La restructuration de la dette publique libanaise que le pays va tenter de négocier avec ses créanciers sera “complexe” et pourra durer “jusqu’à deux ans”, a estimé Morgan Stanley dans un rapport publié mardi, soit le lendemain de l'annonce par le gouvernement libanais qu’il fera défaut sur l’ensemble de ses obligations d’État en dollars (eurobonds). Selon les auteurs du rapport cité par Reuters mercredi, la décision libanaise implique la suspension du paiement de 31,3 milliards de dollars liés à ces obligations (hors intérêts) pour une dette totale d’environ 92 milliards en comptant la dette en livres libanaises, souscrite via les bons du Trésor.
La banque d’investissement américaine considère en outre que l’objectif du pays sera d’obtenir un “allègement de dette équivalent à 100 à 125 %” de son PIB, ce qui sera “loin d’être simple”. Le ratio de dette/PIB est actuellement de 170 % selon le Premier ministre Hassane Diab. Un taux qui a augmenté ces derniers mois en raison de la hausse de la dette combinée à la contraction estimée du PIB, alors que le pays, qui nage en pleine crise économique et financière depuis des mois, est quasiment à l’arrêt depuis que le gouvernement a décrété l’état d’urgence sanitaire pour contrer la propagation du nouveau coronavirus.
L’allègement évoqué par Morgan Stanley, qui tient forcément compte d’une réduction sur la dette en livres, ramènerait le ratio dette/PIB à un niveau proche de la fourchette 50 % à 70 % du PIB, soit un niveau considéré comme soutenable. Si le gouvernement n'a toujours pas fait d’annonce officielle en ce sens, une source gouvernementale avait indiqué à L’Orient-Le Jour au début du mois que l’État prévoyait également de faire défaut sur les bons du Trésor émis dans la monnaie du pays.
Risque de "Hold out"
Morgan Stanley juge de plus que les conditions légales qui régissent les souscriptions d’eurobonds rendent le pays "vulnérable" à un "hold out" de la part d’une partie des détenteurs de dette, un "hold out" semblable à celui des investisseurs dans la dette argentine - en 2005 puis en 2010. L’expression "hold out" se réfère à la décision d’une minorité de détenteurs de se retirer d’un accord entre le pays qui cherche à restructurer sa dette publique et la majorité de ses créanciers, dans l’espoir d’obtenir un meilleur compromis pour résoudre leur propre situation. Selon les règles de souscriptions prévues, ce sont le tribunaux de New York qui sont compétents pour juger des litiges liés aux incident de paiement des eurobonds.
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La banque estime également que "s’attaquer aux dépôts bancaires des épargnants et des entreprises comme Chypre a pu le faire lors de la crise financière (de 2012-2013, ndlr) serait problématique sur le plan politique", tout comme le fait de solliciter une aide financière du FMI ou "d’ailleurs au Moyen-Orient". Une référence aux difficultés liées aussi bien à la défiance entre le Hezbollah et son allié iranien d’un côté, les Etats-Unis et des pays du Golfe de l’autre ; qu’aux réticences exprimées dans le pays face à la perspective d’un haircut (coupe dans les dépôts). "Nous voyons peu d’avantages à une approche fragmentaire de la restructuration de la dette, compte tenu de la complexe intrication entre le ministère des Finances, la Banque du Liban et les banques locales", ajoutent les auteurs du rapport.
Morgan Stanley entrevoit dès lors trois scénarios possibles à l’issue des négociations. Dans le moins pénalisant pour les investisseurs, ces derniers feraient face à une dépréciation de 50 % de la valeur de leurs titres de dette et verraient leurs paiements repoussés de 5 ans. Dans le scénario intermédiaire, la baisse serait de 60 % et les échéances reportées à 2032 ; contre 70 % et un report à 2037 pour le scénario le plus extrême.
Le Liban traverse depuis fin août la pire crise économique et financière depuis la fin de la guerre civile en 1990. Une période qui s’est traduite par une franche contraction de l’activité ainsi que la mise en place par les banques locales, très exposée à la dette publique, de restrictions illégales sur certaines opérations et une hausse du taux livre/dollar chez les changeurs à un niveau aujourd'hui 80 % plus élevé que la parité officielle toujours en vigueur pour les transactions bancaires (1507,5 livres un taux stabilisé par la BDL depuis 1997).
Dans ce contexte, le gouvernement libanais a franchi un cap en annonçant, le 7 mars, qu’il ferait défaut sur le remboursement d’une émission de 1,2 milliard de dollars arrivant à terme deux jours plus tard, ouvrant ainsi la voie à un renégociation de sa dette. Au préalable, l’exécutif avait sélectionné, à l’issue d’un appel d’offres international, les cabinets Lazard et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP pour l’épauler dasn cette restructuration de la dette.
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C'est donc sans surprise que lundi, le ministère des Finances a confirmé que le Liban avait suspendu le remboursement de l’ensemble de ses eurobonds, soit 29 séries qui s’étalent jusqu’en 2036. Une présentation aux créanciers (Investor Presentation) a en outre été programmée pour ce vendredi, tandis que les informations à destination des créanciers seront en principe publiées sur le site du ministère des Finances.
Les détenteurs de CDS prennent acte
Par ailleurs, les détenteurs de CDS (Credit default swap), les contrats permettant de se couvrir contre le défaut de paiement souverain sur les eurobonds et qui sont vendus comme des produits financiers à part entière, ont pris acte depuis le 16 mars du défaut libanais, selon un communiqué publié sur le site des comités de détermination pour les marchés de dérivés de crédits (Credit Derivatives Determinations Committees). Ces instances déterminent si l'incident de paiement peut entraîner ou non le paiement d’indemnités aux porteurs de CDS. Début mars, Bloomberg avait indiqué que le défaut libanais pourrait permettre aux détendeurs de CDS, qui ne sont pas obligatoirement des détenteurs d’eurobonds, d’engranger le paiement d’environ 400 millions de dollars (toutes maturités confondues). Une manne dont ne profiteront pas les banques libanaises à qui la BDL interdit depuis 2008 d’acquérir des CDS.
Enfin, les principales agences de notation financières ont toutes réagi au défaut libanais en dégradant partiellement la notation du pays, en attendant la décision des autorités sur la portion de dette en livres.
Tribune
Comment sauver le secteur financier libanais
Bonne nouvelle! Cela veut dire que le Liban survivra au covid19 pour 2 ans... Ils sont forts nos politiciens...
14 h 45, le 26 mars 2020