Le ministre libanais des Finances, Ghazi Wazni, le 13 février 2020 au palais de Baabda. Photo REUTERS/Mohamed Azakir
Après que le gouvernement a fait défaut sur la série d’eurobonds arrivée à échéance le 9 mars, il doit en principe entamer officiellement les négociations avec l’ensemble de ses créanciers en vue d’une restructuration de sa dette en dollars. Mais il semblerait qu’il n’y ait plus de doutes sur le fait que l’exécutif envisage d’emblée une réduction de cette dette, soit un haircut sur les eurobonds. En d’autres termes, cela signifie que le gouvernement proposera à ses créanciers, ou du moins à certains d’entre eux, des conditions de remboursement où une partie des montants dus serait purement et simplement effacée.
En général, une restructuration de la dette signifie que de nouvelles séries d’eurobonds sont émises avec des dates de maturité plus longues, une réduction des intérêts et souvent du principal. Les séries existantes sont alors échangées contre de nouvelles séries. Les propositions de restructuration pourraient être différentes en fonction des séries et des comités de créanciers. En cas de réduction du principal de la dette, il s’agira donc d’un haircut sur les eurobonds.
Le fait que les banques locales soient les principales détentrices des eurobonds signifie qu’elles seront les premières impactées par une telle décision, et qu’elles devront assumer les pertes découlant de cet effacement d’une partie de la dette en dollars de l’État. L’ampleur de cet effacement (haircut sur les eurobonds) demeure encore une grande inconnue, et l’une des principales missions de Lazard (le conseiller financier mandaté par l’État pour l’accompagner dans le processus de restructuration de la dette) consistera à la déterminer sur la base d’une série de simulations et d’études d’impact en fonction des scénarios envisagés.
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Les fonds propres des banques pas suffisants
Problème : quelle que soit l’ampleur de ce haircut, « les fonds propres des banques ne (seront) pas suffisants et il va falloir les augmenter », comme l’a souligné le ministre des Finances, Ghazi Wazni, lors de l’entretien accordé la semaine dernière à Albert Kostanian pour son émission Vision 2030 sur la LBCI. D’autant plus que « 70 % de leurs placements en dollars ont été effectués dans des eurobonds ou dans des certificats de dépôts à la Banque centrale et que 20 % de leurs prêts accordés au secteur privé sont des créances douteuses (c’est-à-dire des prêts qui ne seront probablement pas remboursés) », a précisé Ghazi Wazni.
Les fonds propres des banques alpha (les 16 plus grandes banques du pays, dont les dépôts dépassent 2 milliards de dollars) s’élevaient à 22 milliards de dollars à fin décembre 2018, selon Bankdata Financial Services. En novembre 2019, la BDL a demandé aux banques, par le biais d’une circulaire, d’augmenter leurs fonds propres de 20 % d’ici à fin juin, soit de 4,4 milliards de dollars, et de ne pas redistribuer à leurs actionnaires les profits réalisés en 2019. L’objectif à court terme était de répondre à la crise de liquidités en dollars, mais cette circulaire a aussi vocation à renforcer la solvabilité des banques face à la hausse des créances douteuses et à élargir leur « coussin de sécurité » en cas de haircut. Pour le moment, la plupart des principales banques du pays ont annoncé leur intention de répondre favorablement à la requête de la BDL.
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Mais même une telle augmentation ne sera pas suffisante pour la recapitalisation des banques. « Le secteur bancaire a besoin d’une injection de liquidités de l’extérieur de 20 à 25 milliards de dollars pour sa relance », a estimé Ghazi Wazni. Selon Nassib Ghobril, le directeur du département de recherche de Byblos Bank, le secteur bancaire aura besoin de beaucoup plus si l’on prend en compte la restructuration de l’ensemble de la dette de l’État (eurobonds, bons du Trésor et bilan de la BDL) : soit une injection nécessaire d’environ 40 milliards de dollars.
C’est cette réalité qui amène le gouvernement et les professionnels du secteur à préconiser une restructuration du secteur bancaire. Hassane Diab l’avait dit, le secteur « ne pourra plus continuer à avoir un volume quatre fois supérieur à l’économie du pays ». Le ministre des Finances l’a réitéré : « Il faudra voir au cas par cas la situation de chaque banque, certaines s’en sortent bien, mais d’autres pas. Il y aura nécessairement des fusions entre les banques. » Certaines s’en sortiront mieux que d’autres – parce qu’elles ont des fonds propres confortables et qu’elles ne sont pas ou peu exposées à la dette souveraine – et seront donc appelées à absorber les moins solides.
La question des fonds propres des banques est cruciale, car c’est ce qui permettra de déterminer à quel point les banques devront répercuter les pertes subies après (notamment) une réduction de la dette en dollars, sur leurs déposants. Si cette réduction est supérieure aux fonds propres des banques, celles-ci seraient contraintes de faire peser la perte enregistrée sur les déposants, en ponctionnant une partie de leurs dépôts. On parle alors de haircut sur les dépôts.
Mais tous les déposants ne seront pas concernés. Hassane Diab avait insisté sur le fait que le gouvernement cherchera à protéger les dépôts bancaires, et particulièrement les petits déposants qui représentent plus de 90 % de l’ensemble des dépôts. Ghazi Wazni a précisé ensuite que « 91,5 % des déposants, soit 1 600 000 comptes, sont inférieurs à 100 000 dollars chacun et représentent donc 12 milliards de dollars seulement. Ils sont prioritaires pour le gouvernement ». Au total, les dépôts bancaires s’élevaient à 158,8 milliards de dollars (toutes monnaies confondues) fin 2019, avec un taux de dollarisation avoisinant les 75 %.
Les trois alternatives de Wazni
Mais qu’en est-il des 10 % restants des déposants ? Sachant qu’un haircut sur les dépôts nécessiterait une loi, le gouvernement songe à les protéger également, mais dans une moindre mesure. Le ministre des Finances, toujours lors de l’entretien accordé à Albert Kostanian, a exposé trois alternatives potentielles à un haircut sur les dépôts. Il les a également évoquées avec bon nombre de ses interlocuteurs locaux et internationaux, ce qui témoigne d’un certain sérieux dans l’étude de ces alternatives. Lazard devrait évaluer leur faisabilité. La première alternative envisagée par Ghazi Wazni consisterait à proposer aux grands déposants de convertir une partie de leurs dépôts en prise de participation (actions) dans les banques où ils avaient initialement placé ces dépôts. Ce qui est communément appelé « Bail-In ». « C’est l’alternative la plus plausible, et qui est devenue la règle absolue dans les pays de l’Union européenne. Ce principe a été adopté à Chypre par exemple », considère Jean Riachi, le PDG de l’établissement libanais FFA Private Bank, interrogé par L’Orient-Le Jour. Un avis non partagé par Nassib Ghobril : « On ne peut pas forcer les déposants à convertir leurs dépôts en actions. Nous sommes dans cette situation, parce que le gouvernement a décidé de faire défaut sur les eurobonds, c’est à lui que revient la responsabilité d’en assumer les conséquences, et certainement pas aux déposants qui ont choisi de faire confiance au secteur bancaire. » « La plupart des grands dépôts appartiennent à de grandes sociétés, à des expatriés libanais qui ont réussi à l’étranger ou encore à des ressortissants des pays arabes : pourquoi ce serait à eux d’assumer le coût d’une telle décision ? » s’insurge-t-il. La deuxième alternative serait de proposer aux grands déposants de geler une partie de leurs dépôts pour une durée déterminée allant de cinq à six ans. Si pour Nassib Ghobril, il s’agirait de l’alternative « la plus acceptable » pour les déposants, lui comme Jean Riachi estiment que cela ne résoudrait en rien le problème des banques et de leur recapitalisation. « D’un point de vue comptable, pour obtenir une adéquation dans les bilans des banques, on ne peut envisager qu’en face d’un actif baissé de 40 % (la valeur d’un eurobond) par exemple, on maintienne un passif (la valeur d’un dépôt), même gelé, à la valeur initiale », explique Jean Riachi. « On ne peut pas rebâtir ce secteur et l’économie du pays avec ces déséquilibres, il va falloir le faire sur des bases saines », ajoute-t-il.
La troisième alternative serait de leur proposer une prise de participation dans un fonds, qui sera créé ultérieurement, et qui regroupera l’ensemble des actifs de l’État (entreprises publiques ou semi-publiques génératrices de revenus). « Bonne chance », lance Nassib Ghobril, estimant qu’il s’agit d’une alternative peu plausible, « une fuite en avant » pour éviter « les vraies réformes », celles qui conduiraient à une réduction de la taille du secteur public. Pour Jean Riachi en revanche, l’alternative est faisable, mais pose « un problème d’éthique ». « Le déposant est le créancier de sa banque, alors que les actifs de l’État appartiennent à l’ensemble des Libanais », justifie-t-il. Néanmoins, Jean Riachi estime que cette option pourrait être proposée aux créanciers de l’État lors des négociations en vue de la restructuration de la dette.
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commentaires (18)
Si j'avais un "grand depot" au Liban, j'aurais refusé les 3 alternatives et aurait demandé a ces fins technocrates de couper dans le vif. ponctionnez-moi mais donnez moi la liberté d'utiliser le reste de mon depot ! Si je peux, je ferais un transfert ultra-rapide hors du Liban et vous ne me reverrez mes sous PLUS JAMAIS
Lebinlon
14 h 20, le 18 mars 2020