La loi d’amnistie générale, qui divise depuis près de deux ans et demi la classe politique entre défenseurs et détracteurs, semblait sur le point d’être votée lors de la séance législative prévue jeudi prochain. Mais les députés chiites ont fait volte-face mercredi, au cours de la réunion des commissions parlementaires mixtes et sont revenus sur l’entente à laquelle ils étaient parvenus avec les parties chrétiennes (Courant patriotique libre, Forces libanaises, Kataëb et députés indépendants), consistant à faire profiter de cette amnistie non seulement des prisonniers dans les geôles libanaises, mais aussi les Libanais ayant fui en Israël dans la foulée du retrait de l’armée israélienne de la bande frontalière en 2000. Dans les faits, la sous-commission parlementaire, qui avait été chargée de plancher sur la proposition de loi après la réunion du Parlement qui s’était tenue il y a un mois à l’Unesco, a finalisé une version dans laquelle ont été intégrées les demandes contradictoires des différents camps politiques, notamment l’inclusion des civils libanais réfugiés en Israël, ainsi que leurs familles. Une source informée affirme à L’Orient-Le Jour que suivant les procès-verbaux des travaux de la sous-commission, il ne restait plus qu’à débattre de la réduction des peines des détenus, à laquelle les composantes chrétiennes sont opposées. Or, parvenu mercredi aux commissions mixtes, le texte suscite un tollé à la lecture de l’alinéa concernant le retour des Libanais. Un esclandre s’ensuit entre Jihad el-Samad, député de la Rencontre consultative et Michel Moawad, chef du mouvement de l'Indépendance, qui représentait en commission la majorité des parties chrétiennes ayant exprimé à l’origine leur opposition à la loi d’amnistie, mais semblaient ensuite enclines à voter en sa faveur après les efforts déployés pendant un mois avec les autres parties pour en établir une version unifiée. Suite au clash, les débats ont été clôturés, en attendant la tenue de l’assemblée plénière jeudi. Par conséquent, la loi sera-t-elle adoptée dans ce contexte, sachant qu’une telle question nécessite un consensus national ? Cela ne semble pas certain, même si le vice-président du Parlement, Élie Ferzli, a annoncé, à l’issue de la réunion des commissions mixtes qu’il présidait, « une certaine forme de quasi-entente sur une loi d’amnistie ».
Depuis qu’elle a été évoquée en janvier 2018, à la veille des élections législatives de mai de la même année, la question de l’amnistie est très controversée. Concernant 1 200 détenus islamistes de confession sunnite impliqués dans des affrontements avec l’armée, elle est défendue par les députés de même confession. Elle est aussi soutenue par le Hezbollah et le mouvement Amal, puisqu’elle devrait également bénéficier à des milliers de détenus en grande majorité chiites impliqués dans des affaires de trafic de drogue. Le président du Parlement, Nabih Berry, a été jusqu’à fixer l’amnistie à l’ordre du jour d’une séance parlementaire du mois de novembre, en plein mouvement de contestation, et au milieu d’une manifestation de la société civile qui a pu finalement empêcher la tenue de la séance. Mais les défenseurs de la loi sont revenus à la charge, prenant prétexte du contexte de crise sanitaire pour soutenir qu’une telle loi permettrait le désengorgement des prisons.
Boycott probable
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Michel Moawad affirme qu’une entente sur l’inclusion des civils libanais qui ont fui en Israël et sont détenteurs de passeport israélien avait pourtant été trouvée lors des réunions de la sous-commission. « Ibrahim Moussaoui, député du Hezbollah, ainsi que Yassine Jaber et Ghazi Zeaïter, députés d’Amal, avaient par exemple exprimé publiquement leur accord », indique M. Moawad. Il évoque par ailleurs l’existence d’une loi votée en ce sens en 2011, mais qui n’avait pas été mise en vigueur faute de décrets d’application. Le député s’étonne du revirement opéré, évoquant succinctement l’esclandre qui a éclaté lorsqu’il a pris la parole lors de la réunion des commissions mixtes. Il affirme que Jihad el-Samad a provoqué un brouhaha pour tenter d’étouffer sa voix, alors que des slogans choquants ont fusé de toutes parts : « La médaille de la collaboration », « La collaboration n’est pas un point de vue » ou encore « Un crime contre le Liban ».
« On veut nous imposer la logique de l’intimidation mais nous ne pouvons l’admettre », martèle le député de Zghorta, estimant qu’« on tente de nous proposer un troc entre la réduction des peines et l’inclusion des Libanais ayant fui ». Dans ce contexte de « marché confessionnel », M. Moawad agite l'éventualité pour les parties chrétiennes de reprendre l'attitude hostile à la loi d'amnistie qu’ils avaient adoptée a l’origine. Une allusion à peine voilée à la possibilité de boycotter la prochaine séance parlementaire en torpillant le quorum, si les tractations en cours ne trouvent pas une issue.
À noter que selon le texte final proposé, les agressions contre l’armée, les trafics de drogue et les infractions liées à la dilapidation des fonds publics sont désormais exclus de l’amnistie. Par contre, le texte inclut les cultivateurs et consommateurs de stupéfiants, ainsi que les détenus non jugés, qui ont purgé une peine plus longue que celle prévue pour la sanction qui les frappe. « L’amnistie devrait se limiter aux victimes d’injustice », affirme à cet égard M. Moawad, évoquant « le caractère d’exception que revêt légalement l’amnistie ».
commentaires (4)
Quid de l’amnistie relative à la corruption et les vols dans la caisse de l'Etat et l'enrichissement illicite??? La technique des partis à ce sujet semble être de dévier l'attention du public, avec des querelles de façades, probablement résolues déjà derrières les rideaux, pour arriver à autre chose. Pauvre Liban !
Shou fi
19 h 34, le 22 mai 2020