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... Et de trois !

On aurait tellement voulu y croire sans se laisser gagner par le doute et la suspicion : pensez donc, ces mêmes casseurs de manifs, soldats ou mercenaires des milices sectaires, se positionnant soudain du bon côté de la barrière, rejoignant l’autre soir les enfants de la révolution du 17 octobre, dans une grandiose communion que seul pouvait initier le spectre de la faim ! Mais tout n’est pas aussi simple, ni aussi idyllique hélas. Car s’il est bien vrai que l’appauvrissement n’épargne aucune communauté libanaise, si ventre affamé n’a pas d’oreilles, les manipulateurs de foules demeurent fort capables de canaliser en tout sens la colère de leur public.


Pour ceux-là, tout trouvé semblait être, jeudi, l’objectif assigné à ces nouveaux venus à la révolution. Chargé de tous les maux de la terre par les partis au pouvoir, le gouverneur de la Banque du Liban représente en effet le bouc émissaire idéal; le démettre serait un début d’absolution pour les dirigeants notoirement corrompus et c’est toujours là un gêneur de moins dans la course à la présidence de la République, ou ce qui reste de cette dernière. Or si la performance de Riad Salamé peut fort bien prêter à débat, ce qu’on pourrait lui reprocher surtout, c’est d’avoir apporté la caution de la BDL à la politique financière tortueuse de plus d’un gouvernement : d’avoir toléré – objectivement couvert – les erreurs de gestion, gaspillages et pillages commis par des responsables indignes. Voilà qui portait hier le patriarche maronite à rappeler, en plein palais présidentiel de Baabda, que tous ont fauté. Et que tous veut bien dire tous...


Il y va de bien davantage cependant que de la carrière de Salamé. En même temps que notre Fort Knox dégarni, c’est le secteur bancaire tout entier qui était et reste ostensiblement dans le collimateur, et certes pas par vertueuse volonté d’assainissement. Un deuxième coupable, en effet, c’est une promesse supplémentaire d’innocence et d’impunité pour les mafieux de la politique, premiers responsables, comme tout le monde sait, de la ruine du pays. Pire encore, un bouleversement du panorama bancaire, ce serait la porte largement ouverte à une intrusion de fonds iraniens dans le capital des établissements réorganisés : développement qui permettrait au Hezbollah et à ses alliés de mieux faire face aux sanctions américaines découlant du Caesar Act qui entrera en vigueur dans quelques jours.


Jamais deux sans trois, dit le proverbe ; mais qui donc pouvait imaginer le stupéfiant spectacle du chef de l’État envoyant hier le gouvernement rejoindre les autres au banc des accusés, au lendemain d’une chute insensée de la monnaie nationale au marché des changes ? Un aussi cruel désaveu ne devrait pas trop étonner pourtant. Car bien davantage qu’à une opposition disparate, c’est en réalité à ses propres parrains – et plus précisément à Michel Aoun et son parti – que le cabinet Diab doit l’érosion rapide et continue de sa crédibilité.


C’est ainsi le président qui a imposé la réinsertion de la litigieuse centrale de Selaata dans la réforme de l’électricité, encombrant d’un boulet supplémentaire un programme déjà boiteux. C’est encore lui – pourtant premier magistrat du pays, comme le veut la prestigieuse formule héritée de l’Antiquité romaine – qui a mis au congélateur un projet de permutations judiciaires, à peine celui-ci avait-il achevé une interminable navette entre juges et ministères concernés. Et c’est toujours le président et son clan qui se sont taillé la part du lion dans les toutes dernières nominations de hauts fonctionnaires décrétées, en dépit des pitoyables promesses de Hassan Diab, dans le plus pur (?) style clientéliste; plus d’un ministre y a objecté, sans toutefois aller jusqu’à voter contre.


C’est Hassane Diab lui-même cependant qui a raté une occasion historique, encore une, de se démarquer de ces scandaleuses pratiques, de taper du poing sur la table, de menacer même de rendre son tablier. Tout cela oui, plutôt que de faire figure désormais de paravent criblé de trous, de Premier ministre en sursis après seulement trois mois de règne.


Visage de marbre ne saurait longtemps passer pour attribut de flegme et de détermination. Beaucoup trop de pâtes molles, sans doute, au menu…


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

On aurait tellement voulu y croire sans se laisser gagner par le doute et la suspicion : pensez donc, ces mêmes casseurs de manifs, soldats ou mercenaires des milices sectaires, se positionnant soudain du bon côté de la barrière, rejoignant l’autre soir les enfants de la révolution du 17 octobre, dans une grandiose communion que seul pouvait initier le spectre de la faim ! Mais tout...