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The legal agenda - Juin 2020

Un rôle de conseiller négligé

Un rôle de conseiller négligé

Le Conseil d’État libanais, en plus d’être à la tête des juridictions administratives, exerce des fonctions consultatives. Il suit en cela son homologue français qui, depuis maintenant plus de deux siècles, exerce également une fonction consultative fondamentale, au point de faire de lui selon certains un « assistant du législateur ». Alors même qu’en France cette fonction consultative a été la première à être consacrée par la Constitution, elle reste la moins connue des deux fonctions du Conseil d’État. Pourtant, l’activité qu’il exerce dans le cadre de cette fonction est loin d’être négligeable : le Conseil d’État français examine en moyenne 1 167 textes par an. Outre ce point de vue qualitatif, l’importance de ce rôle de conseiller de l’État et de son administration est bien mise en avant par la multiplication des cas où cette instance peut être saisie d’une demande d’avis, que ce soit au sujet de textes ou de questions administratives.

Si le Liban a repris ce système de dualité fonctionnelle de la juridiction administrative, la fonction consultative n’y fait pas l’objet d’une consécration constitutionnelle, seuls quatre articles (56 à 59) du statut du Conseil d’État lui sont consacrés. Ce rôle du Conseil d’État devrait être revalorisé, et une comparaison avec son homologue français pourrait apporter quelques pistes sur les éléments à réformer.

Une structure insuffisante

Structurellement, la place fondamentale qu’occupe le rôle consultatif du Conseil d’État français apparaît de manière flagrante : il n’existe qu’une seule section du contentieux, tandis qu’il existe 5 sections administratives (les sections de l’Intérieur, des Finances, de l’Administration, des Travaux publics et la section des Affaires sociales), ainsi que la section des rapports et des études qui exerce également des fonctions consultatives. Chaque section est constituée d’un président et de deux présidents adjoints, et d’autres conseillers d’État lui seront rattachés. Au Liban, il n’existe qu’une chambre administrative unique (par opposition aux cinq chambres juridictionnelles), et le statut ne semble pas prévoir de sous-sections qui seraient spécialisées dans telle ou telle question administrative. Par ailleurs, si le statut prévoit que cette chambre est présidée par le président du Conseil d’État, qui peut déléguer cette fonction à un autre président de chambre, le statut ne semble pas prévoir que des conseillers soient forcément affectés à cette chambre. La décision de l’affectation semble être une compétence discrétionnaire du président du Conseil d’État, qui peut se contenter de lui affecter uniquement un seul conseiller. Par ailleurs, il ne semble pas y avoir de séparation stricte entre les fonctions juridictionnelles et les fonctions consultatives, un président d’une chambre juridictionnelle pouvant également être à la tête de la chambre administrative. Or dans ce cadre, les textes libanais gagneraient à s’inspirer des solutions françaises imposées par la jurisprudence européenne, qui appelle à la distinction stricte de ces fonctions au nom d’un procès équitable. À ce titre par exemple, si un magistrat a participé à l’adoption d’un avis sur un règlement, il ne pourra pas siéger par la suite dans la formation de jugement qui aurait à connaître d’un recours dirigé contre ce même règlement.

La proposition de loi présentée par le Legal Agenda tend à résoudre certains de ces problèmes en ce qu’elle prévoit que la chambre consultative est composée d’un président et de conseillers, dont le nombre sera déterminé par une décision du Conseil supérieur des tribunaux administratifs (qui remplace l’actuel Bureau du Conseil d’État). Elle prévoit par ailleurs la répartition des conseillers en commissions spécialisées, ce qui devrait également contribuer à valoriser cette mission consultative.

Une intervention nécessaire, mais concurrencée

La consultation du Conseil d’État sur des projets de textes, au Liban comme en France, peut être soit obligatoire soit facultative. Elle est par exemple facultative en France pour les propositions de loi (la saisine du Conseil d’État à leur sujet est possible depuis la réforme constitutionnelle de 2008) et obligatoire en ce qui concerne les projets de lois, d’ordonnances ou de décrets, qui ne sont adoptés qu’« après avis du Conseil d’État ». Le Conseil d’État peut également être saisi par les ministres sur des « difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». Certains des avis rendus dans ce cadre constituent des références sur certaines questions au même titre que des arrêts rendus par la juridiction administrative (tel est notamment le cas de l’avis rendu sur le port du voile à l’école en matière de laïcité ou de l’avis rendu au sujet du recours à l’arbitrage par les personnes publiques) et ont même pu entraîner des réformes législatives. La valeur ajoutée apportée par ces avis à la qualité des textes a par ailleurs conduit à l’extension du rôle consultatif à d’autres juridictions administratives, les tribunaux administratifs pouvant par exemple être saisis d’une demande d’avis par des préfets.

Le statut du Conseil d’État libanais a globalement repris les différents cas où le Conseil d’État peut être, voire doit être saisi de demande d’avis par les administrations. L’article 57 du statut prévoit les cas où le Conseil d’État doit obligatoirement être saisi d’une demande d’avis (projets de décrets et d’actes règlementaires et toutes les questions pour lesquelles les lois et règlements prévoient obligatoirement sa consultation), et les cas où sa consultation est simplement possible (projets de conventions internationales et de circulaires, ainsi que toute question au sujet de laquelle le Conseil des ministres souhaiterait avoir son avis). Dans le cas du Conseil d’État libanais, ces compétences semblent par contre concurrencées dans une certaine mesure par celle d’une autre instance : le département de la législation et de la consultation du ministère de la Justice. Celui-ci peut en effet être saisi de demandes d’avis concernant les projets de lois, de décrets, d’actes règlementaires, de circulaires ou de conventions internationales. Même si sa consultation n’est pas obligatoire, ses compétences se recoupent avec celles du Conseil d’État, alors même qu’il est déjà appelé, en plus de ce rôle consultatif, à jouer un rôle dans la rédaction de ces différents textes.

L’apport que peut avoir la consultation du Conseil d’État sur les textes peut être mis en avant par la sanction apportée par les juges au défaut de consultation. En effet, un tel défaut est sanctionné de nullité. Le Conseil d’État français va par exemple jusqu’à sanctionner de nullité pour vice d’incompétence les décrets adoptés sans que le Conseil d’État n’ait été consulté. Le Conseil d’État libanais sanctionne également le défaut de consultation auprès de lui, quand celle-ci est obligatoire, mais il le fait pour violation d’une règle substantielle de procédure.

La tendance est donc à la valorisation du rôle consultatif du Conseil d’État en France, tant par l’extension des textes ou questions qu’il lui revient d’examiner que par le fait qu’un texte pour lequel sa consultation était requise est sanctionné de nullité lorsque celle-ci n’a pas eu lieu.

Une absence de publicité contestable

Les avis rendus par le Conseil d’État sont en principe confidentiels en France. Ils ne sont publiés que si le destinataire/demandeur de l’avis décide de le faire. Mais de nombreux avis sont rendus publics, notamment lorsque le Conseil d’État est saisi non pas d’une demande d’avis portant sur un texte, mais sur « des difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». L’intérêt de la publication des avis rendus dans ce cadre est tel qu’ils font aujourd’hui l’objet d’un ouvrage intitulé Les grands avis du Conseil d’État, équivalent des GAJA. Les études et rapports annuels préparés par la section des rapports et des études sont également publiés et régulièrement cités. Conscient de l’intérêt que pourraient représenter les avis rendus par le Conseil d’État pour le public, le pouvoir exécutif a pris depuis 2015 la décision de généraliser la publication des avis rendus au sujet de projets de loi.

Au Liban au contraire, le caractère secret des avis rendus par le Conseil d’État semble absolu, leur publication étant prohibée. Nous ne pouvons en prendre connaissance qu’à travers certains articles écrits par des conseillers d’État qui auraient eu accès aux avis et auraient choisi d’en rendre compte. La proposition du Legal Agenda se propose également de remédier à cet état de fait en imposant la publication des avis rendus par le Conseil d’État.

Le Conseil d’État libanais, en plus d’être à la tête des juridictions administratives, exerce des fonctions consultatives. Il suit en cela son homologue français qui, depuis maintenant plus de deux siècles, exerce également une fonction consultative fondamentale, au point de faire de lui selon certains un « assistant du législateur ». Alors même qu’en France cette...
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