après l’accession à l’indépendance.Si les Libanais, toutes appartenances religieuse, confessionnelle, communautaire ou politique confondues, se sont ensemble, main dans la main, battus pour l’indépendance, ce ne fut pas pour les mêmes...

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