Le verdict surprise prononcé hier par la chambre de première instance du Tribunal spécial pour le Liban a suscité des réactions mitigées parmi les juristes, dont certains se sont dits déçus par un jugement qui n’était pas à la hauteur des attentes dans une affaire à caractère éminemment politique.
Si la déception de certains est notamment justifiée par le fait qu’aucune preuve n’a pu être apportée sur l’implication directe du Hezbollah ou de la Syrie, soupçonnés par une large frange de Libanais d’avoir orchestré l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, d’autres juristes soulignent au contraire que les motifs politiques et le mobile du crime ont clairement été mis en avant par les juges, même si cela n’a pas entraîné des conséquences judiciaires ou une condamnation à proprement parler. Un avis qui rejoint celui exprimé hier par l’ancien chef du gouvernement Saad Hariri, qui a salué les « motifs politiques » mis en avant par la cour et la « grande crédibilité » du TSL après le jugement rendu.
À ce propos, l’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar affirme qu’il ne s’attendait pas à ce verdict, la plus grande déception, selon lui, étant « la reconnaissance de l’absence de preuves de la culpabilité du Hezbollah et de la Syrie ».
« Le TSL a distingué entre le principe de l’intérêt du Hezbollah et de la Syrie et leur responsabilité pénale que l’accusation n’a pas réussi à prouver de manière directe, sachant toutefois que d’après le règlement du TSL, ce dernier ne peut juger un État ou un parti mais des individus uniquement », indique l’ancien ministre.
Selon lui, la question centrale est que même si le tribunal a retenu la culpabilité d’un seul accusé, « nous ne savons toujours pas qui a commandité le crime et quels en sont concrètement les raisons politiques et les mobiles ». L’ancien ministre en veut notamment à l’accusation de n’avoir pas assez fait pour apporter des preuves plus solides, se contentant de preuves circonstancielles qui, dit-il en substance, ne pèsent pas lourd dans ce genre de procès. Il tient toutefois à relever le fait que la cour « a reproché aux autorités libanaises leur incurie et leur incompétence pour gérer la scène du crime », en allusion au comportement des services libanais sur le site des explosions du port de Beyrouth, le 4 août dernier.
« Erreur grave »
Chibli Mallat, juriste international connu pour ses actions judiciaires notamment contre Ariel Sharon pour le massacre dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, contre Saddam Hussein pour les crimes commis contre les Irakiens, ne mâche pas ses mots à l’encontre du TSL.
L’avocat reproche à cette instance d’avoir commis « une erreur grave de droit pénal libanais et international consistant à séparer le mobile du crime du reste de ses éléments constitutifs ».
« Le jugement ayant établi l’existence d’un mobile criminel chez le président syrien et le secrétaire général du Hezbollah, il est essentiel de savoir pourquoi ces dirigeants n’ont pas subi d’interrogatoire en quinze ans d’enquêtes, qui justifierait la conclusion du Tribunal qu’aucune responsabilité pénale ne leur est imputée », s’interroge l’avocat dans un communiqué envoyé aux médias.
S’adressant aux victimes principalement, il les invite « à préparer leur recours en appel pour manquement manifeste des juges à leur devoir professionnel de rendre justice ».
Match de foot
C’est un son de cloche radicalement différent que nous livre un pénaliste qui a requis l’anonymat, disant toutefois comprendre qu’une partie de la population soit choquée. « Le problème est que les Libanais ont suivi le prononcé du verdict comme s’il s’agissait d’un match de football en concluant qu’une équipe a marqué trois buts contre un pour l’équipe adverse, et qu’il y a eu un gagnant et un perdant alors qu’il n’en est rien », dit le juriste.
Selon lui, la vraie difficulté à laquelle le TSL était confronté est le fait que l’accusation était en possession de la liste des communications effectuées entre les membres d’un même réseau et la configuration géographique des appels « sans en avoir cependant la teneur ».
La seconde difficulté, dit-il, est que l’investigation n’a pas réussi non plus à démontrer « au-delà de tout doute raisonnable qu’un tel membre du réseau présumé a appelé, à partir de ce mobile précis et à tel instant, un autre membre également identifiable ».
Et de rappeler au passage que parmi les critères d’un procès équitable retenus dans les pays démocratiques, celui qui prévoit « qu’on ne peut condamner un accusé jugé par contumace qu’au-delà de tout doute raisonnable ». Un autre critère important, ajoute le pénaliste, est que « le silence d’un accusé ne peut jamais être retenu comme une preuve contre lui ».
Si, dit-il, ces deux critères sont pris en compte, « le jugement émis ne doit pas surprendre. Au contraire cela fait honneur à ce tribunal qui a appliqué les plus hauts standards internationaux ».
S’adressant enfin à tous ceux qui se sont sentis déçus par l’acquittement de trois accusés – Hassan Habib Merhi, Hussein Oneïssi et Assaad Sabra –, il rappelle, à l’instar de Saad Hariri, qu’ils doivent « se satisfaire » du fait que les motifs du crime ont été clairement définis par la chambre de première instance. « Le juge David Re a clairement souligné que Rafic Hariri a été tué pour des raisons politiques » imputées au Hezbollah et à la Syrie, dit-il.
Et la montagne du Tribunal Hariri a accouché d’une souris, et la justice internationale ne s’en sort pas grandi de cette affaire. Que fait la cour par son verdict ? Renvoyer les Libanais dos à dos. C’est aussi l’histoire d’un immense gâchis. Tous ces dollars investis auraient pu servir à moderniser notre justice et restaurer son autorité. Nous avons des juges intègres, quoique disent leurs détracteurs, de brillants avocats, mais La formation iranienne par son action ne facilitait la vie, et c’est elle-même responsable du recours au tribunal de La Haye. C’était la seule issue après l’attentat Hariri, et la vague d’assassinats, et les guerres de 2006 et de Nahr Bared, et la sortie de ses hommes en cagoules en 2008, et le Tribunal n’a eu aucun effet pour l’intimider, ou le ramener à la raison, bien au contraire, le Hizb (quelle drôle d’appellation) se renforçait. Je connais un mensuel parisien très indiplomatique qui va faire son choux gras de cette affaire, quand il tirait par le passé à boulet rouge sur le tribunal, quand la fin, (la lutte contre l’entité sioniste) justifiait tous les écarts et les moyens. C’est bien connu, c’est très facile de se livrer à postériori à une querelle de juriste.
11 h 07, le 19 août 2020