Entre le leader des Marada, Sleiman Frangié, et le tandem Baabda-Courant patriotique libre, c’est désormais la guerre ouverte.
Il est vrai que les rapports entre les deux parties sont pratiquement gelés depuis la présidentielle de 2016 qui avait permis l’accession à la magistrature suprême du fondateur du CPL, Michel Aoun, aux dépens de M. Frangié, appuyé dans un premier temps par le leader du courant du Futur, Saad Hariri. Mais il a fallu que Sarkis Hleiss, directeur des installations pétrolières au sein du ministère de l’Énergie et gravitant dans l’orbite des Marada, soit convoqué par la justice dans le cadre des enquêtes autour du fuel défectueux, pour que la rupture entre les deux camps soit consacrée. Et que le règlement de comptes présidentiel – jugé prématuré dans certains milieux politiques – se poursuive entre M. Frangié et le leader du courant aouniste, Gebran Bassil, tous deux étant des candidats potentiels à la présidentielle prévue en 2022.
Dans une conférence de presse particulièrement incendiaire, tenue hier depuis son fief de Bnechii, au Liban-Nord, le chef des Marada a défendu l’un de ses proches, incriminé dans l’affaire du fuel défectueux, se livrant par la même occasion à une violente diatribe contre le CPL et son chef, mais aussi contre le président de la République. « Le dossier du fuel frelaté est éminemment politique. Et la partie qui l’a ouvert est connue, de même que les juges concernés », a tonné Sleiman Frangié, avant d’aller plus loin : « Sarkis Hleiss est un ami et je suis convaincu de son innocence parce qu’il est honnête. » « M. Hleiss se rendra à la justice, la vraie, celle qui prouvera son innocence, et non celle de Gebran Bassil », a-t-il poursuivi dans ce qui a sonné comme une critique du pouvoir judiciaire, qu’il accuse implicitement de partialité, sous-entendant que le leader du CPL s’ingérait dans les nominations judiciaires.
L’affaire du fuel frelaté livré à Électricité du Liban agite la scène libanaise depuis quelques semaines. L’enquête ouverte a notamment débouché sur l’émission de mandats d’arrêt contre plusieurs personnes, dont le représentant de Sonatrach au Liban, Tarek Faoual.
« Sarkis Hleiss et Aurore Feghali, directrice du pétrole au sein du ministère de l’Énergie et proche des aounistes, ne sont pas de grosses pointures », a déclaré Sleiman Frangié, estimant que « le CPL a sacrifié Mme Féghali, comme il l’a fait avec tous les militants de la première heure ». « Nous sommes convaincus que la justice est politisée, et avec le temps, tout sortira au grand jour », a-t-il ajouté.
Et le chef des Marada de poursuivre : « Il est de notre droit de nous tenir aux côtés de nos partisans, contrairement à ce que font d’autres (protagonistes) qui se lavent les mains des agissements de certains. » « Nous ne sommes pas en train de fuir la justice. Ceux qui le font sont ceux qui entravent les permutations judiciaires établies par le Conseil supérieur de la magistrature », a encore martelé M. Frangié. Une nouvelle pique au pouvoir auquel Bnechii impute la responsabilité de la lenteur dans la mise en application des nominations judiciaires.
« Le Liban n’est pas un État pétrolier »
Toujours dans le cadre du dossier de l’énergie, le leader des Marada a déclaré que « le Liban n’est pas un État pétrolier ». « Il n’y a aucune trace de gaz, ils vous ont menti », a-t-il lancé en référence au pouvoir et au CPL. Il a, en outre, affirmé que Raymond Rahmé (frère de Teddy Rahmé, propriétaire de la compagnie ZR Energy, contre qui un mandat d’arrêt a été émis dans le cadre de cette affaire) est son ami, assurant qu’il a la conscience tranquille. « S’ils veulent la guerre, ils l’auront. Et s’ils désirent la paix, nous sommes prêts. Nous avons un même projet politique. Mais comme ils ne sont pas parvenus à redorer leur blason, ils attaquent les autres », a déclaré Sleiman Frangié, ajoutant : « Ils sont faibles et peureux. Tant qu’ils sont au pouvoir, ils optent pour l’injustice, mais l’histoire ne leur pardonnera pas. » Une flèche décochée en direction du CPL, auquel il a adressé ce message : « Vous avez menti aux gens en 1989 (Michel Aoun, alors commandant en chef de l’armée avait déclaré la “guerre de libération” contre les troupes syriennes), détruit les régions chrétiennes et le Liban tout entier. Puis vous avez menti à nouveau en 2005 et vous faites de même aujourd’hui. » Et de poursuivre : « Vous êtes forts parce que vous êtes au pouvoir. Mais une fois que vous l’abandonnerez, vous ne vaudrez plus rien. D’autant que les gens ne vous croient plus. »
Calculs présidentiels
À travers cette attaque, Sleiman Frangié inaugure un nouveau round de son bras de fer chronique avec le CPL et Baabda. Un analyste politique contacté par L’Orient-Le Jour estime même que Sleiman Frangié tente de faire barrage à une éventuelle candidature de Gebran Bassil à la présidentielle de 2022, prenant le soin de mettre en exergue son alliance solide avec le tandem chiite, et évitant d’attaquer le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, avec qui il s’est réconcilié en novembre 2018.
À une question concernant le timing de cette nouvelle phase de sa querelle avec le pouvoir, M. Frangié assure toutefois que « la bataille a débuté chez Gebran Bassil ». Et pour la toute première fois, le chef des Marada s’en est pris à Michel Aoun. « Quand Baabda nous prend pour cible, nous avons le droit de ne pas nous y rendre », a-t-il lancé, dans une allusion à la réunion des chefs des blocs parlementaires convoquée par Michel Aoun mercredi dernier à Baabda pour examiner le plan de redressement économique du gouvernement, et que Sleiman Frangié a, sans surprise, boycotté.
Ces propos ont suscité une vive réaction de la présidence, dont le bureau de presse a répondu dans un communiqué au leader des Marada. Pour Baabda, ce dernier « aurait mieux fait de ne pas couvrir les personnes recherchées par la jsutice, au lieu de se vanter de les protéger, afin qu’elles se présentent à la justice, seule capable de prouver leur innocence ». « Le reste des propos de M. Frangié n’a rien à voir avec la vérité et ne mérite pas de réponse, même s’il porte atteinte à la réputation du Liban, surtout en ce qui concerne le dossier du pétrole », ajoute le texte.
Quelques heures plus tôt, le premier juge d’instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour, avait émis quatre mandats d’arrêt contre Sarkis Hleiss, Teddy Rahmé, PDG de la compagnie ZR Energy, Ibrahim Zouk, directeur exécutif de ZR, et Georges Saneh, directeur des adjudications au sein de la direction des installations pétrolières.
Mais du côté de Bnechii, on est catégorique : il n’est pas question que Sarkis Hleiss se présente à la justice, du moins pour le moment, confie une source informée à L’OLJ. Quelle sera alors la prochaine étape de cette bataille? « Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, les Marada ne claqueront pas la porte du gouvernement, parce que celui-ci n’a rien à voir avec le duel contre le pouvoir en place », déclare la source proche des Marada.
De son côté, le CPL n’avait pas répondu jusqu’à hier soir de manière officielle au leader zghortiote. Plusieurs députés et responsables du parti se sont contentés de quelques tweets critiquant M. Frangié. Mais dans certains milieux aounistes contactés par L’OLJ, on se contente de souligner que ce n’est pas le moment d’ouvrir la bataille de la présidentielle, en soulignant que M. Frangié mène une bataille inopportune contre le pouvoir, alors que la priorité devrait être au règlement de la crise économique.
c'est vraiment desagreable de lire les commentaires a droite de l'ecran...
18 h 29, le 12 mai 2020