
L’évacuation d’un protestataire blessé au cours des échauffourées. Photo João Sousa
Samedi, milieu d’après-midi, quelques heures après le début des manifestations, peut-être moins. Une nouvelle alarme la rue. Les forces de l’ordre seraient en train de tirer à balles réelles contre les contestataires, rassemblés dans le centre-ville de Beyrouth pour crier leur colère suite à l’explosion qui a ravagé une partie de la capitale quatre jours plus tôt.
Parmi les moyens mobilisés par les forces de l’ordre, certaines armes ont été utilisées au vu et au su de tous. La pluie de gaz lacrymogène a été retransmise en direct sur les chaînes de télévision. Personne n’ignore que des balles en caoutchouc ont blessé et que des balles réelles ont, au minimum, été tirées en l’air afin de faire reculer la population. Les grenades assourdissantes ? « Elles ne font plus sursauter personnes tant nous en avons l’habitude », assure un contestataire.
Mais la rumeur de nouvelles munitions, notamment des balles en grenailles de plomb, signifie qu’une étape supplémentaire a été franchie. Selon plusieurs témoignages, il s’agirait de petites particules qui, une fois tirées en l’air, s’éparpillent pour quadriller un large périmètre. Des cartouches de chasse utilisées pour abattre « des sangliers, des oiseaux… ou des manifestants », estime un manifestant. « J’ai vu des victimes qui ont reçu des grenailles de plomb au visage, au cœur, dans les mains… Nous sommes en train de constituer des dossiers, six actuellement sont en cours, avec l’aide d’avocats bénévoles et de médecins légistes, afin de porter plainte », témoigne Melhem Khalaf, bâtonnier de l’ordre des avocats.
Dimanche soir, les Forces de sécurité intérieure se défendaient d’avoir utilisé des balles en caoutchouc, tandis que l’armée démentait avoir fait usage de balles réelles à l’encontre des manifestants. Mais selon un bilan provisoire établi par le Comité des avocats pour la défense des manifestants publié samedi soir, 50 personnes, parmi lesquelles des journalistes et des avocats, ont été transportés à l’hôpital suite à des blessures, notamment par balles. Dimanche en fin de journée, le dernier bilan faisait état de plus de 90 blessés, dont 10 gravement.
Un faisceau d’indices composé de témoignages, de vidéos et de photos illustrent et précisent la réalité de ces chiffres. Une radiographie thoracique rend compte des dizaines de micro-impacts que peut créer un seul tir de ces cartouches à grenailles de plomb multiples. Un manifestant certifie avoir vu un homme de plus de 60 ans se faire tirer à la tête avant d’être évacué en urgence par les secouristes. Un soldat lance des pierres, à ses côtés, un homme en noir s’avance en courant, arme à feu en main, tirant à bout portant.
Un manifestant blessé évacué samedi dans le centre-ville de Beyrouth, lors de la manifestation massive contre la classe politique libanaise. Patrick Baz/AFP
« Du jamais-vu »
La réponse proportionnée et graduelle, l’interdiction des armes à feu, ou encore l’encadrement de l’usage des bombes lacrymogènes et des balles en caoutchouc font pourtant partie des principes de base qui régulent la lutte antiémeute. « Ils n’ont pas le droit d’utiliser les bombes lacrymogènes avant d’utiliser les canons à eau. Le cran d’après, celui des bombes lacrymogènes, est régulé selon des normes précises. En troisième lieu, uniquement en cas de danger de mort, on peut utiliser à plus de 40 mètres des balles en caoutchouc, et sur les membres inférieurs seulement », explique Melhem Khalaf. Mais les méthodes utilisées samedi, notamment l’usage de balles à grenailles de plomb, les bombes lacrymogènes en première intention, ou les balles en caoutchouc tirées de près et en direction des membres supérieurs, bafouent les normes internationales les plus élémentaires. « C’est du jamais-vu, complètement inacceptable et ahurissant », s’indigne Melhem Khalaf.Certaines munitions sont nouvelles. La méthode, elle, ne l’est pas. Depuis le mouvement du 17 octobre, les forces de maintien de l’ordre sont devenues coutumières d’un usage disproportionné de la force. Elles n’ont d’ailleurs jamais cherché à dissimuler leurs objectifs : disperser les foules, sauvegarder le pouvoir en place et, surtout, faire taire la révolte. Comme sur cette vidéo, où une femme s’insurge contre le pouvoir en place devant une caméra de la chaîne al-Hurra. Elle n’a pas le temps de finir sa phrase qu’elle venait de recevoir une grenaille de plomb aux lèvres. L’image dit mieux que les mots la volonté d’imposer le silence.
Pourtant, malgré une brutalité presque familière, les images de samedi étourdissent. Peut-être plus qu’à l’ordinaire. Elles glacent le sang, tout particulièrement parce que celui des plus de 150 morts du 4 août n’a pas encore séché. En quelques clics, elles deviennent le symbole d’un pouvoir qui insiste à nier toute responsabilité mais qui, sur le terrain, se retourne contre son propre peuple.
Samedi, milieu d’après-midi, quelques heures après le début des manifestations, peut-être moins. Une nouvelle alarme la rue. Les forces de l’ordre seraient en train de tirer à balles réelles contre les contestataires, rassemblés dans le centre-ville de Beyrouth pour crier leur colère suite à l’explosion qui a ravagé une partie de la capitale quatre jours plus tôt. Parmi les...
commentaires (12)
Une bande de criminels devraient être jugées devant la cour pénale internationale pour crimes de guerres
charles s gennaoui
15 h 00, le 10 août 2020