« En raison des circonstances actuelles, les obsèques et l’inhumation ont eu lieu dans la plus stricte intimité. Une pensée pieuse est demandée à tous ceux qui ont connu et aimé le défunt. »
Au Liban, comme un peu partout dans le monde, les rituels accompagnant la mort, dont le dernier adieu au défunt, se voient chamboulés par le coronavirus et les strictes mesures de distanciation sociale, voire de confinement, mises en place pour enrayer sa propagation. En témoigne l’extrait de cette annonce, publiée dans nos colonnes il y quelques jours, où ne sont pas mentionnées les traditionnelles condoléances. L’impasse sur ce rituel social important, notamment au pays du Cèdre, n’est pas sans conséquences sur le déroulement du processus de deuil.
Rami, jeune Libanais d’une vingtaine d’années, a failli rater les obsèques de son grand-père la semaine dernière. Son oncle, redoutant d’être contaminé par le virus, avait imposé à sa famille de limiter au maximum le nombre de participants aux funérailles. Rami n’était pas dans la liste. C’est en voyant sa mère vêtue de noir, alors qu’elle s’apprêtait à se rendre à l’église, que Rami a compris que son grand-père était décédé. « J’étais dans ma chambre lorsque j’ai entendu mes parents qui s’apprêtaient à sortir. Quand j’ai vu ma mère, j’ai tout de suite compris, raconte-t-il à L’Orient-Le Jour. Mon oncle avait demandé à mes parents et à ma tante de n’informer personne du décès, à cause du virus. Il ne voulait pas que mes cousins et moi-même assistions aux obsèques. »
Choqué, triste et frustré de ne pouvoir faire ses adieux comme il faut à son grand-père, Rami décide d’appeler ses cousins et d’assister au service religieux malgré tout. « Nous étions neuf à l’église. Mon oncle aspergeait tout le monde de désinfectant. Chacun a pleuré seul, dans son coin. On ne pouvait pas s’étreindre pour se réconforter. En 30 minutes, tout était terminé. Il n’y a pas eu de condoléances », raconte-t-il. « J’ai senti que nous n’avions pas rendu hommage à mon grand-père comme il se devait. Je fais mon deuil tout seul. Je regarde d’anciennes photos et je me souviens des bons moments », dit-il encore. Au Liban, l’étape des condoléances tient une place importante dans les rituels funéraires, toutes confessions confondues. Généralement organisées sur trois jours, elles voient défiler la famille et les amis des proches du défunt, avec lesquels on échange poignées de main, accolades, et même repas.
« L’absence du rituel des condoléances influe sur le processus de deuil et peut créer un sentiment de solitude. Les condoléances ont un rôle fonctionnel. Elles permettent d’apporter un support émotionnel, leur absence complique les choses », explique Cosette Maalouf, psychologue clinicienne. Dans ce contexte, elle insiste sur le fait que, confronté à un deuil, aujourd’hui, il est important de parler. « Parler à sa famille et ses amis, même si c’est par téléphone ou sur internet », insiste-t-elle. La psychologue clinicienne Mia Atoui souligne elle aussi que « l’absence de condoléances et de contact durant le deuil augmente le risque d’être isolé ». « Le confinement, ce n’est pas l’isolement. Il ne faut pas couper le contact avec ses proches », conseille Mme Atoui qui rappelle qu’une ligne verte de soutien psychologique (Embrace) est accessible au 1564.
(Lire aussi : Le nerf de la coronaguerre, l'édito de Issa GORAIEB)
Les condoléances plus tard
Kamal Comair, 54 ans, a perdu son père Georges cette semaine. En raison des mesures de confinement, il est contraint d’organiser des obsèques en comité restreint. Lui aussi regrette de ne pouvoir rendre hommage comme il se doit à son père, ancien médecin et directeur des services de santé de l’armée, et ancien président du conseil municipal de Tannourine.
« C’est très dur. Je ne pensais pas qu’un jour viendrait où l’on ne serait pas capable d’organiser des obsèques comme il faut. Il n’y aura pas de condoléances non plus... C’est un grand homme qui s’en va et on ne peut pas vraiment lui rendre hommage », dit-il encore.
Georges Deaïbès, gérant de pompes funèbres, a lui aussi dû s’adapter à la nouvelle réalité. « La plupart des familles sont désormais contraintes de faire le minimum. Une cérémonie religieuse rapide, suivie de l’inhumation, explique-t-il à L’OLJ. Les proches sont frustrés parce qu’ils estiment ne pas faire assez pour le défunt. Mais je les réconforte en leur rappelant qu’il y a un cas de force majeure, celui du coronavirus. »
Toute épidémie nécessite de mettre en place un certain contrôle qui peut changer des traditions importantes et occasionner beaucoup de stress, reconnaît le psychiatre Rabih Chamahi. « Les gens comprennent quand même l’importance de se plier aux nouvelles contraintes. De plus, les rituels religieux essentiels sont maintenus, ce qui fait que les gens ne sont pas forcés d’adopter des pratiques contraires à leurs croyances », souligne encore le psychiatre qui insiste sur le fait que cette situation est temporaire. Les rituels du deuil seront de nouveau possibles quand la situation reviendra à la normale.
Si Kamal Comair se plie aux contraintes de l’heure, il assure d’ores et déjà que dès que la situation le permettra, il organisera des condoléances pour son père.
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Plus triste encore, c'est de savoir que les parents des malades du coronavirus n'ont pas eu le droit de les visiter à l'hôpital, et pire encore, n'auront aucune chance de jeter un dernier regard d'adieu à leurs bien-aimés,car en Italie,un long convoi de véhicules de l'armée, s'est chargé d'enterrer les morts (plus que cinq cents en une seule journée), en l'absence des leurs, pour éviter davantage de contaminations .
12 h 39, le 21 mars 2020