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Politique - Reportage

Après le verdict du TSL, mines renfrognées au centre-ville, franche déception à Tarik Jdidé

L’annonce du verdict sur l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri a fait l’effet d’une douche froide au public du courant du Futur. Dans la banlieue sud en revanche, on estime que c’est « la victoire de la vérité ».

Après le verdict du TSL, mines renfrognées au centre-ville, franche déception à Tarik Jdidé

Au centre-ville, une foule d’officiels et de partisans en prière devant la tombe de Rafic Hariri. Photo João Soussa

À la place des Martyrs, près de la tombe de Rafic Hariri et de ses compagnons, un silence pesant régnait là où devait régner une atmosphère de célébration. Le verdict tant attendu du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) n’a pas eu l’effet escompté : avec trois acquittements, une seule inculpation et l’affirmation qu’aucun lien ne liait le Hezbollah ou la Syrie à l’explosion du 14 février 2005, le public du courant du Futur ne pouvait qu’être déçu, quinze ans après l’assassinat de l’ancien Premier ministre en plein Beyrouth.

Au centre-ville, sur le parvis de la mosquée Mohammad el-Amine, la députée Bahia Hariri, sœur du Premier ministre assassiné, s’était déplacée pour écouter le verdict et le discours de son neveu, l’ancien Premier ministre Saad Hariri, en direct de La Haye. À la tête d’une vaste délégation de députés et d’anciens ministres du Futur, elle était en larmes à l’annonce du verdict. Et c’est la mine grave qu’ils ont tous écouté le discours de Saad Hariri puis ses réponses aux journalistes, avant de prendre le chemin de la tombe une nouvelle fois et d’y prier, puis de se retirer de la place sans un mot. La foule aussi s’est dispersée rapidement.

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Certes, ceux qui avaient fait le déplacement, de toute évidence des partisans, déclarent n’être pas vraiment surpris par ce verdict. L’ancien ministre de l’Environnement Mohammad Rahal souligne que le verdict « a acté qu’il s’agissait d’un assassinat politique ». « Depuis le début, le TSL a été clair en expliquant qu’il ne portait pas des accusations politiques, mais il est évident que le membre d’un parti (le seul suspect à avoir été inculpé) ne prend pas de décision de ce type tout seul », ajoute-t-il, dénonçant les projets de l’axe syro-iranien. « Ce crime est politique, il a été perpétré pour des raisons politiques et ses conséquences sont politiques », insiste-t-il.

« Il y a une certaine déception chez les gens. Nous nous attendions à des sanctions plus importantes », explique Wissam, un militant du Futur originaire de la Békaa-Ouest, saluant le fait que « c’est la première fois que les responsables d’un assassinat politique sont jugés ». « Cela montre que le TSL est apolitique et indépendant, et se base sur des preuves, malgré les critiques contre le TSL du Hezbollah, du 8 Mars et de tous ceux qui gravitent autour de l’axe syro-iranien », ajoute-t-il. « Le fait que des individus du Hezbollah aient été reconnus coupables fait porter au parti chiite une responsabilité morale, sécuritaire et politique », poursuit-il.

« Nous savions que le TSL n’avait pas pour objet de lancer des accusations politiques contre des pays ou des organisations, mais de juger des personnes », explique pour sa part Inès, une autre partisane du Futur. « Le tribunal a certes expliqué qu’il n’avait pas assez de preuves contre certains, mais Salim Ayache a été reconnu coupable pour cinq chefs d’accusation. Si Moustapha Badreddine avait pu être jugé, on aurait peut-être trouvé des preuves contre lui. Ces deux hommes ne viennent pas de nulle part. Ce sont des membres du Hezbollah », a-t-elle déclaré, saluant néanmoins une « décision importante pour la vérité et la justice ».

« C’est peut-être mon père défunt qui a tué Hariri… »

Dans le quartier beyrouthin de Tarik Jdidé, fief du courant du Futur, les langues se délient plus facilement et la déception est plus nette. Un commerçant d’un certain âge, assis devant sa boutique vide de clients, s’insurge contre les millions de dollars dépensés pour rien et qui ont contribué « à la faillite du pays ». « Qui est ce Ayache qu’on dit seul responsable de ce crime phénoménal ? Ils ont peur de nommer les vrais responsables? Jusqu’à quand auront-ils peur ? » s’indigne-t-il.

Un peu plus loin, trois autres commerçants prennent part à une discussion animée devant leurs boutiques, autour de la nouvelle du jour. « Ce verdict est une trahison pour l’esprit de Rafic Hariri, probablement nous maudit-il de là où il est », disent-ils, évoquant « un compromis certain au détriment de la vérité ». Pour eux, « les hommes politiques continuent de mentir aux gens et en savent bien plus qu’ils ne veulent l’admettre ». S’ils ne sont pas toujours d’accord avec la prestation de Saad Hariri, regrettant l’époque de son père qu’ils idéalisent, ils se disent néanmoins toujours partisans du Futur, « par fidélité pour Rafic Hariri ».

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« Un ratage total », lance pour sa part un jeune, en grande conversation avec ses amis. « Si on avait confié cette enquête à la gendarmerie de Tarik Jdidé, elle aurait obtenu de meilleurs résultats », lâche-t-il, non sans ironie.

Une habitante du quartier hoche la tête quand on l’interroge sur sa réaction à l’annonce du verdict. « Ce tribunal a finalement été politisé et il s’est retourné contre la cause de l’assassinat de Rafic Hariri », dit-elle. « Bien sûr qu’on est déçus, tout le monde l’est, poursuit-elle. Quinze ans d’attente pour ça ! Et puis qui a finalement tué Rafic Hariri ? C’est peut-être mon défunt père qui serait coupable… »

À Saïda et dans la Békaa

Saïda, ville natale de Rafic Hariri, retenait son souffle en attendant le verdict qui est tombé comme un couperet sur les partisans du courant du Futur, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah. Ces derniers n’ont pas caché leur déception face à un jugement dont ils ne comprennent pas les motivations. « Nous avions réclamé la mise en place d’un tribunal international parce que nous n’avions pas confiance dans la justice libanaise. Quinze ans plus tard, il semble que le TSL est lui-même ligoté par des considérations et des compromis internationaux », confie Abdel Latif Teryaki, qui met en doute « le professionnalisme du TSL, parce qu’il s’est contenté de condamner une seule personne ». « L’important est que la paix civile soit maintenue », lâche-t-il ensuite.

La situation était calme tout au long de la journée à Saïda, où l’armée a fait circuler des patrouilles mobiles. Idem dans la Békaa où les réactions au verdict du TSL étaient mitigées, selon notre correspondante Sarah Abdallah. « Je considère que 15 ans, c’est long pour le verdict, et je ne suis même pas sûre que celui-ci soit juste. J’ai l’impression qu’on a beaucoup parlé d’absence de preuves suffisantes », déclare Maya, 30 ans, une militante du Futur qui écarte l’éventualité d’une sédition ou d’une guerre interne.

Nathalie, 31 ans, une chiite de la Békaa-Ouest, constate qu’« aucun assassinat au Liban n’a été élucidé, ce qui est triste parce que les crimes continuent ». Rouba, 32 ans, de Baalbeck, relève que « la vérité est connue depuis l’assassinat » et estime elle aussi que le verdict du TSL « s’articule autour d’un compromis avec toutes les parties, afin de clôturer un dossier qui a coûté beaucoup d’argent et pris beaucoup de temps ».

Une Bahia Hariri en larmes à l’annonce du verdict. Photo João Soussa

« Victoire de la vérité »

Dans la banlieue sud, fief du Hezbollah, changement d’ambiance. À Bir el-Abed, la rue est calme. Les clients se font rares. Peu après 17 heures, pendant quelques secondes, des tirs de joie, accompagnés de feux d’artifice, sont entendus. « On célèbre le verdict du TSL », lance Jaafar, propriétaire d’un magasin de quincaillerie, à l’adresse d’un visiteur. Regard pétillant, sourire aux lèvres, il saisit un flacon d’alcool et s’en asperge le visage et la tête. « Non, je n’ai pas peur du coronavirus, dit-il en riant. Je viens de me raser. »

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Il fait le tour du comptoir et s’installe sur une chaise. « Vous pensez sérieusement qu’Assad Sabra est coupable de ce crime ? se demande-t-il. Il n’avait que 18 ans lorsque Rafic Hariri a été assassiné. Vous pensez qu’un jeune homme de son âge peut planifier un crime d’une telle ampleur ? Le Hezbollah n’a rien à voir dans cette affaire. »

Il saisit de nouveau le flacon d’alcool, s’arrose encore une fois le visage et la tête, avant de poursuivre : « Au Liban-Sud, les hommes du Hezbollah passaient des jours à surveiller les maisons et les mouvements des agents (israéliens). Ils avortaient l’opération si ces derniers étaient accompagnés de leur famille pour épargner les enfants. Vous voulez qu’ils le fassent à Beyrouth et en plein jour, alors que tout le monde est dans les rues ? L’acquittement du Hezbollah est juste. »

Une femme rentre et pose sur le comptoir un plateau contenant une cafetière et quatre tasses à café. Il sert son invité et se verse une bonne rasade du liquide brûlant. Le sourire ne quitte pas ses lèvres. « Nous sommes convaincus que le Hezbollah n’a rien avoir avec ce crime, mais si vous voulez parler de l’électricité ou de l’explosion du port, je peux vous dire qu’il est coupable au même titre que le chef de l’État, l’actuel et précédent gouvernement, le commandant en chef de l’armée, les responsables du port… martèle Jaafar. Bref, tous les responsables. Ils doivent tous être jugés et leurs potences dressées, parce que c’est un crime contre les Libanais. Mais l’enquête ne mènera à rien. »

Ali, un jeune employé au magasin, affirme qu’« il était clair dès le départ que le Hezbollah n’a rien à voir avec ce crime, mais les gens ne voulaient pas voir la vérité ». « Le crime ne profite pas au Hezbollah, d’autant que le sayyed (secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah) entretenait de bonnes relations avec Rafic Hariri. Ce crime est commandité par l’Arabie saoudite. Nous avons dépensé des millions de dollars pour une vérité que nous connaissions », martèle-t-il.

Quelques magasins plus loin, Fadl, propriétaire d’une boutique de vêtements pour femmes, tient le même discours. « Nous n’avons jamais pris au sérieux le TSL, lance-t-il. Il a été politisé dès le départ. Ils ne veulent pas rechercher la vérité. Ils savent qui a tué Hariri. Ce crime a profité aux États-Unis, à Israël et à certains pays du Golfe pour inverser l’équilibre des forces, parce que l’entente entre le sayyed et Hariri ne leur convenait pas. » Et de reprendre : « Si ce verdict montre quelque chose, c’est que les Libanais rejettent la discorde. »

C’est ce qu’affirme de son côté Abed, qui estime que ce verdict est « une victoire de la vérité ». Nadia, une cliente, affirme, pour sa part, que « tout est politisé ». « Il y a quelques jours encore, on était sûrs que le Hezbollah allait être inculpé, mais ils ont changé d’avis à la dernière minute pour épargner le pays. Le verdict est bon », assure-t-elle, avant de se retourner pour examiner une chemise.

À la place des Martyrs, près de la tombe de Rafic Hariri et de ses compagnons, un silence pesant régnait là où devait régner une atmosphère de célébration. Le verdict tant attendu du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) n’a pas eu l’effet escompté : avec trois acquittements, une seule inculpation et l’affirmation qu’aucun lien ne liait le Hezbollah ou la Syrie à...

commentaires (6)

Un pietre resultat. Le financement de TSL qui l'a payé? le pruple libanais de ses impots. On a alimenté ces monsieurs pour un pareil resultat. A la vue du nombre de victimes actuel ce tribunal mettrai un siecle pour donner son jugement.

GENE JAIME

01 h 42, le 20 août 2020

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Commentaires (6)

  • Un pietre resultat. Le financement de TSL qui l'a payé? le pruple libanais de ses impots. On a alimenté ces monsieurs pour un pareil resultat. A la vue du nombre de victimes actuel ce tribunal mettrai un siecle pour donner son jugement.

    GENE JAIME

    01 h 42, le 20 août 2020

  • Il n'y a pas d'acquittement du Hezbollah pour la bonne raison qu'il n'a pas été jugé. Il n'y a même pas eu d'enquête a son sujet. Ni Hassan Nasrallah, ni aucun des cadres du Hezbollah n'a été interrogé. Seuls 5 membres du parti du diable ont été inculpés. Quant à l'implication de la Syrie, l'enquête s'est arrêtée du fait de la mort dans diverses circonstances de tous les acteurs du complot.

    Yves Prevost

    11 h 47, le 19 août 2020

  • LA DECEPTION EST TRES GRANDE. MAIS DANS LA SITUATION ACTUELLE OU SE TROUVE LE PAYS DANS TOUS LES DOMAINES PEUT-ETRE UN TEL VERDICT EST MIEUX ET CALMERA LES ESPRITS ET SERVIRA DE MOTEUR POUR UN DIALOGUE NATIONAL OU TOUTES LES PARTIES INCLUS HEZBOLLAH, AMAL ET CPL SE COMPORTERONT NATIONALEMENT POUR UNE FOIS AVEC LE SLOGAN LIBAN AVANT TOUT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 53, le 19 août 2020

  • Finalement, quelle différence si les trois autres bougres avaient été inculpés? Le commanditaire de l'attentat serait resté tout aussi "inconnu", et le gaspillage d'un demi milliard de dollars tout aussi inutile...

    Georges MELKI

    09 h 15, le 19 août 2020

  • Dollars dollars dollars...depuis le début et,nous,on s en fout et on n a pas demandé cette investigation de 15ans, "share deal" entre LAHAye(?) et les corrompus ici au Liban.!

    Marie Claude

    07 h 45, le 19 août 2020

  • Jacques Chirac s'est retourne dans sa tombe

    Eleni Caridopoulou

    00 h 41, le 19 août 2020

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