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Nos Lecteurs ont la Parole

Fayçal Ier, un roi plus éphémère que son royaume de Syrie

Il y a cent ans, et plus précisément le 7 mars 1920, le royaume arabe de Syrie était proclamé à Damas, ville saisie à l’occasion par la ferveur populaire. Ce royaume allait être liquidé quelques mois plus tard : ce fut la conséquence directe de l’écrasement des troupes syriennes à Khan Mayssaloun, le 24 juillet suivant, par l’armée du général Gouraud.

Un revers unique avait suffi à détrôner le nouveau roi constitutionnel Fayçal Ier. Ce dernier, au lieu de rameuter ses partisans et de poursuivre le combat à partir de la Ghouta ou de Jabal el-Arab, se retira en zone sécurisée sous mandat britannique. Les Anglais, qui, depuis un moment, lui avaient accordé la protection, allaient renflouer ce « Jean sans Terre » en le couronnant roi d’Irak, un an après son départ précipité de la capitale des Omeyyades. Mais pour ce qui était de Bilad el-Cham, il s’en était retiré sur la pointe des pieds sans prendre congé des Syriens qui l’avaient accueilli à bras ouverts.

Ou chahid ou tarid

Le souverain déchu aurait pu suivre l’exemple de Youssef al-Azmeh, héros du 24 juillet et martyr (chahid) de la cause arabe, mais il fit le choix d’être un fugitif (tarid). Alors, c’est à se demander comment asseoir l’autorité d’un monarque qui tient si peu à son royaume ou comment maintenir à la tête du pays une personne « qui veut et qui ne veut pas ». L’agent anglais T.E. Lawrence avait choisi Fayçal de préférence à ses frères et demi-frères ; il avait, nous rapporte-t-il, reconnu en lui le leader ayant l’ardeur nécessaire (« with necessary fire ») pour conduire la révolte arabe contre les Ottomans à une gloire éclatante (« to full glory »)*. Or, ledit Lawrence d’Arabie était un fabulateur de génie : il fit d’un être velléitaire, peu sûr de lui-même, un conquérant et un libérateur. Et on eut de la peine à ne pas le suivre tellement il était doué pour tisser les multiples légendes, la sienne et celle des autres. En attendant, Fayçal désigné roi par le Congrès syrien, ne se révéla pas être l’homme de la situation. Quoique adulé par le menu peuple, il ne put imposer ses choix : il fut la proie de la surenchère des ultranationalistes qui exigeaient la confrontation et la résistance armée aux Français, alors qu’il penchait pour une négociation qui lui aurait sauvé sa couronne.

C’était certes un gentleman affable, courtois et tolérant, peut-être même un démocrate, mais nullement de la race de ceux qui bâtissent les empires ou les États.

Atatürk et Ibn Saoud

Quand on songe qu’à la même époque, sur les débris territoriaux de l’Empire ottoman défunt, il aurait eu à se comparer, sinon à se mesurer, à deux hommes d’action avec lesquels il n’était pas de taille à lutter. Le premier était Atatürk qui allait mener un soulèvement contre les dispositions du traité de Sèvres, et le second Ibn Saoud qui allait chasser les hachémites de la péninsule Arabique en 1924. Deux chefs implacables qui n’étaient que volonté de puissance, quand le « candidat » Fayçal était plutôt enclin à jouer dans le registre de la séduction et de la concertation.

Abdel-Nasser et Bachar el-Assad

Rétrospectivement, on peut se demander si la Syrie avait une quelconque valeur ou signification pour ce Hedjazien qui avait été formé à Istanbul. Et par ailleurs, d’où tenait-il sa légitimité ? De sa lignée qui remontait au Prophète ou de sa « nomination » par les Britanniques? Certainement pas de ses cavaliers chamarrés ni de ses exotiques chameliers qui ne faisaient que mille cinq cents éléments lors de son entrée triomphale à Damas, entrée par ailleurs savamment orchestrée par les services de Sa Gracieuse Majesté. Ses partisans parlaient de « moubaya’a », le Congrès syrien l’ayant acclamé et les foules en délire l’ayant porté aux nues. Mais ne faut-il pas se méfier de l’exaltation populaire d’un moment ? Les États ne sont pas fondés sur des engouements soudains. Damas en 1958 célébra l’apothéose de Nasser qui venait de proclamer la République arabe unie. Mais trois ans plus tard, les propriétaires et maîtres des lieux signifiaient à l’hôte importun la rupture du contrat de bail.

La Syrie n’est pas un pays aisé à gouverner. Les décideurs n’y ont pas toujours intériorisé certaines valeurs républicaines comme l’alternance démocratique ou le formalisme constitutionnel. Quand on dit que pour prendre le pouvoir à Damas, il faut se battre, on ne se trompe pas, mais il faut s’empresser d’ajouter qu’une fois installé, un régime doit se défendre et se battre doublement pour se maintenir en place.

C’est ainsi chez nous depuis les Mamelouks et, pour tout vous dire, c’est une règle inaltérable de gouvernement. Alors ne peuvent prétendre à la légitimité que ceux qui s’accrochent à leur prise, c’est-à-dire au pouvoir qu’ils ont emporté de haute lutte. Fayçal et Nasser ont vite jeté l’éponge ; ils n’ont pas voulu faire couler le sang. Bachar el-Assad, quant à lui, ne semble pas vouloir en démordre !

Youssef MOUAWAD

*T.E. Lawrence, « Seven Pillars of

Wisdom », tome I, chapitres VIII, XII

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Il y a cent ans, et plus précisément le 7 mars 1920, le royaume arabe de Syrie était proclamé à Damas, ville saisie à l’occasion par la ferveur populaire. Ce royaume allait être liquidé quelques mois plus tard : ce fut la conséquence directe de l’écrasement des troupes syriennes à Khan Mayssaloun, le 24 juillet suivant, par l’armée du général Gouraud. Un revers unique...

commentaires (2)

On se rend bien compte qu’à l’orient de la méditerranée, la lutte pour le pouvoir est souvent sanglante. La conquête se fait par la ruse, en faisant des alliances illusoires, quand elles ne sont pas construites comme des châteaux de cartes : ""Damas en 1958 célébra l’apothéose de Nasser qui venait de proclamer la République arabe unie. Mais trois ans plus tard, les propriétaires et maîtres des lieux signifiaient à l’hôte importun la rupture du contrat de bail."" Trois ans seulement.... Si j’étais ministre, je mettrai ce texte aux programmes d’histoire de l’éducation nationale. C. F.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

10 h 40, le 25 juillet 2020

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Commentaires (2)

  • On se rend bien compte qu’à l’orient de la méditerranée, la lutte pour le pouvoir est souvent sanglante. La conquête se fait par la ruse, en faisant des alliances illusoires, quand elles ne sont pas construites comme des châteaux de cartes : ""Damas en 1958 célébra l’apothéose de Nasser qui venait de proclamer la République arabe unie. Mais trois ans plus tard, les propriétaires et maîtres des lieux signifiaient à l’hôte importun la rupture du contrat de bail."" Trois ans seulement.... Si j’étais ministre, je mettrai ce texte aux programmes d’histoire de l’éducation nationale. C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 40, le 25 juillet 2020

  • ""C’était certes un gentleman affable, courtois et tolérant, peut-être même un démocrate, mais nullement de la race de ceux qui bâtissent les empires ou les États""................................................ Et c’est la grande question : Comment fonder un Etat durable ? C’est la quête, la volonté d’hommes et de femmes à travers le monde pour réaliser cet objectif. On ne peut être l’homme de la situation, que quand elle se présente. Exemple : ce n’est que récemment, et à la suite de la débâcle sanitaire et économique (Covid) qu’on a parlé d’un ETAT européen, alors que la construction européenne a démarré sur les ruines de la guerre, il y a des décennies. Parfois les catastrophes donnent des leçons et des responsables tirent les conséquences, quand ils en ont les moyens, bien sûr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/22/sylvain-kahn-l-union-europeenne-est-maintenant-un-etat_6046896_3232.html

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 28, le 25 juillet 2020

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