Thaoura, qui es-tu et comment te nommer ? Es-tu révolution ou révolte, insurrection ou soulèvement? Séduisante, tu l’as été au jour J de ton déclenchement, et que les Libanaises étaient belles quand elles paradaient dans Beyrouth, cette vieille courtisane qui n’en avait que pour les damoiseaux !
Auto-affublée du titre pompeux de thawra, tu t’es éclatée dans les rues mêmes de la ville « outragée » qui, il n’y avait pas trop longtemps, avait offert ses clés à Ghazi Kanaan, en signe de gratitude, ce qui veut dire en jargon baassiste, en guise de soumission. Contestataires, votre rébellion a lavé les affronts que certains proconsuls ont infligés à notre capitale, eux qui ont toujours veillé à la souffleter pour lui apprendre soi-disant la retenue et les bonnes manières. Le 17 octobre 2019, était-ce un point de départ, une séquelle, une excroissance ou la suite logique d’un 14 mars 2005 dévoyé par l’incurie même de ses leaders patentés ? Difficile à caractériser ce hirak (1) qui fut plus révolte que révolution, tant il incarnait un acte désespéré face à une situation intolérable. Jacques Ellul décrit le révolté comme une personne qui « n’a pas de futur parce que ce futur ne peut être que l’aggravation du présent, et ce présent, il n’en veut plus ».
Contrairement au concept de révolution qui s’appuie sur une doctrine, nous dit cet historien libertaire, la révolte est « viscérale et impulsive »; elle est probablement l’expression de quelque chose de primitif : la solidarité instinctive dans le refus de l’autorité. Il lui suffit de dire non et de désigner l’ennemi à abattre, à savoir les corrompus et les corrupteurs, à telle enseigne qu’elle peut se résumer en slogan. Le voici : « Tous, tant que vous êtes » (2). Mais cela ne fait pas de notre contestation une révolte pour autant, cette dernière étant instantanée et brève ; elle ne saurait s’étaler sur le temps. Gageons que notre hirak, dans sa longévité, est une catégorie sui generis, comme le mouvement des gilets jaunes en France, avec la violence en moins. Avec l’aspect festif en plus.
Car ce fut une kermesse ininterrompue de couleurs et de décibels. Clameurs et revendications assurèrent à la « dissidence » sa visibilité. Et les médias avides de sensationnalisme n’ont pas manqué de rapporter son aspect théâtral. La grand-messe, où communiaient les réprouvés, se nourrissait de défilés, de parole libérée et d’occupation de lieux publics.
Ce fut « l’événement » avant que d’être détrôné par un autre, dit Covid-19, qui se révéla être plus viral. Les places, autrefois grouillantes, se vidèrent par un coup de bâton magique. Sans coup férir, le coronavirus l’avait emporté. Il était le plus fort, ayant dégagé les routes et les avenues, et libéré l’agora de ses occupants. C’est à croire qu’il avait partie liée avec la classe politique véreuse et les élites au pouvoir.
Seulement voilà, des esprits malintentionnés insinuent que la pandémie incriminée a paradoxalement donné un sacré coup de main aux protestataires dont l’action perdait en intensité et popularité. Elle leur aurait sauvé la face en leur accordant le prétexte de se confiner à domicile et plus d’une raison de se retirer avant le constat d’échec irrémédiable. Ainsi le virus s’est révélé providentiel aussi bien pour l’establishment que pour les « indignés », ces agités du bocal.
Hirakiennes et hirakiens, il n’en tient qu’à vous de démentir la rumeur ! À la première éclaircie.
1- Harak, si l’on veut être puriste
2- Littéralement : « Tous, veut dire tous »
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commentaires (8)
....""C’est à croire qu’il avait partie liée avec la classe politique véreuse et les élites au pouvoir."" .................................................................................................. C’est le Covid (il faut dire la Covid selon les immortels de l’Académie) qui accorde à la classe politique un sursis inespéré, où l’on prétend que l’épidémie est une colère divine, et qu’ils ne sont pas responsables du désastre sanitaire. Mais on se trompe ! """Politichiens""" affairistes, ils s’accrochent coûte que coûte au pouvoir, et parfois l’excuse d’un grand éditorialiste quand il écrit ceci : ‘’’’Comme un peu partout, les autorités locales ont été prises de court par l’invasion du Covid-19’’’, Mais non, pas partout. Cet argument que je balayerai d’un petit revers de la main en rappelant qu’en politique, ""gouverner c’est prévoir"", n’est-ce pas. Où sont les masques de réserve, au cas où ? C’était lamentable l'été dernier, pendant la période de sécheresse où des incendies faisaient peur aux Libanais craignant pour leurs habitations, les trois avions de secours étaient cloués au sol faut de maintenance. Question subsidiaire : Le FMI prête-t-il de l’argent à des voleurs ?
L'ARCHIPEL LIBANAIS
13 h 17, le 14 mai 2020