Depuis le début de la semaine, les deux graphiques animés du Global Health Institute (GHI) de l’AUB circulent beaucoup sur les réseaux sociaux : dans ces deux petites vidéos, l’on voit une courbe libanaise des nombres de cas avérés de coronavirus plus ou moins en plateau, c’est-à-dire qu’elle évolue lentement par rapport à des pays où l’augmentation du nombre de cas est exponentielle.
Comment décrypter ces courbes et que conclure d’une comparaison de l’évolution du nombre de cas de contaminations au coronavirus au Liban avec la situation dans d’autres pays ? « Le premier graphe que nous avons réalisé compare l’évolution du nombre de cas de coronavirus dans plusieurs pays et le second effectue une normalisation suivant la taille de la population », explique à L’Orient-Le Jour le Dr Chadi Saleh, directeur fondateur du GHI. « En d’autres termes, dans ce second graphe, on tente de voir si le nombre limité de cas au Liban est dû au fait que sa population est plus réduite que dans les autres pays, ou si la courbe de l’évolution est vraiment plus ou moins stable. Jusque-là, il semble que le Liban ait une évolution maîtrisée par rapport à d’autres pays », poursuit-il. Le scientifique met toutefois immédiatement en garde contre des interprétations trop optimistes de ces premiers résultats. « Il faut garder en tête deux facteurs très importants, souligne-t-il. D’une part, ces premiers résultats ne signifient pas que nous pouvons baisser la garde. La mobilisation générale n’a commencé que lundi, il convient d’attendre 8 à 14 jours pour que ces résultats se confirment. D’autre part, il nous faut vérifier si cette tendance plutôt stable ne serait pas due au nombre limité de tests que nous effectuons au Liban et s’il n’y aurait pas davantage de cas non dépistés. À titre d’exemple, en Corée du Sud, les tests sont devenus quasi systématiques, ce qui est loin d’être le cas chez nous. S’il y a davantage de cas non dépistés, même s’ils sont asymptomatiques, ils restent contagieux. »
Il n’en demeure pas moins que, selon lui, la comparaison avec les autres pays a un sens, jusqu’à nouvel ordre. « Vu que nous avons inclus beaucoup de pays différents et qu’ils n’ont pas tous une politique de dépistage quasi systématique, nous pouvons considérer que la tendance au Liban reste, à ce jour, assez modérée par rapport aux autres », explique-t-il.
À la question de savoir à quoi serait dû cet « avantage » constaté jusque-là au Liban, le Dr Saleh estime qu’il n’y a pas, pour l’heure, de réponse tranchée. « Tout ce qui a été fait jusque-là, toutes les mesures prises peuvent avoir eu un impact sur l’évolution de la maladie, dit-il. Cela peut être dû aux mesures imposées par l’État, au rôle de sensibilisation joué par les médias, ou au fait que notre population communique abondamment à travers les réseaux sociaux et respecte les directives d’hygiène. Ou encore au fait que la taille moyenne des appartements au Liban permet la séparation et la quarantaine à domicile, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Tout est possible, on ne peut retenir une seule cause pour le moment. »
« Se préparer au pire et se féliciter des mesures prises »
Le Dr Saleh souligne que le prochain graphe en préparation dans son institut est une modélisation qui permettra de sonder le pire scénario auquel pourrait s’attendre le Liban, basé sur les scénarios dans quatre pays parmi les plus touchés, à l’instar de la Chine, l’Italie ou l’Iran.
Prié de commenter les résultats des graphes déjà publiés, le Dr Abdel Rahman Bizri, du Comité national sur les maladies transmissibles, très impliqué dans la lutte contre le coronavirus au Liban, souligne qu’on se trouve actuellement dans une phase entre le confinement du virus et l’atténuation des risques. Il est vrai, selon lui, que les cas restent limités, mais il faut rester vigilant pour les semaines à venir. « Si les mesures qui ont été prises sont bien appliquées, le nombre de cas pourrait rester assez modéré pour être pris en charge par le secteur hospitalier, poursuit-il. Mais il y a beaucoup de variables dans le décompte des cas avérés, notamment celui de notre capacité à tester les personnes et à dépister les cas. En fait, s’il y a un peu plus de cas avérés ces derniers jours, c’est parce que de nouveaux laboratoires effectuent des tests, en sus de ceux effectués à l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri. Notre capacité limitée à assurer le dépistage nous met sous pression. »
« Pour résumer, je crois qu’il faut se préparer au pire, mais se rassurer quant aux mesures qui ont déjà été prises », déclare-t-il enfin.
(Lire aussi : Ave, Covid !, l'impression de Fifi ABOU DIB)
Quand les défis deviennent avantages
« Face à une épidémie comme celle-ci où les seules mesures efficaces de freinage sont l’arrêt de la propagation du virus et donc la distanciation sociale, beaucoup de pays ont mis en place un confinement strict », estime pour sa part le Dr Elsa Mhanna, neurologue et neuroscientifique en formation à Paris. « Les pays à tendance totalitaire ont réussi à le faire plus facilement que les pays démocratiques. Le Liban et la France sont des pays à mode de vie démocratique, certes, mais avec des différences notables », poursuit-elle.Ainsi, le Dr Mhanna note que certains défis rencontrés au Liban ont pu tourner à son avantage en pareille situation, comme la quasi-inexistence des transports en commun, le stress accru dans lequel vit la population libanaise, qui subit déjà une crise économique et politique, et qui s’est donc calfeutrée chez elle précocement face à un nouveau problème, les lieux de culte habituellement bondés, mais qui se sont adaptés, même tardivement. Sans compter le système de santé qui s’est mis au diapason assez vite. En France, comme dans beaucoup de pays européens, poursuit-elle, il existe un réseau de transports en commun très développé pouvant véhiculer rapidement le virus et une population qui bouge beaucoup notamment en période de vacances scolaires, et qui a maintenu un mode de vie normal jusqu’à l’allocution de son président Macron lundi soir. C’est aussi un grand pays qui peut difficilement fermer ses frontières, au sein de l’Europe et avec le monde.
« L’évolution de la propagation du virus ne peut être prédite avec certitude car même si on se base sur des modèles épidémiologiques poussés, il en va du comportement de chacun et de chaque collectivité, souligne le Dr Mhanna. La courbe libanaise (dans les graphes du GHI) pourrait présager un contrôle pas lointain de l’épidémie, si toutefois le confinement restait bien en place. »
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21 h 18, le 19 mars 2020