La fédération des syndicats des boulangeries au Liban a surpris les Libanais en annonçant jeudi qu’elle allait désormais arrêter de distribuer du pain aux supermarchés et aux autres supérettes, au profit des boulangeries. Dimanche soir, elle s'est néanmoins rétractée, selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle).
Cette décision qu’elle comptait mettre en oeuvre à partir d'aujourd'hui lundi a été justifiée en invoquant un désaccord avec le ministère de l’Économie et du Commerce concernant la fixation du prix du pain, dans un contexte de crise économique, financière et de liquidités, qui a fortement déprécié la valeur de la livre par rapport au dollar chez les changeurs (plus de 3000 livres pour un dollar la semaine passée, du jamais vu depuis les années 1990), dopant au passage l’inflation.
Les signes de ce différend ont commencé à se manifester à l’automne dernier, alors que le Liban s’enfonçait de plus en plus dans la crise économique et financière. Une période durant laquelle la BDL et les banques ont progressivement resserré la quantité de billets verts circulant hors du secteur bancaire, contribuant à tirer la valeur de la livre vers le bas. Le débat sur la fixation du prix du pain, qui est contrôlé par le ministère, a ensuite été relancé peu après l’arrivée du nouveau ministre, Raoul Nehmé, fin janvier.
(Pour mémoire : Un nouveau mécanisme de fixation du prix du pain dans les tuyaux)
Prix de vente
Le mois suivant, M. Nehmé a en effet annoncé la mise en place d’un nouveau mécanisme -remplaçant l’existant- pour ajuster régulièrement le prix du pain en fonction du prix des matières premières nécessaires à sa fabrication, sur le modèle de celui utilisé par le ministère de l’Énergie et de l’Eau pour fixer chaque semaine le prix du carburant (essence et mazout).
Selon le dispositif, c’est désormais une commission comprenant des représentants du ministère, des minotiers et des boulangers qui est chargée de trancher en prenant en compte les prix du blé, de la levure mais aussi des sacs, de la facture d’énergie, etc. Le Liban importe l’essentiel de ses besoins en blé, dont les cours fluctuent dans un sens comme dans l’autre depuis mars. Le prix du blé importé et revendu sur le territoire au Liban doit également tenir compte des difficultés des minotiers à trouver des dollars au taux officiel pour financer leurs importations, le mécanisme mis en place en octobre par la Banque du Liban pour leur permettre de convertir leurs livres à ce taux ne leur permettant pas de garantir tous leurs besoins.
Or le problème, selon une source au ministère qui s’est confiée à L’Orient-Le Jour, est que les membres de la commission chargée de fixer les prix ne sont pas parvenus à trouver un terrain d’entente concernant le prix de vente en gros (soit celui auquel les boulangeries cèdent leur marchandise aux autres revendeurs). Le prix de la « rabta » de pain « blanc » doit être facturé à 1500 livres au consommateur final. Ainsi, les boulangeries vendent leur pain moins cher aux supermarchés et aux supérettes qu’au client qui vient l'acheter de chez elles directement, les revendeurs devant eux aussi faire des profits.
Selon la même source, les boulangers obtiennent donc une marge de 22 % sur chaque sac de pain blanc, et de 12 % sur la vente en gros. Des chiffres contredits par le syndicat des boulangers ce weekend qui a déclaré dans les médias que les marges des ventes de détail n'étaient que de 10 %.
(Pour mémoire : Liban : le président du syndicat des boulangers présente sa démission)
Une étude publiée en 2019 - financée par l’Union Européenne et réalisée en partenariat avec le ministère d’État pour le développement administratif et la société britannique Crown Agent - estimaient ces marges entre 10 % et 12 %, des chiffres qui ont pu changer dans un sens (baisse des marges en raison de la hausse du prix du blé et des problèmes de change) ou dans l’autre (hausse en raison de l’effondrement des cours du brut, notamment).
Aujourd'hui, c'est la crise actuelle, et plus spécifiquement la dépréciation de la livre, qui sont au cœur des revendications du syndicat des boulangers, selon un boulanger interrogé ce week-end. « Le but du syndicat est de vendre chaque « rabta » à 1500 livres à tout le monde et de ne plus avoir deux prix de vente différents », affirme-t-il. Cela suppose que le ministère devrait alors autoriser les revendeurs (supermarchés, supérettes, épiciers, etc) à le revendre plus cher. Faute de quoi, les revendeurs devraient renoncer à leur propre marge sur le pain ce qui ne semble pas vraiment tenable, surtout dans le contexte actuel.
La source au ministère assure de son côté que les syndicats de boulangers veulent « fixer le prix de vente dans les boulangeries à 1500 livres, et dans les autres lieux de vente à 1750 livres ». Or comme « la majorité des boulangeries sont essentiellement localisées à Beyrouth », poursuit-elle, ce sont surtout les zones rurales, où le pouvoir d’achat est le moins élevé, qui seront impactées. Elle précise enfin que le ministère réfléchissait à une réponse à apporter à l’initiative des boulangers et qu’il allait contrôler autant que possible les prix pour éviter que les consommateurs ne se retrouvent à payer la facture.
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commentaires (5)
Dans un pays du tiers monde comme c'est le cas du Liban, confier à Al Capone la gestion du pain, l'aliment de base du peuple dans les temps difficiles, est un crime contre l'humanité. Demander à un Libanais lambda, ce qu'il a mangé à midi, il vous répondra du tac-au-tac : Un pain ! Sans ajouter accompagné d'un demi-kilo de maqaneqs ?
Un Libanais
18 h 25, le 20 avril 2020