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Nos Lecteurs ont la Parole

La tentation de Venise

Qualifié de « meilleur d’entre nous » par l’ancien président français Jacques Chirac, Alain Juppé a occupé d’éminentes responsabilités politiques, dont celle de Premier ministre.

En 1993, il sort un ouvrage, La Tentation de Venise, dans lequel il raconte son désir de vie nouvelle, hors du champ de la politique.

Le titre du livre, spontanément évocateur d’évasion et de bien-être, est devenu expression courante, synonyme de changement de vie, de nouvelle respiration, loin de l’air vicié de la politique, en l’occurrence.

Il y a quelques jours, a circulé sur les réseaux sociaux une vidéo d’une ancienne secrétaire d’État américaine jouant le premier mouvement de Piano Quintet du compositeur bohémien Antonin Dvorák.

Les exemples de transfuges célèbres de la politique ayant soit embrassé une nouvelle carrière, soit retrouvé leur premier métier, ou s’étant consacrés à servir une cause, à assouvir une passion, sont légion dans les différentes sphères de la politique à travers le monde moderne.

Mais chez nous, comme dans malheureusement la plupart des pays de la région, les responsables ne peuvent concevoir l’éventualité d’une vie après – ou à côté de – la politique. Leur existence tout entière lui est strictement dévouée ; avec pour seul crédo : politique un jour, politique toujours.

Qu’est-ce qui peut donc justifier pareille posture politique devenue, à tout le moins, la norme au Liban depuis plus de trente ans ?

Serait-elle la preuve d’un sincère dévouement ou d’une authentique abnégation ?

Serait-elle le témoignage d’un profond attachement à la patrie et à sa population ?

Serait-elle enfin le moyen nécessaire pour mener à son terme un projet politique intelligent pour la nation ?

Que nenni ! Rien de toutes ces considérations n’a, à aucun moment, affleuré dans l’action de nos dirigeants. Aucun de ces nobles principes, de don de soi ou de vision pour le pays n’a pu, un jour, effleurer leur réflexion.

Car pour ces indéracinables chefs de clan, la politique est, avant tout, une question de carrière, et non de vocation.

Pour eux, « faire de la politique » est une occupation, à temps plein et long. Très long. C’est un métier paisible et non exigeant qui assure une existence paresseuse et confortable. C’est une (in)activité sanctuarisée, protégeant ses pratiquants de comptabilité devant les citoyens et de sanctions. Qui plus est, elle fournit à ces vénérés « zaïms », installés pour cent ans, l’occasion de se construire une notoriété grandiloquente, un patrimoine surdimensionné et un pouvoir monarchique s’exerçant sur des sujets serviles, toujours prêts à glorifier le souverain et prompts à se sacrifier – benoîtement – à ses pieds.

Et, cerise sur le gâteau, tout ce capital de flouze, de gloire, d’esbroufe et de pouvoir est transmissible sans frais aucuns à une progéniture assurant un continuum de vacuité intellectuelle et de chaos politique.

Faut-il cependant désespérer devant ce tombereau d’archaïsmes qui frappent le milieu politique d’aujourd’hui et qui ne nous ressemblent pas ?

Doit-on mettre le holà à nos velléités de véritable changement, de plus en plus bruyamment réclamé ?

Viendra-t-il ce jour rêvé où nos enfants pourront ne plus nous annoncer leur départ pour des horizons plus prometteurs et plus cléments ?

Désavoués pour leur arrogance et leur incompétence. Fustigés pour leur cupidité et leur corruption. Injuriés par une population écrasée par tant de forfaitures et de misère, nos irresponsables saisiront-ils la tentation de Venise que je leur suggère très sincèrement ? La question est posée. Posée également est celle de savoir si la sérénissime cité lacustre, déjà noyée à moitié sous le flot des touristes, prendra le risque d’héberger les sabordeurs de notre majestueux Liban.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Qualifié de « meilleur d’entre nous » par l’ancien président français Jacques Chirac, Alain Juppé a occupé d’éminentes responsabilités politiques, dont celle de Premier ministre. En 1993, il sort un ouvrage, La Tentation de Venise, dans lequel il raconte son désir de vie nouvelle, hors du champ de la politique. Le titre du livre, spontanément évocateur d’évasion et...

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