Les discussions entre le Liban, en crise, et le Fonds monétaire international pour le déblocage d’une aide financière avancent au ralenti depuis plusieurs semaines en raison du désaccord entre, d’un côté, les députés, alignés sur la position du secteur bancaire et de la Banque du Liban, et le gouvernement, concernant la méthode de prise en compte des pertes accumulées par le pays.
Ce désaccord a fini par convaincre deux des négociateurs désignés par l’exécutif de présenter leur démission, dont le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, qui a expliqué lors d’une conférence de presse lundi sa décision ainsi que les estimations des pertes cumulées de l’État, de la BDL et des banques telles qu’évaluées par le gouvernement. Un état des lieux qui a été indirectement contesté hier par le président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan, qui est monté au créneau pour présenter et défendre les chiffres définis par la sous-commission chargée de quantifier ces mêmes pertes.
Le député en a profité pour ouvertement critiquer l’approche privilégiée par le gouvernement pour évaluer les pertes, à qui il a une nouvelle fois reproché de ne pas avoir préalablement consulté la BDL et l’Association des banques du Liban et qu’il soupçonne de chercher à faire passer la question des réformes au second plan. « Le jeu des chiffres est un mensonge », a notamment martelé Ibrahim Kanaan. Il a également souligné que le FMI, qu’il a rencontré il y a une semaine pour présenter le rapport élaboré par les parlementaires, « (souhaitait) obtenir une assurance que le Liban n’allait pas rompre » une nouvelle fois ses engagements, comme ce fut notamment le cas lors des précédentes conférences de soutien au pays qui ont été organisée ces 20 dernières années (Paris I, II, III et la CEDRE).
Déposants visés
Le député a ensuite apporté certaines clarifications sur les chiffres obtenus par la sous-commission – et qui étaient attendus depuis une dizaine de jours. Pour rappel, le FMI a répété à plusieurs reprises en juin que les estimations du gouvernement étaient globalement « dans le vrai », tandis qu’une source proche du dossier a indiqué à L’Orient-Le Jour lundi que ces montants constituaient « un minimum » pour l’organisation.
Un point de vue que contestent les députés qui estiment en premier lieu que le gouvernement a cherché à faire porter à la BDL, aux banques et enfin aux déposants « 29 milliards de dollars » de pertes liées au probable défaut de paiement de la dette publique en livres. Le montant correspondant en livres est de 73 000 milliards de livres, mais M. Kanaan n’a pas précisé à quel taux la conversion avait été effectuée. Pour rappel, la dette libanaise s’est élevée à 92,4 milliards de dollars à fin mars dernier, dont 63,1 % sont libellés dans la monnaie locale. Concrètement, Ibrahim Kanaan reproche aux auteurs du plan de redressement d’avoir inscrit ces 73 000 milliards de livres au bilan de la BDL, qui est elle-même endettée à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars auprès des banques commerciales – notamment à travers des certificats de dépôt souscrits par ces dernières. Or ni la BDL ni les banques n’ont actuellement de réserves de liquidités suffisantes pour absorber ces pertes, ce qui reviendra fatalement à les faire assumer aux déposants.
La seconde différence d’approche soulignée par Ibrahim Kanaan s’articule autour de l’estimation des créances douteuses, également surévaluées par le gouvernement selon le député, qui les estime à « 40 000 milliards de livres ». Dans le plan de redressement, le cabinet a en effet supposé que 30 % du portefeuille des banques sera constitué de créances douteuses en raison de la crise économique, et s’est engagé à modifier son estimation si un audit était réalisé. Or, selon le député, le montant de ces pertes serait bien inférieur. La Commission de contrôle des banques les a estimées à « 14 000 milliards », un montant proche de celui de la commission parlementaire, tandis que les banques évaluent ces pertes à « 8 000 milliards de livres ». Ibrahim Kanaan met cette différence entre l’estimation du gouvernement et celle du secteur bancaire sur le compte de l’absence de communication entre les deux parties. Cela a donc abouti à une différence de « 26 000 milliards de livres de plus, qui sont considérées comme étant des pertes ».
Pertes de la BDL
La troisième différence concerne, elle, les pertes accumulées de la Banque centrale. Le gouvernement les a estimées à « 66 000 milliards de livres », englouties notamment dans les ingénieries financières réalisées par la BDL à partir de 2016. Or les députés considèrent que ces pertes peuvent être majoritairement absorbées par les réserves d’or, les revenus de seigneuriage non utilisés (la différence entre les coûts de production et de distribution de la monnaie et la valeur nominale de cette dernière, NDLR) et le capital de la BDL. Un calcul qui ne laisserait finalement qu’une ardoise de « 4 000 milliards de livres ».
Selon les chiffres de la BDL relayés par le Lebanon This week de la Byblos Bank, l’or s’est élevé à 15,8 milliards de dollars à mi-juin, soit 55 300 milliards de livres à un taux de 3 500 livres pour un dollar ou près de 28 000 milliards de livres en comptant le dollar à 1 507,5 livres. Selon le député, l’exécutif a estimé les réserves d’or à « 36 000 milliards de livres », un montant situé entre l’estimation minimaliste du FMI, soit « 24 000 milliards de livres », et celle beaucoup plus généreuse de la BDL, à « 47 000 milliards ». Le rapport défendu par Ibrahim Kanaan estime en outre les revenus de seigneuriage non utilisés à « 9 000 milliards de livres » et les capitaux propres de la BDL à « 6 000 milliards de livres ».
Enfin, la quatrième différence soulignée par Ibrahim Kanaan entre l’approche de l’exécutif et celle des parlementaires concerne la date de prise en considération des maturités des dettes. « Le gouvernement a considéré que tout arrive à maturité aujourd’hui », affirme-t-il. Le député annonce également que le comité de Bâle sur le contrôle bancaire et la norme IFRS 9 (International Financial Reporting Standard, mesures qui visent à « standardiser la présentation des comptes consolidés au niveau international et à garantir leur transparence ») ont indiqué que « les dettes non arrivées à maturité peuvent ne pas être considérées comme étant des pertes, en raison de la récession mondiale due au Covid-19 ». Ibrahim Kanaan se demande alors pourquoi le Liban n’en profite pas, « sachant que le pays a été à l’arrêt durant la crise sanitaire » et que cela permettrait d’alléger le bilan des pertes. De plus, le député conseille de planifier sur sept ans, jusqu’en 2027, plutôt que de « viser la croissance en 2024 » (le pays renoue avec la croissance en 2022 selon le plan du gouvernement). Ces mesures permettront d’alléger les pertes de « 62 000 milliards de livres » supplémentaires.
Durant sa conférence de presse, Ibrahim Kanaan a également critiqué les « trois alternatives au haircut proposées par le gouvernement », qu’il a qualifiées de « headcut » (décapitation), estimant que le cabinet vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué, car ces trois alternatives n’existent pas encore et n’ont toujours pas été créées. Le gouvernement souhaite en effet instaurer un fonds de recouvrement de l’argent volé, à hauteur de 10 milliards de dollars, « un deuxième fonds lors du bail-in des banques » et un troisième à maturité longue « sans payer d’intérêts et sans en spécifier la maturité ». Il a aussi pointé du doigt l’inexistence d’une loi régulant le contrôle des capitaux, impliquant une impossibilité de constituer un fonds, « car il n’y a aucune loi qui oblige l’individu qui a envoyé son argent à l’étranger à le rapatrier ».
Les négociateurs libanais ont conclu hier leur 16ème réunion avec les responsables du FMI. Selon le communiqué sommaire publié par le ministère des Finances, les discussions ont porté sur « la façon de calculer les pertes et la nécessité d’entreprendre des réformes demandées de la manière la plus rapide possible ». La prochaine réunion est programmée pour la semaine prochaine. Aucun jour n’a été spécifié...
commentaires (11)
C'est du grand n'importe quoi destiné à jeter le trouble sur l'évaluation faite par le gouvernement et à retarder d'autant Le Grand Soir.
Marionet
10 h 45, le 04 juillet 2020