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Lifestyle - Télé-Nostalgie

Camille Menassa, témoin des grands moments de l’histoire

Il a annoncé la mort de John Kennedy et de Nasser et l’atterrissage d’Apollo 11. Un livre de ses mémoires est en préparation. En voici un avant-goût.


Photo Joao Sousa

La communication a toujours été son métier, mais également un art qu’il manie avec talent. Camille Menassa, 84 ans, est un des pionniers de la télévision libanaise, correspondant pour de nombreux médias étrangers au Liban, journaliste et ensuite directeur administratif de L’Orient-Le Jour. Il a contribué à la création de la LBCI et de la MTV et à la formation de leurs journalistes. Pour lui, « un journaliste n’est pas uniquement un témoin de l’actualité. Grâce à son métier, il peut changer le cours des choses ». Confortablement installé derrière son bureau à l’allure de conquérant, une élégance doublée d’un humour fin, jusqu’à l’autodérision, il aime à rappeler que « l’information crée l’opinion publique et l’opinion publique gouverne le monde ».

« Quand j’étais petit, je faisais à mes parents des discours incompréhensibles… Je rêvais de devenir policier, puis aviateur, puis avocat. Dans ces rêves, je gagnais des affaires dans lesquelles j’avais défendu les pires criminels. Ensuite, j’ai voulu devenir diplomate et je me voyais présenter mes lettres de créance à tous les grands de ce monde, de Staline à de Gaulle… Puis la télévision a commencé », raconte-t-il.

« Autrefois, la radio, comme la télévision, était un facteur de réunion pour les familles. Aujourd’hui, nous avons nos écrans sur nos téléphones mais nous sommes seuls. Quand la télévision a existé, les magasins posaient l’appareil la nuit face à la rue et les gens se mettaient debout sur la chaussée, créant d’énormes attroupements, car peu de gens en possédaient. Le présentateur était une personnalité très importante. »

Avant de devenir rédacteur en chef et directeur des programmes, entre 1960 et 1971, pour les canaux 7 et 9 de Télé-Liban, première télévision du monde arabe, Camille Menassa, diplômé de droit de l’Université Saint-Joseph, avait commencé comme traducteur de films à la télévision libanaise.

« À l’époque, il n’y avait pas de sous-titrage, il fallait doubler les films en direct. J’aimais tellement ajouter du sel et du poivre que je parlais beaucoup plus que les acteurs eux-mêmes ! Je faisais des erreurs en arabe, j’en rajoutais tellement au point qu’une fois la régie m’a enlevé le son… » confie-t-il en souriant.


Cours de langue arabe

Parallèlement, Camille Menassa a démarré sa carrière de journaliste en 1957 à L’Orient, 14 ans avant sa fusion avec Le Jour. « Georges Naccache, fondateur et rédacteur en chef de L’Orient, était mon mentor. Il m’avait également proposé de diriger les programmes de Radio Liban. Je me souviens de mes deux premiers articles, l’un d’eux était annoncé en une, il portait sur la construction, qui traînait, du palais présidentiel de Baabda. L’autre était sur la Croix-Rouge. » Il devient le correspondant au Liban et dans la région de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF).

Sa carrière de traducteur en direct à Télé-Liban s’arrête lorsque Jean Khoury, qui était alors le directeur du journal télévisé, est chargé de la création d’une nouvelle chaîne, le canal 11. « Dès que j’ai été sélectionné pour le remplacer, je me suis mis à travailler ma langue arabe qui était faible. Nous avons eu recours, avec Charles Rizk, qui était à l’époque directeur général du ministère de l’Information (et qui deviendra plus tard directeur de Télé-Liban), à un cheikh qui venait au ministère trois fois par semaine, à midi, pour nous enseigner la langue arabe, notamment la diction. Je me suis mis à rédiger et présenter le journal en langue arabe. Parfois je le présentais en langue française », note-t-il.

Cet homme curieux de tout, qui rédige actuellement ses mémoires en partageant, surtout, la petite histoire des grandes actualités qu’il a couvertes, a annoncé, en direct, certaines informations qui ont changé le monde : l’atterrissage sur la Lune d’Apollo 11, le 21 juillet 1969, l’assassinat de John Kennedy le 22 novembre 1963 et la mort de Abdel Nasser le 28 septembre 1970. « Pour l’atterrissage sur la Lune, j’étais particulièrement ému. En arabe on dit d’une jolie femme qu’elle est belle comme la lune. La lune, c’est à la fois la lumière et le romantisme, mais là, on voyait en direct des personnes marcher dessus… C’était incroyable », dit-il.

Se souvenant de l’assassinat du président américain, il indique : « Je faisais une interview d’Amine el-Hafez qui était le gouverneur de la Syrie et je venais de rentrer de Damas. À peine arrivé, on m’informe que Kennedy a été la cible d’une tentative d’assassinat. Une fois la nouvelle confirmée, je me précipite au studio, c’était la fête de l’Indépendance et nous avions un programme spécial de variétés avec Samira Toufic accompagnée d’une troupe folklorique. J’interromps l’émission et j’annonce la nouvelle. C’était triste, car Kennedy incarnait pour nous la jeunesse et les promesses d’avenir. »

Camille Menassa admirait deux dirigeants arabes, le roi Fayçal d’Arabie saoudite et le président égyptien Gamal Abdel Nasser. « Ils se ressemblaient beaucoup mais ils se détestaient. » Il a interviewé Nasser huit fois. « C’était un homme très charismatique. Comme j’étais le correspondant pour le monde arabe de plusieurs chaînes internationales, j’ai eu l’occasion de me déplacer un peu. J’ai assisté à toutes les révolutions arabes, rencontré tous les rois et les chefs d’État, même Nikita Khrouchtchev. » « Le plus original mais le plus cruel à mes yeux était Abdel Karim Kassem, le président irakien tué à Bagdad le 9 février 1963. Avec Édouard Saab (ancien rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour), j’étais le dernier journaliste à l’interviewer. Il m’avait donné rendez-vous à 23h30, nous avons fini à 4 heures du matin. En me montrant un projet qu’il venait d’exécuter, il ne m’a pas autorisé à monter avec lui en voiture, pour épargner ma vie en cas d’attentat. Deux jours plus tard, il a été assassiné. Et j’ai dû m’envoler à nouveau pour Bagdad. »


Pal ou Secam

Durant ces premières années de la télévision, le plus dur pour Camille Menassa était l’aspect technique du métier qu’il lui a fallu apprendre pour pouvoir diriger les nouvelles et les programmes. « Pour le montage, il y avait une double bande, une pour le son et une autre pour l’image. Pour l’information, il fallait attendre que les images arrivent par avion. Si on les avait le lendemain, c’était merveilleux ! Il n’y avait pas de satellite. Nous disposions de téléscripteurs avec des informations écrites. Ensuite, nous sommes passés à la couleur, il y avait une guerre entre le système Pal britannique et le Secam français. Pour faire plaisir aux Français, nous avons été la première télévision au monde, outre la France, à opter pour le Secam, mais cela n’a pas duré longtemps, car le Pal a été adopté par les Américains et tout le monde a suivi. »

Camille Menassa quittera la télévision au début des années soixante-dix pour L’Orient-Le Jour. Il y reviendra dix ans plus tard, pour présenter, durant plus de sept ans, un programme hebdomadaire d’actualité baptisé Haza al-Ousbouh (« cette semaine ») où il égrenait l’actualité politique, culturelle et artistique.

« Je regrette que Télé-Liban ait été combattue par les politiciens ; c’est l’État lui-même qui a tué son propre enfant. Chaque homme politique a créé sa propre télévision, sa radio, son journal. Il n’y avait plus aucun intérêt à avoir une télévision d’État fédératrice qui prône le calme et la paix », conclut-il, pragmatique.


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La communication a toujours été son métier, mais également un art qu’il manie avec talent. Camille Menassa, 84 ans, est un des pionniers de la télévision libanaise, correspondant pour de nombreux médias étrangers au Liban, journaliste et ensuite directeur administratif de L’Orient-Le Jour. Il a contribué à la création de la LBCI et de la MTV et à la formation de leurs...

commentaires (2)

"Chaque homme politique a créé sa propre télévision, sa radio, son journal"...malheureusement son propre Liban... Merci sincèrement Camille pour les souvenirs d'antan et ce retour dans le temps à l'âge, non pas de gloire mais, de l'existence du Liban!

Wlek Sanferlou

15 h 20, le 28 mars 2020

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Commentaires (2)

  • "Chaque homme politique a créé sa propre télévision, sa radio, son journal"...malheureusement son propre Liban... Merci sincèrement Camille pour les souvenirs d'antan et ce retour dans le temps à l'âge, non pas de gloire mais, de l'existence du Liban!

    Wlek Sanferlou

    15 h 20, le 28 mars 2020

  • Camille Menassa En arabe on dit d'une jolie femme qu'elle est belle comme la lune. Mais, Cher Camille, en français on dit d'une personne niaise qu'elle est conne comme la lune.

    Un Libanais

    12 h 20, le 28 mars 2020

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