Un bilan dont je suis assez fier et qui répond parfaitement aux attentes que j’avais. De point de vue quantitatif, lorsque je suis arrivé à la direction régionale, le bureau comptait 53 membres, aujourd’hui il en compte 89. Il y a eu également une augmentation du nombre de pays dans la région qui ont intégré l’AUF : de 13, ce chiffre est passé à 16. Cela indique d’abord que la francophonie régionale ne se porte pas aussi mal qu’on pourrait le penser et, deuxièmement, que le message porté par l’AUF concernant la francophonie universitaire a été entendu. Je nomme à titre d’exemple : l’Iran, un pays qui a énormément progressé au niveau de l’AUF : en 2016, un seul établissement en Iran était membre de l’AUF, aujourd’hui nous en comptons 11. Il y a aussi une piste intéressante au niveau des pays du Golfe, comme le Qatar, et des pistes pour aller chercher des pays comme Bahreïn, le sultanat de Oman ou le Koweït ; et aux Émirats arabes unis, il y a de plus en plus d’établissements qui frappent à notre porte. Par ailleurs, j’ai constaté que notre dynamique était confortée par une notoriété de l’AUF plus grande en dehors de la francophonie traditionnelle. C’est-à-dire, maintenant des universités non francophones sont intéressées par l’AUF pour d’autres raisons qui concernent la francophonie, mais pas uniquement la langue. Je cite, à titre d’exemple, la récente adhésion de l’AUB et de la NDU.
Qu’en est-il de l’aspect qualitatif ?
Nous avons adopté une stratégie beaucoup plus vaste et plus ouverte aux grands défis éducatifs de notre temps. La recherche ciblée sur tout ce qui est défi sociétal, tel que l’énergie renouvelable ; la qualité de l’eau ; l’environnement ; la gestion de déchets. Nous nous sommes intéressés à l’énorme problème de l’employabilité des jeunes ; la manière d’enseigner autrement ; l’innovation pédagogique ; l’assurance qualité ; comment mieux gouverner l’université, et une question importante, celle du vivre-ensemble. Nous avons engagé nombre d’activités autour de la médiation. Au Liban, nous avons mené un dialogue qui a été renouvelé avec toutes les instances nationales comme le gouvernement, comme le CNRS, comme le Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais et la présidence de la République, et nous sommes allés à la rencontre de la jeunesse, des étudiants.
Comment la double crise financière et sanitaire dont souffre le Liban actuellement a-t-elle affecté les projets de l’AUF ?
Comme toutes les organisations présentes au Liban, nous avons eu plus de difficultés à financer nos activités, notamment par exemple celles qui concernent la mobilité et les déplacements des chercheurs, des enseignants et des étudiants. Nous avons réussi à mettre en place un certain nombre de procédés pour pouvoir dans le contexte financier et bancaire actuel assurer, malgré tout, un certain nombre d’actions. Nous ne nous sommes pas arrêtés. Loin de là. Nous avons continué malgré les contraintes. Le maître mot pour l’AUF, c’était de s’adapter. Nous n’avons pas baissé les bras. Nous avons voulu maintenir notre activité et proposer l’aide que nous avons toujours offerte avec les moyens possibles. Comme il n’était plus sécuritaire d’organiser des rassemblements, nous avons institutionnalisé l’outil numérique. Nous avons à peu près réalisé tous les évènements planifiés, mais en les organisant en ligne.
Vu les circonstances inédites auxquelles font face les universités libanaises, l’AUF va-t-elle changer ses priorités au Liban ?
Les priorités de l’AUF vont sans doute évoluer, non pas par rapport à la situation, mais dû au fait que la stratégie de l’AUF est votée pour quatre ans. En 2021, une nouvelle assemblée générale aura lieu au printemps, à Bucarest, avec le nouveau recteur qui proposera une nouvelle stratégie. Ce qui va changer à mon avis, ce ne sont pas les priorités qui sont liées aux grands défis mondiaux, mais la façon de les mettre en œuvre. On aura de plus en plus recours au numérique, au virtuel. Évidemment, la question de la mobilité va se poser. Cette pandémie, on ne sait pas quand elle va s’arrêter. Et même si elle s’arrête, les esprits seront marqués. Sans doute, moins d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs voudront se déplacer. Il faut trouver une autre façon d’échanger à travers le monde entier. Ce que j’appelle des mobilités virtuelles. Évidemment, l’outil numérique va être fondamental. La question de l’internationalisation des universités va se poser très différemment, moi je suis convaincu qu’on ne va pas revenir au tout présentiel. De nouveaux axes de recherche vont se dégager. Par exemple, en santé publique. Le virus traverse les frontières, nous devrions inventer de nouvelles politiques sanitaires qui ne sont pas uniquement nationales. Un défi global exige une réponse globale.
À votre avis, les universités libanaises sont-elles prêtes à passer à l’enseignement exclusivement en ligne ?
Non, les universités du monde entier ne sont pas prêtes. Ici, je tiens à rendre hommage aux enseignants, et notamment aux enseignants libanais pour tout ce qu’ils ont fait pour leurs étudiants dans un contexte difficile.
Les enseignants ont utilisé internet pour mettre en ligne des cours qui sont déjà prêts. Parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Mais un cours en ligne ne se conçoit pas et ne s’écrit pas de la même façon qu’un cours en présentiel. Il ne s’agit pas de mettre sur un écran des présentations PowerPoint. Il faut vraiment scénariser un cours en ligne, et c’est quelque chose qui doit s’apprendre. Les enseignants du monde entier doivent absolument être formés sur ce type de pratiques nouvelles qu’ils ne connaissent pas.
À noter que des universités au Liban ont un peu anticipé ce genre de formation telle, entre autres, l’USJ qui a un centre spécifique de technologie permettant la formation des enseignants.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Je tiens à souligner que tout ce que j’ai fait depuis six ans, je l’ai réalisé avec une équipe. Une équipe de personnes qui travaillent ici à Beyrouth et dans les différentes branches au CNF de Tripoli, en Égypte, en Syrie. Et je leur dois beaucoup.
L’action de l’AUF, sa visibilité dans la région ne pourraient se faire sans la motivation et l’engagement de cette équipe de femmes et d’hommes vraiment formidables. Je leur rends hommage. C’est important de les associer à moi dans cette réussite de l’AUF dans la région. Par ailleurs, je quitte ma fonction, mais je ne quitte pas le pays. J’ai repris des activités dans une organisation française qui veut se développer à l’international et qui m’a chargé de m’occuper de son extension au Moyen-Orient. Je reviendrai souvent au Liban.