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Par ici, belle Dame

Comme dans ces récits où l’intrigue est connue d’avance, partisans et détracteurs du Tribunal spécial pour le Liban s’attendaient, pêle-mêle, à un verdict sans surprise. En condamnant hier un des prévenus dans l’affaire de l’assassinat, il y a quinze ans, de Rafic Hariri, mais en acquittant les trois autres, la juridiction onusienne – reconnaissons-lui cet ambigu mérite – aura toutefois réussi à dissiper, ici et là, un peu à la Salomon, toute impression de déjà-(pré)vu.


Quoi, un homme, un seul, ayant des liens avec le Hezbollah, tenu pour responsable d’un effroyable attentat-suicide nécessitant un colossal travail d’organisation, de surveillance et d’exécution, d’une explosion qui s’est soldée par la mort d’un ancien Premier ministre et de 21 autres personnes, ainsi que par des dizaines de blessés ? Sujette à controverse promet d’être également l’absence, invoquée par le tribunal, de toute preuve incriminant directement le Hezbollah ou le régime syrien, même si ces deux parties pouvaient très bien être animées d’un puissant mobile. Il reste que condamnés ou acquittés, les prévenus n’étaient pas de vertueux bénévoles œuvrant au sein d’institutions caritatives aussi admirables que l’association Amel ou la Société de Saint-Vincent de Paul. Et si le cerveau présumé de l’attentat est mort dans des circonstances obscures en Syrie, nettement plus consistante – et révélatrice – est la série de fusibles qui, ces dernières années, ont opportunément sauté à Damas : tous des généraux qui, durant et après l’occupation, avaient la haute main sur les affaires du Liban.


C’est dire que, preuves ou pas, l’un et l’autre de ces suspects habituels sont loin d’être lavés des soupçons et franches accusations portées contre eux par une large part de l’opinion locale et internationale. C’est notamment le cas de Saad Hariri, fils et héritier politique du leader sunnite assassiné, qui, tout en se félicitant de la sentence, a explicitement mis en cause un réseau issu du Hezbollah ; mais son appel à ce parti, afin qu’il se soumette au sacrifice que commande l’impératif de châtiment, peut-il vraiment être davantage qu’un vœu pieux ?


Il n’en reste pas moins que si Bachar el-Assad semble bénéficier, ces temps-ci, d’un sursis que lui vaut le jeu compliqué des puissances, le climat est nettement moins serein pour la milice. Pour surprenant que soit ce premier jugement, il survient à un moment où, outre les foudres américaines et un clair raidissement dans les rangs des nations européennes, elle est la cible de critiques croissantes sur la scène interne. Car ses accusateurs ne se bornent plus à lui reprocher de couvrir, au moyen de son formidable arsenal, les rapines commises à grande échelle par une classe dirigeante corrompue et servile, lesquelles ont conduit à l’isolement diplomatique puis à la faillite économique et financière du pays.


La terrible hécatombe du 4 août a irrésistiblement braqué le feu des projecteurs sur l’incroyable situation qui n’a cessé de régner, ces dernières années, au port de Beyrouth, l’un des deux poumons du pays. Jamais le citoyen n’arrivera à croire que l’ahurissante odyssée de ce gigantesque stock d’ammonitrate sommeillant sur les quais est seulement le résultat de l’inconscience, de l’incompétence, de la stupidité des autorités douanières et portuaires. L’ampleur de la catastrophe a commencé par ramener aux esprits toutes les protections musclées et armées qui ont permis à une clientèle de passe-droits d’inonder le marché de produits d’importation échappant à toute taxe douanière, au prétexte d’effort de résistance à l’ennemi israélien. Et qu’elles soient fondées ou non, les rumeurs faisant état d’armes et de munitions discrètement entreposées sur ces lieux, à portée directe de zones densément peuplées et constituant une cible de choix pour le même ennemi, ont fini de souligner l’extrême gravité du scandale.


Pour dévoiler et châtier aussi bien les pillards du Trésor que les criminels du port, et de manière au moins aussi pressante que pour le meurtre prémédité de Rafic Hariri, s’impose à nouveau un recours à la loi internationale. Il a fallu des années à Dame Justice, empêtrée dans son attirail allégorique – bandeau, glaive et balance –, pour déterrer un pan de vérité de sous l’énorme cratère de la baie du Saint-Georges. Il n’empêche qu’on voudrait bien la voir, maintenant, pousser une pointe le long du bord de mer : vers les abysses, à ce jour insondables, de l’infortuné port de Beyrouth.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Comme dans ces récits où l’intrigue est connue d’avance, partisans et détracteurs du Tribunal spécial pour le Liban s’attendaient, pêle-mêle, à un verdict sans surprise. En condamnant hier un des prévenus dans l’affaire de l’assassinat, il y a quinze ans, de Rafic Hariri, mais en acquittant les trois autres, la juridiction onusienne – reconnaissons-lui cet ambigu mérite –...