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Société

Balayer, nettoyer et surtout rester debout

De la rue du Liban à la rue d’Arménie, dès les petites heures du matin, les Beyrouthins ont commencé à lever les décombres de leurs quartiers dévastés.


Balayer, nettoyer et surtout rester debout

Une femme, blessée au bras dans l’explosion de mardi soir, reste hagarde, mercredi matin, sur un trottoir de Beyrouth. Photo João Sousa

Toujours en état de choc au lendemain de la double explosion qui a secoué la capitale, les habitants des quartiers dévastés de Beyrouth ont vite fait de retrousser leurs manches, pour nettoyer les débris de verre, de pierre et de métal qui jonchent le sol et remplacer les vitres brisées. Tous n’ont pas fermé l’œil de la nuit, effrayés à l’avance par le spectacle qui pourrait se présenter à eux le lendemain. Armés donc de tout leur courage, ils commencent le nettoyage dès le petit matin. Le silence de l’aube, quand les sirènes des ambulances se sont tues, est remplacé par le tintamarre du verre brisé et balayé qu’on empile. Sur presque toutes les lèvres s’entendent des hamdellah aal salémé, yaatikon el-afié et katter kheir allah... Des phrases de résilience et de bienveillance que les Libanais sont habitués à prononcer après chaque sinistre, pour faire contre mauvaise fortune bon cœur et conjurer ainsi, par une parole de gratitude, le sort. Et hier, malgré l’ampleur sans précédent de la catastrophe, les Libanais n’ont pas failli à leur habitude. De la rue du Liban à la rue d’Arménie, en passant par la rue Pasteur, dans les secteurs les plus sinistrés de la ville, ce sont ces phrases qu’on entendait et c’est cette volonté de rester debout, la tête haute, comme un défi, que l’on pouvait sentir.

Hier matin, à Beyrouth, on tentait de dégager les débris. Photo João Sousa

Appel aux diplomates

Dans un salon de coiffure de la rue du Liban, les employés, dont deux blessés à la tête et aux bras dans la double explosion au port de Beyrouth, s’affairent à nettoyer bris de glace et décombres. « Ça va aller, il faut beaucoup plus que ça pour nous briser », lance l’un des employés blessés.

Bien en contrebas, rue Pasteur, trois hommes, âgés d’une trentaine d’années, tous blessés par les bris de verre et deux ayant toujours les bras bandés, inspectent les décombres d’un bar qui leur appartient. « C’était la happy hour. Heureusement que nous n’avons pas eu des morts », souligne Simon, assis sur une chaise en plastique, le bras bandé et plusieurs balafres au visage. Lui et ses amis n’ont pas fermé l’œil de la nuit. Simon contemple comme dans un état second la façade complètement détruite de son bar. Il affirme d’un ton résolu : « Il nous faudra au moins quatre mois pour reconstruire. » En face des trois hommes, Jamale, la cinquantaine, inspecte sa petite voiture entièrement soufflée par l’explosion. « Ma maison aussi est détruite et j’ai passé la nuit avec mes trois enfants et mon époux chez ma sœur à Jdeidé. Je ferai tout mon possible pour que mes enfants puissent quitter le pays durant trois ans au moins, le temps qu’on se remette debout et qu’on reconstruise », dit-elle. Elle marque une pause et martèle : « Je veux lancer un appel à tous les diplomates présents au Liban : n’accordez pas d’aide aux dirigeants libanais. Ce sont des corrompus. Passez par les institutions internationales. »

Un peu plus loin, des Bobcat raclent les débris qui jonchent le sol, alors que sous le soleil et avec la température du mois d’août, une puanteur commence à se dégager des décombres. Il faudra de bien longues années pour reconstruire les endroits témoins des bonheurs des Beyrouthins, de leurs malheurs et de leurs souvenirs.

Une voiture totalement détruite par le souffle de l’explosion, à Beyrouth. Photo João Sousa

La Quarantaine dévastée

Limitrophe du secteur du port, la Quarantaine a été totalement dévastée par l’explosion. Dans ce quartier pauvre et hétéroclite, industriel et résidentiel à la fois, certaines ruelles sont encore bloquées par d’énormes monceaux de débris. Des logements abritant des familles de condition très modeste, travailleurs industriels ou journaliers du port, ont été totalement détruits par le souffle de l’explosion.

« Que voulez-vous que je vous dise ? Ma maison de location est devenue inhabitable, je vais déménager à Bourj Hammoud, un peu plus loin. Ici, les secouristes sont toujours en train de retirer des cadavres des décombres », lance un habitant, portant ses maigres bagages. Un peu plus loin, plusieurs voisins sont en pleine discussion. « Ce qui s’est passé hier, vous le comprendrez en visitant ma maison », lance une femme d’une soixantaine d’années dont le fils a été blessé la veille et a dû être hospitalisé au Chouf, faute de place à Beyrouth. Dans la petite bâtisse dont parle la femme, vivent plusieurs familles. « Nous ne savons pas par où commencer, tout est à terre », crie-t-elle. De fait, il n’y a plus ni rideaux, ni cadres de fenêtre, ni couvertures, les meubles sont sens dessus dessous, les murs sont lézardés… Chez son voisin, un petit balcon risque même de s’écrouler. « Nous souffrions déjà de la crise économique, nous avons à peine de quoi manger, où trouver l’argent pour réparer nos maisons ? se lamente-t-elle. Personne ne se soucie de nous. »

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Dans la rue, seuls des volontaires de la campagne « Dafa » sont là pour proposer de l’eau et des médicaments. Un peu plus loin, une hajjé est assise devant sa modeste maison de deux étages, en compagnie d’une voisine. « Le souffle de l’explosion était tel que je ne me souviens pas comment j’ai dévalé d’un coup deux étages ! » s’exclame-t-elle. Sa maison ainsi que celle de son fils sont pratiquement inhabitables.

Mais les résidents ne sont pas les seuls à souffrir. Les commerces ont été pratiquement rasés dans cette zone. Une grande galerie de mobilier de plusieurs étages est sens dessus dessous. Des étages de bureaux sont entièrement soufflés et c’est miracle que les employés en aient réchappé. « Nous avons senti l’onde de choc et les cloisons vibrer et nous tomber dessus avant d’entendre l’incroyable explosion, raconte Georges, un employé. Je suis assez âgé pour avoir vécu la guerre, et je peux vous assurer n’avoir jamais rien entendu de pareil. »

Les dégâts dans cette galerie sont estimés, au plus bas, à 400 000 dollars. « On nous dit toujours que l’important, c’est que les vies humaines soient sauves, ajoute-t-il. Mais il est lassant de devoir toujours recommencer à zéro. J’aurais voulu passer mes vieux jours dans ce pays et y garder mes enfants, mais pour la première fois, hier, mon fils a demandé à quitter le pays. »

Un arbre abattu par le souffle de la double explosion de mardi soir, à Beyrouth. Photo João Sousa

Les nouveaux sans-abris de Mar Mikhaël

Dans le quartier de Mar Mikhaël, dont les rues sont d’habitude si animées, presque tous les appartements et commerces sont détruits. Par terre, toutes sortes d’objets traînent : un cahier d’écolier, des factures, des bouts de meubles, des chaussures ou encore des vêtements. Plus une fenêtre ne tient en place et les appartements sont désespérément vides. Dans ce quartier à pubs, les bars étaient fermés mardi, en raison du confinement. « Heureusement, se félicite un garçon de table. Nos ventilateurs ont été pulvérisés. Ils auraient pu tuer quelqu’un. »

Liliane, la soixantaine, est toute couverte de poussière. Elle transporte coussins et couettes récupérés dans son appartement et les dépose dans sa voiture. « Ma maison est détruite, je n’ai plus de meubles, plus d’eau courante, plus d’ascenseur. Je n’ai d’autre choix que d’aller chez ma mère », confie-t-elle.

Devant le siège d’Électricité du Liban, entièrement dévasté, un homme balaie les débris sur le trottoir. Son bras est bandé. « Je suis encore sous le choc. Il m’est difficile de parler. J’étais sur mon balcon au moment de l’explosion. J’ai failli mourir. Une de mes voisines est opérée en ce moment même », lâche-t-il, les larmes aux yeux. Dans l’air flotte une odeur lourde, difficilement identifiable.

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À quelques mètres de là, Joseph Toubaji lui aussi est en larmes. « Nous sommes sans abri maintenant. De la maison qu’avait construite mon grand-père au XIXe siècle, il ne reste rien, dit-il. Mais ce n’est pas le pire. Hier soir, ma cousine blessée a été soignée à même le sol de l’hôpital. C’est affreux. » Joseph Toubaji n’est pas le seul sans abri. Selon le mohafez de Beyrouth, Marwan Abboud, c’est le triste sort de près de 300 000 habitants de la capitale.

À Mar Mikhaël, l’architecte Jean-Marc Bonfils, créateur d’un des immeubles les plus huppés du quartier et pour lequel il a remporté le prix Asia Architecture Award en 2015, fait partie des victimes de l’explosion. Il filmait l’incendie en direct sur Facebook lorsqu’il a été emporté par la deuxième déflagration. L’immeuble a été fortement endommagé et le concierge, père de famille de nationalité syrienne, a également été tué.

Au moins 135 morts, 5 000 blessés, 300 000 sans-abris

Le bilan de l’explosion massive qui a dévasté mardi le port de Beyrouth s’est alourdi à 135 morts au moins et près de 5 000 blessés, a annoncé hier le ministre de la Santé. « Plusieurs dizaines de personnes sont toujours portées disparues », a-t-il précisé. De fait, les équipes de secours continuent de rechercher disparus et survivants.

Le ministère néerlandais des Affaires étrangères a indiqué hier que l’épouse de l’ambassadeur des Pays-Bas à Beyrouth, Jan Waltmans, a été gravement blessée à la suite de la double explosion. Un porte-parole du ministère a précisé qu’elle a été hospitalisée. Il a également ajouté que quatre autres personnes avaient été blessées à l’intérieur des locaux de l’ambassade, située dans le quartier d’Achrafieh, particulièrement touché et qui a subi de gros dommages.

Jusqu’à 300 000 personnes se retrouvent sans abri à Beyrouth après les explosions qui ont secoué le port, a indiqué mercredi le mohafez (gouverneur) de la capitale Marwan Abboud, estimant le coût des dommages à plus de trois milliards de dollars.

« J’ai fait un tour dans Beyrouth, les dommages peuvent s’élever à entre trois et cinq milliards de dollars », a indiqué à l’AFP le mohafez, précisant toutefois qu’il attendait une évaluation des experts et des ingénieurs. « Près de la moitié de Beyrouth est détruite ou endommagée », a-t-il estimé, avec 250 000 à 300 000 personnes se retrouvant sans domicile.

Toujours en état de choc au lendemain de la double explosion qui a secoué la capitale, les habitants des quartiers dévastés de Beyrouth ont vite fait de retrousser leurs manches, pour nettoyer les débris de verre, de pierre et de métal qui jonchent le sol et remplacer les vitres brisées. Tous n’ont pas fermé l’œil de la nuit, effrayés à l’avance par le spectacle qui pourrait se...

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