C’est généralement en avril que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international organisent à Washington leur réunion annuelle du printemps, au cours de laquelle sont notamment mis à jour les données retranscrivant la conjoncture économique et sociale aux niveaux mondial, régional et de chaque État observé. Programmé la semaine dernière, le rendez-vous de cette année a bien eu lieu, mais en visioconférence en raison de mesures de confinement prises dans la majorité des pays du monde pour tenter de contenir l’épidémie de Covid-19.
Cette contrainte n’a toutefois pas empêché la Banque mondiale de publier sa nouvelle évaluation de la situation du Liban. Un constat qui rejoint dans les grandes lignes celui dressé par le gouvernement de Hassane Diab fin mars lors de sa première présentation de la situation économique et financière du pays faite aux créanciers, à qui il avait annoncé au courant du même mois sa décision de faire défaut sur les obligation d’État en dollars.
Sans surprise, l’organisation prend acte de l’état désastreux dans lequel le Liban était déjà plongé bien avant le début de la pandémie - et les mesures de confinement prises par l’exécutif depuis la mi-mars. Ces chiffres diffèrent dans des proportions plus ou moins marginales de ceux du gouvernement, ou encore du FMI qui a indiqué la semaine dernière que le pays, l'un des plus mauvais élève de la zone Mena, allait accuser en 2020 la plus forte récession de son PIB depuis la fin de la guerre civile, soit -12 % (une projection identique à celle du gouvernement), juste avant une Libye en plein conflit.
La Banque mondiale estime ainsi que le PIB libanais a baissé de 5,6 % en 2019 et anticipe une contraction de l’ordre de 10,8 % en 2020 - là aussi juste avant la Libye (-19,4 %)*. Elle évalue de plus la valeur du PIB libanais à 53,4 milliards de dollars (seuls les comptes nationaux du premier semestre ont pour l’instant été publiés). Les variations entre les estimations s’expliquent non seulement par les particularités propres à chaque méthodologie, mais également par les incertitudes du contexte actuel qui appelle à appréhender ces projections avec un certain recul.
Inflation et pauvreté
Au niveau de l’inflation, la Banque mondiale table sur une hausse de 16 % en 2020 - une projection qui affiche l’écart le plus grand avec celle du gouvernement, qui prévoit un bon record de 27,1 % sur la même période. Pour 2019, les estimations de l’organisation affichent également une différence importante avec celles de l’Administration centrale de la statistique (+2,9 % pour le premier contre +6,96 % pour le second).
Parmi les autres estimations fournies par la Banque mondiale dans la mise à jour figure le ratio dette/PIB qui passerait de 171,8 % en 2019 à 162,8 % en 2020, tandis que le déficit public passerait lui de 10,6 % à 12,2 % sur les deux années respectives. Le taux de pauvreté à fin 2019 est enfin estimé à 27,4 %, pour une population de 6,9 millions d’habitants. Plusieurs responsables de la Banque mondiale ont estimé dès les premières semaines des manifestations massives qui ont éclaté dans le pays dès le 17 octobre pour contester la légitimité et la gestion de la classe politique que le taux de pauvreté devrait augmenter dans des proportions importantes lors de l’année en cours.
(Point de vue: La crise au Liban : opportunités et responsabilités, par Charbel Nahas)
Pas de surprise non plus au niveau du diagnostic, la Banque mondiale liant les contre-performances du Liban aux défauts structurels du pays - qui enchaîne les déficits publics depuis des années -, à l’inefficacité des mesures adoptées dans les derniers budgets (2019 et 2020) pour les réduire, et enfin à l’impact, depuis l'année dernière, des crises successives - sociale, économique, financière et enfin sanitaire.
Elle souligne de plus la situation monétaire, marquée par un dévissage du taux de la livre par rapport au dollar entamé fin août en raison de la baisse des réserves de devises du pays et des restrictions adoptées de façon unilatérale et illégale par le secteur bancaire pour tenter de les juguler, sans succès. La Banque mondiale estime ainsi que les dépôts du secteur privé avaient chuté de 8,6 % en 2019, soit de pas moins de 15,6 milliards de dollars en valeur. Ils dépassaient 174 milliards de dollars en 2018.
Au niveau du change, il fallait plus de 3000 livres ces derniers jours pour acheter un dollar chez les changeurs, tandis que la BDL, qui maintient encore la parité officielle de 1507,5 livres pour les transactions bancaires (drastiquement limitées depuis des mois, notamment s’agissant des transferts à l’étranger, des retraits de devises et des conversions) a publié début mars deux textes amorçant un nouveau régime de change qui devrait prendre un peu plus forme cette semaine.
(Lire aussi : Le Liban a besoin d’une loi juste sur le contrôle des capitaux)
En conclusion, les experts de l’organisation appellent à la mise en place d’une "stratégie de gestion de crise crédible” qui table d’abord sur une stabilisation de la situation (notamment au niveau budgétaire, externe et financier) avant de s’attaquer aux problèmes de fonds - qui sont identifiés depuis des années. Elle préconise notamment la mise en place de “filets de protection sociale” pour les plus démunis. Elle signale enfin que l’absence de loi organisant formellement le contrôle des capitaux et l’absence d’harmonisation entre les restrictions d’une banque à l’autre sont à l’origine de la défiance des déposants vis-à-vis du secteur et de la BDL. L’organisation assimile d’ailleurs l’ensemble des pratiques maintenues par les banques et la BDL pour limiter la capacité des déposants à retirer leurs dollars autrement qu’en livres, à une ponction de facto sur leurs dépôts, couplée à une conversion forcée.
* Il n’y a même pas de prévision pour le Yémen, qui est en guerre.
Tribune
Il faut avouer que "second plus mauvais élève" sonne beaucoup mieux que "avant dernier de la classe". La classe quoi...
20 h 06, le 20 avril 2020