Rechercher
Rechercher

Société - Droits de l’homme

Les travailleurs migrants en temps de Covid-19, face à l’enfermement et la discrimination

Les équipes de Médecins sans frontières ont porté assistance durant 18 jours aux travailleurs bangladais mis à l’isolement dans leurs logements à Ras el-Nabeh.

Les travailleurs migrants en temps de Covid-19, face à l’enfermement et la discrimination

À partir de ce dessin, MSF illustre la situation des travailleurs migrants en temps de Covid-19. Photo DR

« Je ne savais pas vraiment pourquoi j’étais enfermé. Tout ce que je savais, c’est que la police encerclait notre bâtiment et qu’on nous avait demandé de rester à l’intérieur. » C’est par ces propos, confiés à Médecins sans frontières lors d’une intervention dans un immeuble du quartier de Ras el-Nabeh à Beyrouth, que Hassan, 26 ans, travailleur migrant du Bangladesh, raconte la difficile expérience qu’il venait de vivre avec ses compatriotes. C’était en mai dernier. Plus de 70 travailleurs migrants résidant dans ce bâtiment, pour la plupart des Bangladais, avaient été testés positifs au Covid-19 après une première atteinte, la semaine précédente, et MSF venait de lancer une intervention rapide dans ce quartier. Car, après les opérations de traçage effectuées par le ministère de la Santé, les Forces de sécurité intérieure avaient isolé les bâtiments, empêchant les résidents, sans leur donner d’explication, de sortir pour aller travailler, se faire soigner ou acheter à manger et à boire. Ce qui constitue une atteinte flagrante à leurs droits fondamentaux.

De l’autre côté de la rue se trouvait un second immeuble, lui aussi en quarantaine, qui abritait plusieurs familles de réfugiés syriens. MSF devait aussi y intervenir. Les résidents avaient été testés négatifs au Covid-19, mais ils étaient isolés par les autorités par principe de « sécurité ».

Des conditions de vie épouvantables

« Dès que nous avons été alertés de la situation à Ras el-Nabeh, nous nous sommes rapidement rendus sur place, affirme à L’Orient-Le Jour Chantal Lakis, épidémiologue MSF à Beyrouth. En accord avec le ministère de la Santé, nous avons envoyé une équipe médicale pour recueillir des échantillons aléatoires de personnes qui auraient pu être en contact avec les travailleurs migrants testés positifs au Covid-19 ». Et ce d’autant que la prise en charge médicale et la sensibilisation sont au cœur de la réponse de l’organisation à la pandémie. « Le premier bâtiment nous a offert un tableau épouvantable, révèle encore Mme Lakis. L’édifice de trois étages abritait plus de 170 hommes, dont beaucoup travaillent dans l’industrie de l’assainissement. Plus de 40 hommes se partageaient parfois un même appartement. Ils étaient allongés sur des lits superposés, dans des conditions d’hygiène déplorables, dans des pièces quasiment sans ventilation. »

Lire aussi

Améliorer le sort des employées de maison migrantes au Liban

À son arrivée, l’équipe de MSF a distribué des masques de protection et de l’eau. Si elle avait prévu d’organiser à l’intention des personnes en quarantaine une session de sensibilisation à la propagation du Covid-19, elle a rapidement réalisé que leurs préoccupations étaient plus immédiates. « Ils avaient peur et voulaient savoir ce qui allait leur arriver, dit Mme Lakis. Nous leur avons expliqué qu’ils avaient été testés positifs au Covid-19, information qui ne leur avait pas été clairement donnée. »

MSF informe alors les ressortissants bangladais des mesures de protection à prendre pour éviter de propager le virus : le port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale, même dans cet espace exigu qu’ils partageaient tous. Et ce d’autant que leur accès aux soins de santé est très restreint, plus particulièrement en temps de coronavirus. « Mais nous n’avons pas d’eau, comment voulez-vous qu’on se lave les mains ? » a répondu l’un d’eux. Face à la détresse de ces travailleurs migrants, l’organisation ajoute une réponse psychologique à son intervention.

L’intervention de Médecins sans frontières auprès des travailleurs migrants, en illustration. Photo DR

« Dépêchez-vous de rentrer !  »

« Notre intervention dans ce bâtiment a duré 18 jours », affirme l’épidémiologue, rappelant que diverses parties, notamment la Croix-Rouge libanaise, les mosquées voisines et même les habitants, ont assuré de la nourriture et de l’eau au fil des jours. Sauf que la stigmatisation à l’égard des personnes atteintes de Covid-19 était d’autant plus forte qu’il s’agit de travailleurs migrants. « Des habitants du quartier déposaient la nourriture devant le bâtiment. Et lorsque les habitants de l’immeuble venaient la chercher, on leur criait : “Plus vite! Récupérez-là et dépêchez-vous de rentrer” », déplore-t-elle, reprenant la phrase d’Uddin, l’un des résidents. « Lors d’une de nos visites, nous avons remarqué une foule de personnes rassemblées au coin de la rue. Elles criaient et exigeaient le renvoi des travailleurs migrants dans leur pays d’origine », raconte encore Chantal Lakis.

Lire aussi

« Après cinq ans de service, je dors dans la rue, sans argent, sans passeport »

L’impact de ces revendications des habitants du quartier ne pouvait que se répercuter négativement sur la santé mentale des résidents bangladais de l’immeuble. « Non seulement ils devaient gérer le fait d’être exposés au virus du Covid-19 et de vivre dans des conditions misérables, mais ils devaient également faire face au rejet des gens qui leur criaient leur mépris », regrette-t-elle. Cela a conduit Hassan à se demander si le fait de venir au Liban pour y travailler n’avait pas été une erreur. « Personnellement, au point où j’en suis, je préférerais retourner au Bangladesh », a-t-il dit ce jour-là à MSF. En plus du Covid-19 et du racisme, il est aussi fortement touché par la crise économique actuelle au Liban et par la dépréciation de la livre libanaise par rapport aux devises étrangères. « Dans mon pays, je pourrais au moins économiser une partie de l’argent que je gagne, a-t-il ajouté. Ici, je ne peux plus mettre d’argent de côté, ni transférer une partie à ma famille restée au pays. » Son salaire ne représente plus qu’un quart de ce qu’il gagnait il y a quelques mois.

« Je ne savais pas vraiment pourquoi j’étais enfermé. Tout ce que je savais, c’est que la police encerclait notre bâtiment et qu’on nous avait demandé de rester à l’intérieur. » C’est par ces propos, confiés à Médecins sans frontières lors d’une intervention dans un immeuble du quartier de Ras el-Nabeh à Beyrouth, que Hassan, 26 ans, travailleur migrant du...

commentaires (1)

L'incurie et la malhonnêteté de l’état ajoutée à l'ignorance des résidents du quartier s'est avérée criminelle pour ces pauvres gens; j'espère que leur pays arrivera à les ramener chez eux.

Christine KHALIL

10 h 31, le 04 juillet 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • L'incurie et la malhonnêteté de l’état ajoutée à l'ignorance des résidents du quartier s'est avérée criminelle pour ces pauvres gens; j'espère que leur pays arrivera à les ramener chez eux.

    Christine KHALIL

    10 h 31, le 04 juillet 2020

Retour en haut